80.1
Une aurore superbe dans un lieu sauvage. Une aurore au sommet d’une pente montagneuse. A peine la première lueur du jour. Dans le ciel, les dernières étoiles visibles et un fin croissant de la lune décroissante qui reste, telle une virgule d’argent, sur le velours sombre du ciel.
La montagne semble indépendante, sans lien avec d’autres chaînes. Mais c’est un vrai mont, pas une colline. Le sommet est beaucoup plus haut et pourtant on découvre, à mi-hauteur, un large horizon qui prouve qu’on s’est élevé de beaucoup au-dessus du niveau du sol. La lumière incertaine de l’aube, d’un blanc verdâtre qui devient plus clair, se fraie une route dans l’air frisquet du matin, tandis que se révèlent les contours et les détails que dissimulait d’abord la brume qui précède le jour ; elle est toujours plus sombre qu’une nuit car, au moment du passage de la nuit au jour, la lumière des astres diminue et semble même s’effacer. Je vois ainsi que cette montagne est rocheuse, dénudée, coupée d’anfractuosités qui forment des grottes, des antres et des refuges. C’est vraiment un lieu sauvage. Aux seuls endroits où un peu de terre s’est accumulée pour pouvoir recueillir l’eau du ciel et la conserver, on voit des touffes de verdure, des plantes qui n’ont guère qu’une tige épineuse, avec un rare feuillage, et, à ras de terre, des buissons ligneux de végétaux qui ressemblent à des baguettes vertes, mais dont j’ignore le nom.
En bas, se trouve une étendue, plus aride encore, plate, pierreuse, et qui devient toujours plus aride à mesure qu’on se rapproche d’un lieu obscur, plus long que large, au moins cinq fois plus long que large. Je pense qu’il s’agit d’une oasis luxuriante qu’ont fait naître des eaux souterraines dans ce paysage désolé. Cependant, quand la lumière devient plus vive, je vois que c’est une étendue d’eau. Une eau stagnante, sombre, morte. Un lac d’une tristesse infinie. Dans cette lumière encore incertaine, cela me remet en mémoire la vision[1] du monde mort. Le lac semble attirer à lui l’image sombre du ciel, et toute la tristesse du paysage environnant. Il semble refléter dans ses eaux immobiles le vert sombre des plantes épineuses et des herbes rigides – qui, sur des kilomètres et des kilomètres, en plaine et sur les pentes, forment l’unique parure du sol –, et en faire un philtre de tristesse noire qui s’en dégage et se répand sur tout l’environnement. Quelle différence avec le lumineux et riant lac de Génésareth !
Si on lève les yeux vers le ciel, d’une absolue sérénité, qui s’éclaire petit à petit, si l’on regarde la lumière qui de l’orient se répand comme une marée lumineuse, l’âme redevient joyeuse. Mais la vue de cette immense mer d’eau morte vous serre le cœur. Aucun oiseau ne la survole. Aucun animal sur ses rives. Rien.