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La route qui mène de Gadara à Pella traverse une région fertile qui s’étend entre deux rangées de collines, l’une plus haute que l’autre. On dirait deux énormes marches d’un escalier de géants fabuleux pour monter de la vallée du Jourdain aux monts de l’Auran. Quand la route s’approche davantage de la marche occidentale, l’œil domine non seulement les monts de l’autre rive — je crois que ce sont ceux de Galilée méridionale et certainement ceux de Samarie — mais aussi la splendide étendue de verdure qui longe les deux rives du fleuve bleu. Quand elle s’en écarte, et se rapproche des chaînes orientales, alors le regard perd de vue la vallée du Jourdain, mais il aperçoit encore les cimes des chaînes de Samarie et de Galilée qui se détachent avec leur végétation sur le ciel gris.
Par temps de soleil, ce serait un beau panorama aux jolies teintes vives. Aujourd’hui le ciel reste décidément couvert de nuages bas, amoncelés par le sirocco qui souffle de plus en plus fort et forme de nouveaux amas de nuages plus épais, abaissant d’autant le ciel sous toute cette ouate grise ébouriffée. Le spectacle perd ainsi la luminosité des couleurs vertes qui semblent atténuées comme par l’opacité du brouillard.
Ils traversent quelques petits villages sans qu’il arrive rien de notable. L’indifférence accueille et suit le Maître. Seuls les mendiants ne manquent pas de s’intéresser au groupe des pèlerins galiléens et viennent demander l’aumône. Il y a toujours les habituels aveugles dont, pour la plupart, les yeux sont détruits par le trachome, ou les malvoyants qui marchent la tête baissée, supportant mal la lumière, rasant les murs, parfois seuls, parfois accompagnés d’une femme ou d’un enfant. Dans un village où la route de Pella croise celle qui mène à Gérasa et à Bozra par le lac de Tibériade, il y en a toute une foule qui assaille les caravanes de ses lamentations semblables à des jappements de chiens, interrompus de temps à autre par de véritables hurlements. Ils sont à l’écoute – groupe miséreux, sale, fatigué –, adossés aux murs des premières maisons, grignotant des croûtes de pain et des olives, ou sommeillant, tandis que les mouches se repaissent à l’aise sur les paupières ulcérées ; mais au premier bruit de sabots ou de pas nombreux, ils se lèvent et se dirigent, tels le chœur va-nu-pieds d’une tragédie antique, proférant tous les mêmes paroles et faisant les mêmes gestes, vers les gens qui arrivent. Quelques pièces de monnaie ou quignons de pain volent, et les aveugles ou malvoyants cherchent à tâtons dans la poussière ou dans les ordures pour trouver l’obole.