622.1
Dans une riche pièce où la lumière de l’extérieur filtre à peine, Jeanne pleure dans un total abandon sur un siège près d’un lit bas, couvert de splendides couvertures. Un bras appuyé sur le bord du lit et le front posé sur son bras, elle est secouée de sanglots qui doivent lui rompre la poitrine. Essoufflée, elle lève un moment la tête pour respirer, laissant voir une large tache humide sur la couverture précieuse ; son visage est littéralement inondé de larmes. Puis elle le penche de nouveau sur son bras, et on ne voit plus d’elle que son cou, fin et très blanc, la masse de ses cheveux bruns, ses épaules et le sommet du tronc très élancés. Le reste se perd dans la pénombre qui fait disparaître son corps, enveloppé dans un vêtement violet foncé.
Sans déplacer le rideau ni entrouvrir la porte, Jésus entre et s’approche d’elle sans bruit. Il lui effleure les cheveux de sa main et demande dans un murmure :
« Pourquoi pleures-tu, Jeanne ?»
Jeanne doit croire que c’est son ange gardien qui l’interroge, et elle ne voit rien, car elle ne lève pas la tête du bord du lit. Dans un sanglot encore plus désolé, elle confie son tourment :
« Parce que je n’ai même plus le tombeau du Seigneur pour aller verser mes larmes et n’être pas seule…
– Mais il est ressuscité. N’en es-tu pas heureuse ?
– Oh si ! Mais toutes l’ont vu, excepté Marthe et moi. Marthe le verra sûrement à Béthanie… car là, c’est une maison amie. Mais la mienne… la mienne n’est plus une maison amie… J’ai tout perdu avec sa Passion : mon Maître, l’amour de mon mari… et même son âme… car il ne croit pas… il ne croit pas… et se gausse de moi… Il va jusqu’à m’imposer de ne plus même vénérer la mémoire de mon Sauveur, pour ne pas lui porter tort, à lui… Pour lui, l’intérêt humain est plus important… Moi… moi… je ne sais pas si je continue à l’aimer ou si j’éprouve pour lui du dégoût. Je ne sais s’il me faut lui obéir comme épouse ou lui désobéir, comme mon âme le souhaiterait, à cause du lien sponsal de mon esprit avec le Christ à qui je reste fidèle… Je voudrais tant savoir… Et qui pourrait me conseiller, si la pauvre Jeanne ne peut plus le rejoindre ? Pour mon Seigneur, la Passion est finie… mais pour moi, elle a commencé vendredi, et elle continue… Oh ! moi je suis si faible, je n’ai pas la force de porter cette croix !…
– Mais si lui t’aidait, voudrais-tu la porter pour lui ?
– Oh oui ! Pourvu qu’il m’aide… Il sait, lui, comme il est rude de porter seul sa croix… Ah ! pitié de mon malheur !
– Oui. Je sais combien il est rude de porter seul sa croix. C’est pour cela que je suis venu et que je suis à tes côtés.