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Des années ont dû passer, car Jean paraît être maintenant dans toute la force de l’âge, avec des membres plus robustes, un visage plus mûr, et ses cheveux, sa barbe et ses moustaches sont moins clairs.
Marie est en train de filer. Jean range la cuisine de la maison de Gethsémani dont les murs ont été récemment blanchis, et les objets de bois vernis : tabourets, portes, une étagère qui sert aussi de console pour la lampe. Marie n’a pas changé. Son aspect est frais et serein. Toute trace laissée sur son visage par la douleur de la mort de son Fils, de son retour au Ciel, des premières persécutions contre les chrétiens, a disparu. Le temps n’a pas laissé de trace sur ce doux visage, et l’âge n’a pas eu le pouvoir d’en altérer la fraîche et pure beauté.
La lampe, allumée sur la console, projette une lumière vacillante sur les mains petites et agiles de Marie, sur la filasse blanche enroulée sur la quenouille, sur le fil fin, sur le fuseau qui tournoie, sur les blonds cheveux rassemblés en un nœud pesant sur la nuque.
Par la porte ouverte, un clair rayon de lune pénètre dans la cuisine, s’étendant comme une raie d’argent de la porte jusqu’aux pieds du tabouret sur lequel Marie est assise. Elle a ainsi les pieds éclairés par le rayon de lune, les mains et la tête baignés de la lumière rougeâtre de la lampe. Dehors, dans les oliviers qui entourent la maison de Gethsémani, des rossignols chantent leur amour.
Soudain, ils se taisent comme s’ils étaient effrayés et, après quelques instants, un bruit de pas se fait entendre, se rapproche, et s’arrête sur le seuil de la cuisine, faisant disparaître le blanc rayon de lune qui couvrait d’une lueur argentée le pavage grossièr et sombre du sol.