136.1
La maison de Lazare, déjà superbe en temps normal, est ce soir toute splendeur. Elle semble embrasée par les innombrables lumières qui y brillent et leur clarté ressort à l’extérieur en cette nuit qui commence, débordant des salles dans l’atrium et de là dans le portique, s’allongeant pour revêtir d’or les pierres des sentiers, les plantes et les buissons des parterres, rivalisant avec le clair de lune et en triomphant même pendant les premiers mètres grâce à sa splendeur jaune et charnelle, tandis qu’un peu plus loin le vêtement de pur argent que la lune étend sur toutes choses leur donne un air angélique.
Même le silence qui enveloppe le magnifique jardin, où l’on n’entend que l’arpège du jet d’eau dans le bassin, paraît augmenter la paix recueillie et paradisiaque de la nuit lunaire, pendant que près de la maison, beaucoup de voix joyeuses, accompagnées du glissement familier des meubles qu’on met en place et des nappes qu’on pose sur les tables, rappellent que l’homme est l’homme et pas encore un pur esprit.
Marthe circule rapidement dans son ample vêtement, splendide et pudique, rouge violet ; on dirait une fleur, une belle campanule ou un papillon qui s’agite entre les murs pourpres de l’atrium ou ceux, parés de petits dessins qui rappellent un tapis, de la salle du banquet.
Jésus, de son côté, se promène seul près du bassin, l’air pensif. Il semble absorbé tantôt par l’ombre noire que projette un laurier de grande taille, un vrai géant, tantôt par la lumière phosphorescente de la lune qui devient de plus en plus nette. Lumière si vive que le jet d’eau du bassin ressemble à un plumet de cristal qui se brise ensuite en éclats de brillants pour retomber et se perdre sur la surface tranquille du petit lac d’argent de la vasque. Jésus regarde et écoute les paroles de l’eau dans la nuit. Elles possèdent un son si musical qu’il réveille un rossignol endormi dans le laurier touffu. Il répond à l’arpège lent des gouttes par un son aigu de flûte, puis s’arrête comme pour prendre le ton et s’accorder à l’eau, enfin il attaque, en vrai roi du chant, son hymne de joie, parfait, varié, plein de douceur, de béatitude.
Jésus ne marche plus pour ne pas troubler par le bruit de ses pas la joie sereine du rossignol, sa propre joie aussi je crois, car il sourit, la tête inclinée, avec ravissement. Le rossignol tient et module par tons ascendants une note très pure. Je me demande comment un si petit gosier arrive ainsi à tenir une telle note. Quand finalement son chant s’arrête, Jésus s’écrie :
« Je te bénis, Père saint, pour cette perfection et pour la joie que tu m’as donnée ! »
Puis il reprend sa marche lente, lourde du poids de je ne sais quelle méditation.