Ils entrent dans Giscala, qui est une belle et grande ville, bien tenue. Il doit y avoir un centre rabbinique florissant car je vois beaucoup de docteurs rassemblés en groupes çà et là, avec, à côté d’eux, des élèves qui écoutent leurs leçons. Le passage des apôtres et surtout du Maître est très remarqué, et beaucoup se mettent à suivre leur groupe. Quelques-uns ricanent, d’autres appellent Judas. Mais ce dernier marche à côté du Maître et ne se retourne même pas. Ils sortent de la ville et se dirigent vers la maison près de laquelle se trouve la tombe d’Hillel.
« Quel toupet !
– Il est imprudent et impudent !
– Il nous provoque !
– Profanateur !
– Dis-le-lui, Uziel.
– Moi, je ne me contamine pas. Dis-le-lui, toi, Saül, puisque tu n’es qu’un élève.
– Non. Parlons-en à Judas. Va l’appeler. »
Le jeune appelé Saül, un maigrelet, pâle, tout en yeux et en bouche, va trouver Judas et lui dit:
«Viens. Les rabbis te demandent.
– Je ne viens pas. Je reste là où je suis. Laissez-moi tranquille. »
Le jeune homme revient et le rapporte à ses maîtres.
Pendant ce temps Jésus, entouré de ses disciples, prie avec respect près du tombeau de pierre blanche d’Hillel.
Les rabbis s’approchent doucement, comme des serpents silencieux, et ils lorgnent. Et deux barbus, âgés, tirent le vêtement de Judas qui, en se mettant en prière, ne s’est plus trouvé défendu par le groupe de ses compagnons.
« Mais enfin, que voulez-vous ? » demande-t-il, tout bas, mais sur un ton irrité. « On ne peut même pas prier ?
– Un seul mot, puis nous te laissons en paix. »
Simon le Zélote et Jude se retournent et font taire les murmures. Judas s’éloigne à deux ou trois pas et demande :
« Que voulez-vous ? »
Je n’entends pas ce que lui murmure à l’oreille le plus âgé. Mais je vois bien la réaction de Judas, qui s’écarte vivement en disant :
« Non. Laissez-moi tranquille, âmes empoisonnées. Je ne vous connais pas, je ne veux plus vous connaître. »
Un éclat de rire méprisant sort du petit groupe des rabbis ainsi qu’une menace :
« Attention à ce que tu fais, pauvre imbécile !
– Attention à vous ! Partez ! Allez aussi le dire aux autres. A tous les autres. Avez-vous compris ? Adressez-vous à qui bon vous semble, pas à moi, démons que vous êtes ! »
Sur ce, il les laisse en plan.
Il a parlé si fort que les apôtres se sont retournés, stupéfaits. Pas Jésus. Même pas pour l’éclat de rire méprisant et la promesse “ Nous nous reverrons, Judas, fils de Simon ! Nous nous reverrons ! ” qui résonne dans le silence qui les entoure. Judas revient à sa place, bien plus, il prend la place d’André qui s’était mis près de Jésus et, comme pour en être défendu et protégé, il prend dans ses mains un pan du manteau de Jésus.