258.1
C’est la même heure, mais le lendemain.
Jacques est encore retiré dans la fente de la montagne ; il est assis, tout pelotonné, la tête penchée presque jusqu’aux genoux qui sont levés et qu’il tient avec ses bras. Il médite profondément, ou il dort. Je ne m’en rends pas bien compte. Il est certainement insensible à ce qui se passe autour de lui, c’est-à-dire au combat de deux gros oiseaux qui, pour une raison ou une autre, se battent férocement dans le petit pré. Je dirais que ce sont des coqs de montagne, ou des coqs de bruyère, ou des faisans car ils ont la grosseur d’un jeune coq, des plumes de toutes les couleurs, mais ils n’ont pas de crête, seulement un petit casque de chair rouge comme du corail sur le sommet de la tête et sur les joues, et je vous assure que, si la tête est petite, le bec doit être comme une pointe d’acier. Les plumes volent en l’air et le sang coule par terre dans un fracas violent qui fait taire les sifflements, les trilles et les roulades dans les branches des arbres. Peut-être les oiseaux observent-ils la joute féroce… Jacques n’entend rien.
Jésus, au contraire, entend et descend du sommet où il était monté. En battant des mains, il sépare les combattants qui s’enfuient, tout ensanglantés, l’un vers la côte, l’autre au sommet d’un rouvre et là remet en ordre ses plumes tout hérissées et emmêlées.
Jacques ne lève pas même la tête au bruit fait par Jésus qui, en souriant, fait encore quelques pas et s’arrête au milieu du petit pré. Son vêtement blanc semble se teinter de rouge du côté droit tant est violent le brasier du crépuscule. On dirait vraiment que le ciel est en feu. Et pourtant Jacques ne doit pas dormir car, dès que Jésus susurre, – c’est le mot exact : il susurre – « Jacques, viens ici », il lève sa tête appuyée sur ses genoux et délace ses bras, en se levant et en allant vers Jésus. Il s’arrête en face de lui, à deux pas de distance et le regarde.
Jésus aussi regarde jacques ; il a l’air sérieux et pourtant il l’encourage d’un sourire qui ne vient pas des lèvres ni du regard, mais qui est néanmoins visible. Il le regarde fixement comme s’il voulait lire les moindres réactions et émotions de son cousin et apôtre. Comme hier, ce dernier, se sentant au seuil d’une révélation, devient pâle et le devient davantage encore, au point que son visage prend la couleur de son vêtement de lin quand Jésus lève les bras et lui pose les mains sur les épaules, en restant ainsi, bras tendus. Alors Jacques semble bien être une hostie. Seuls ses doux yeux marron foncé et sa barbe châtaine colorent ce visage attentif.