– Qu’as-tu fait ce matin ?
– J’ai parlé… J’ai expliqué les prophètes, encore une fois. Mais ils ne comprennent pas…
– Aucun miracle, Maître ? demande Matthieu.
– Aucun. Un pardon et une défense.
– Qui était-ce ? Qui attaquait ?
– Ceux qui se croient sans péché accusaient une pécheresse. Je l’ai sauvée.
– Mais si c’était une pécheresse, ils avaient raison !
– Sa chair était certainement pécheresse. Son âme… J’aurais beaucoup à dire sur les âmes. Et je n’appellerais pas pécheresses seulement celles dont la faute est évidente. Sont pécheresses aussi celles qui en poussent d’autres à pécher. Et leur péché est plus rusé. Elles jouent à la fois le rôle du serpent et du pécheur.
– Qu’avait donc commis cette femme ?
– Un adultère.
– Un adultère ? Et tu l’as sauvée ! Tu n’aurais pas dû ! s’écrie Judas.
Jésus le regarde fixement :
« Pourquoi ne l’aurais-je pas dû ?
– Mais parce que… Cela peut te nuire. Tu sais comme ils te haïssent et cherchent des accusations contre toi ! Or il est certain que… sauver une femme adultère, c’est aller contre la Loi.
– Je n’ai pas dit que je la sauvais. Je leur ai seulement dit : “ Que celui qui est sans péché la frappe. ” Or personne ne l’a frappée, car personne n’était sans péché. J’ai donc confirmé la Loi qui prescrit la lapidation pour les adultères, mais j’ai sauvé la femme, car il ne s’est pas trouvé de lapidateur.
– Mais toi…
– Tu aurais voulu que, moi, je la lapide ? Cela aurait été juste car, moi, j’aurais été en droit de le faire, mais j’aurais alors manqué de miséricorde.
– Ah ! elle s’était repentie ! Elle t’a supplié, et toi…
– Non. Elle ne s’était même pas repentie. Elle était seulement humiliée et effrayée.
– Mais alors… pourquoi ?… Je ne te comprends plus ! Avant, je pouvais encore comprendre tes pardons à Marie de Magdala, à Jean d’En-Dor, à… en somme à beaucoup de pé…
– Dis-le carrément, Judas : à Matthieu. Moi, je ne m’en formalise pas. Au contraire, je te suis reconnaissant si tu m’aides à me rappeler ma dette de reconnaissance envers mon Maître, interrompt Matthieu avec calme et dignité.
– Eh bien, oui, même à Matthieu… Mais eux s’étaient repentis de leurs péchés, de leur vie de désordre. Mais elle !… Je ne te comprends plus ! Et je ne suis pas le seul à ne pas te comprendre…
– Je le sais. Tu ne me comprends pas, Judas… Tu m’as toujours peu compris, et tu n’es pas le seul. Mais cela ne modifie en rien ma façon d’agir.
– Le pardon ne doit être accordé qu’à ceux qui le demandent.
– Ah ! Si Dieu devait pardonner seulement à ceux qui le demandent, et frapper aussitôt celui dont la faute n’est pas suivie de repentir… Tu ne t’es jamais entendu pardonner avant de t’être repenti ? Peux-tu vraiment affirmer que c’est parce que tu t’es repenti que tu as été pardonné ?
– Maître, moi…