Le repas commence. Au début, on discute de choses et d’autres. Puis cela devient plus intéressant. Et, comme les blessures font souffrir et que les chaînes pèsent lourd, revoilà l’éternel discours sur l’esclavage dans lequel Rome tient la Palestine. Je ne sais si ce sujet a été choisi intentionnellement ou sans mauvaise intention. Ce que je sais, c’est que les cinq pharisiens se plaignent de nouvelles vexations romaines comme d’un sacrilège, et ils veulent intéresser Jésus à la discussion.
« Tu comprends, ils veulent examiner scrupuleusement nos recettes. Et, comme ils ont compris que nous nous réunissons dans les synagogues pour parler de cela et d’eux, ils nous menacent d’y entrer, sans aucun respect. Je crains que, un beau jour, ils n’entrent même dans les maisons des prêtres ! S’écrie Joachim.
– Et toi, qu’en dis-tu ? N’en es-tu pas dégoûté ? » demande Eli.
Interpellé, directement, Jésus répond :
« Comme juif oui, comme homme non.
– Pourquoi cette distinction ? Je ne comprends pas. Es-tu deux en un ?
– Non. Mais il y a en moi d’une part la chair et le sang – en somme, l’animal – et d’autre part l’âme. Mon âme de juif respectueux de la Loi souffre de ces profanations. Pas la chair et le sang, car il me manque l’aiguillon qui vous blesse, vous.
– Lequel ?
– L’intérêt. Vous dites que vous vous réunissez dans les synagogues pour parler aussi d’affaires sans avoir à craindre des oreilles indiscrètes. Vous redoutez de ne plus pouvoir le faire, par conséquent vous redoutez de ne plus pouvoir dissimuler au fisc le moindre sou, donc d’être soumis à des taxes en juste rapport avec vos biens. Moi, je n’ai rien. Je vis de la bonté de mon prochain et de mon amour pour lui. Je ne possède ni or, ni champs, ni vignobles, et je n’ai pas d’autre maison que celle de ma mère, si petite et si pauvre que le fisc la néglige. Je ne suis donc pas poussé par la crainte qu’on découvre de fausses déclarations, d’être taxé et puni. Tout ce que j’ai, c’est la Parole que Dieu m’a donnée et que j’annonce. Or c’est une chose tellement élevée que l’homme ne saurait la taxer.