Il entre, ferme la porte, verse de l’eau chaude dans un broc, déchausse Jésus, le sert. Avant de lui remettre les sandales, il baise son pied nu et se le met sur le cou en disant :
« Voilà ! Pour que tu écrases les restes du vieux Zachée ! »
Il se lève, regarde Jésus avec un sourire qui tremble sur ses lèvres, un sourire humble, quelque peu mouillé de larmes. Il a un geste pour indiquer tout l’environnement et dit :
« J’ai tant péché, ici ! Mais j’ai tout changé, pour que ce qui avait cette saveur ne me soit plus présent… Les souvenirs… Je suis faible… J’ai laissé seulement vivre le souvenir de ma conversion dans ces murs nus, dans ce lit dur… Le reste… J’en ai fait de l’argent parce qu’il ne m’en restait plus et que je voulais faire du bien. Assieds-toi, Maître… »
Jésus s’assied sur un siège de bois, et Zachée se met par terre, à ses pieds, moitié assis, moitié agenouillé. Il reprend :
« Je ne sais si j’ai bien fait, si tu peux approuver mon action. Peut-être ai-je commencé par là où je devais finir, mais eux aussi y sont. Et seul un vieux publicain peut ne pas éprouver de dégoût pour eux en Israël. Non, je me suis mal exprimé : non seulement un vieux publicain, mais toi aussi, ou plutôt c’est toi qui m’as enseigné à les aimer vraiment. Auparavant, ils étaient mes complices dans le vice, mais je ne les aimais pas. Maintenant je les réprime, mais je les aime. Toi et moi. Le tout Saint, le pécheur converti. Toi, parce que tu n’as jamais péché et que tu veux nous transmettre la joie, qui est tienne, de l’Homme sans faute. Et moi, parce que j’ai beaucoup péché, et je sais comme est douce la paix qui vient du fait d’être pardonné, racheté, renouvelé… Je l’ai voulue pour eux. Je les ai recherchés. Ah ! cela a été dur au commencement ! Je voulais les rendre bons, or je devais déjà moi-même me rendre bon… Quelle peine ! Me surveiller, car je me rendais compte qu’ils me surveillaient. Il aurait suffi d’un rien pour les éloigner… Et puis… Plusieurs péchaient par besoin, par nécessité professionnelle. J’ai tout vendu afin d’en retirer de l’argent pour les entretenir jusqu’à ce qu’ils trouvent d’autres métiers moins rentables, plus fatigants, mais honnêtes. Et il y a toujours l’un ou l’autre qui vient, un peu par curiosité, un peu par désir d’être un homme et pas seulement un animal. Et je dois les recevoir, tant qu’ils ne se sont pas faits au nouveau joug. Plusieurs se sont fait circoncire, en guise de premier pas vers le vrai Dieu. Mais je ne l’impose pas. J’ai de larges bras pour embrasser les misères, moi qui ne peux en éprouver du dégoût. Je voudrais, moi aussi, leur procurer ce que tu voudrais donner à tous : la joie de ne plus avoir de remords, puisque nous ne pouvons pas être sans faute comme toi. Maintenant dis-moi, mon Seigneur, si je suis allé trop loin.
– Tu as bien travaillé, Zachée. Tu leur donnes plus que tu n’espères et plus que tu ne penses que je veuille donner aux hommes. Non seulement la joie d’être pardonnés, sans remords, mais celle d’être bientôt citoyens de mon Royaume céleste. Je n’ignorais pas tes œuvres : je suivais tes progrès sur le chemin ardu mais glorieux de la charité ; car c’est de la charité, et de la plus pure. Tu as compris la parole du Royaume. Peu l’ont comprise, parce que survit en eux leur ancienne conception et la conviction d’être déjà saints et savants. Toi, une fois ton passé retiré de ton cœur, tu es resté vide, et tu as pu, tu as voulu plutôt, intérioriser les paroles nouvelles, l’avenir, l’éternel. Continue ainsi, Zachée, et tu seras le percepteur de ton Seigneur Jésus, dit Jésus pour finir en souriant et en mettant sa main sur la tête de Zachée.
– Tu m’approuves, Seigneur ? En tout ?
– En tout, Zachée.