394.1
Jésus parle à l’intérieur de la synagogue de Kérioth, incroyablement bondée. Il est en train de répondre aux uns et aux autres qui lui demandent conseil sur des questions personnelles, en particulier. Puis, après les avoir satisfaits, il commence à parler à haute voix.
« Habitants de Kérioth, écoutez ma parabole d’adieu. Nous lui donnerons comme nom : “ Les deux volontés. ”
Un père parfait avait deux fils, aimés tous les deux d’un même et sage amour, tous les deux engagés sur de bons chemins. Il ne faisait aucune distinction dans la manière de les aimer et de les diriger. Et pourtant il y avait une différence sensible entre les deux fils.
L’un, l’aîné, était humble, obéissant, il faisait la volonté paternelle sans discuter, il était toujours gai et content de son travail.
L’autre, bien que moins âgé, était souvent mécontent, et il avait des discussions avec son père et avec lui-même. Il ne cessait de réfléchir, de faire des réflexions très humaines sur les conseils et les ordres qu’il recevait. Au lieu de les exécuter tels qu’ils lui étaient donnés, il se permettait de les modifier en tout ou en partie, comme si celui qui commandait était un imbécile. L’aîné lui disait :
“ N’agis pas ainsi. Tu fais de la peine à notre père ! ”
Mais lui répondait :
“ Tu n’es qu’un minable ! Tu as beau être grand et fort, qui plus est l’aîné , et adulte désormais… Ah ! moi, je n’aurais pas voulu en rester au rang où notre père t’a mis. Je voudrais faire davantage : m’imposer aux serviteurs. Qu’ils comprennent que c’est moi le maître. Avec ta sempiternelle douceur, tu sembles être un serviteur toi aussi. Tu ne vois pas comme, au fond, tu passes inaperçu, malgré ta qualité d’aîné ? Certains vont jusqu’à se moquer de toi…”
Le cadet, tenté — plus que cela : disciple de Satan dont il mettait attentivement en pratique toutes les insinuations — tentait à son tour son frère aîné. Mais celui-ci, fidèle au Seigneur et à l’observance de la Loi, restait également loyal envers son père, qu’il honorait par sa conduite parfaite.
Les années passèrent et le cadet, irrité de ne pouvoir régner comme il le rêvait, supplia plusieurs fois son père :
“ Donne-moi l’ordre d’agir en ton nom, pour ton honneur, au lieu de le laisser à cet imbécile qui est plus doux qu’une brebis. ”
Il essaya de pousser son frère à en faire plus que leur père ne commandait pour s’imposer aux serviteurs, aux voisins, aux concitoyens. Finalement, il se dit :
“ En voilà assez ! C’est notre réputation qui est en jeu ! Puisque personne n’est à la hauteur, moi, je vais m’y employer. ”
Et il se mit à n’en faire qu’à sa tête, s’abandonnant à l’orgueil et au mensonge, et désobéissant sans scrupule.
Son père lui disait :
“ Mon fils, reste soumis à ton aîné, lui sait ce qui est bon.”
Il demandait :
“ On m’a rapporté que tu as fait ceci et cela, est-ce vrai ? ”
A cela, le cadet répondait en haussant les épaules :
“ Il sait, il sait ! Il est trop timide, hésitant. Il manque les occasions de triompher. ” Il ajoutait :
“ Moi, je n’ai pas agi ainsi. ”
Le père lui conseillait :
“ Ne recherche pas l’aide de telle ou telle personne. Qui pourrait t’aider, mieux que nous, à donner de l’éclat à notre nom ? Ce sont de faux amis qui t’excitent pour rire ensuite à tes dépens. ”
Et le cadet rétorquait :
“ Tu es jaloux que ce soit moi qui prenne l’initiative ? Du reste, je sais que je me débrouille bien. ”
Le temps passa. Le premier grandissait toujours plus en justice, l’autre nourrissait de mauvaises passions. A la fin, le père trancha :
“ Voici venu le moment d’en finir. Soit tu te soumets à ce que je te dis, soit tu perds mon amour. ”
Le rebelle alla rapporter cela à ses faux amis.
“ Tu t’en fais pour ça ? Mais non ! Il y a un moyen de placer ton père dans l’impossibilité de préférer un fils à l’autre : mets-le entre nos mains et nous en ferons notre affaire. Tu seras exempt de faute matérielle et la possession des biens redeviendra florissante car, après avoir fait disparaître ton frère trop indulgent, tu pourras leur donner un grand éclat. Ne sais-tu pas qu’un coup de force, quitte à ce qu’il fasse souffrir, vaut mieux que l’inertie qui gâte la possession ? ” répondirent-ils.
Et le cadet, désormais totalement livré à la perversité, adhéra à cet indigne complot.
Maintenant, dites-moi : peut-on accuser le père d’avoir donné à ses fils deux méthodes d’éducation ? Peut-on dire qu’il est complice ? Non. Comment se fait-il donc que, alors qu’un fils est saint, l’autre soit pervers ? La volonté de l’homme lui est-elle à l’avance donnée de deux façons ? Non. Elle est identique. Mais l’homme la change à sa guise : celui qui est bon rend sa volonté bonne, le mauvais la rend mauvaise.