« De Jabnia, est-ce que nous irons à Acron ? » demandent les apôtres.
Ils traversent une campagne très fertile où les blés dorment de leur dernier sommeil, sous le soleil, sous ce grand soleil qui les a fait mûrir, étendus en gerbes dans les champs fauchés et tristes comme autant d’immenses lits funèbres, maintenant qu’ils ne sont plus revêtus d’épis, mais de dépouilles qui attendent d’être transportées ailleurs.
Mais si les champs sont nus, les vergers sont en habits de fête : les fruits se hâtent de mûrir, ils passent du vert cru du fruit encore jeune au vert tendre, jaune, rosé, brillant comme la cire, du fruit qui arrive à maturité. Les figuiers ouvrent l’écrin de leurs fruits, en en faisant éclater la peau souple, le doux écrin du fruit-fleur et montrent, sous la fente verte-blanche ou violette et blanche, la gélatine transparente et criblée des petits grains rose foncé de la pulpe. Une brise légère agite les olives couleur de jade au milieu du feuillage vert argenté des oliviers. Solides sur leur pied, les noyers imposants présentent leurs fruits qui se gonflent sous la peluche de leur brou pendant que les amandes achèvent de mûrir dans leur enveloppe dont le velours se ride et change de couleur. Les vignes gonflent leurs grains et quelques grappes bien exposées commencent à prendre la couleur transparente de la topaze et du futur rubis des grains mûrs. Pendant ce temps, les cactées de la plaine ou des bas coteaux exultent sous les couleurs de jour en jour plus gaies des ovules de corail bizarrement posées par quelque joyeux décorateur au sommet des spatules charnues qui ressemblent à autant de mains ; ces dernières forment en se fermant des étuis piquants qui tendent vers le ciel les fruits qu’elles ont fait croître et mûrir.
Des palmiers isolés et des caroubiers en groupe rappellent déjà l’Afrique toute proche. Les premiers font résonner les castagnettes de leurs feuilles dures en éventail et les caroubiers habillés de vert foncé plastronnent, tout fiers de leur revêtement somptueux. Des chèvres blanches ou noires, grandes, agiles, aux longues cornes recourbées, aux yeux doux et vifs broutent les cactées et donnent l’assaut aux agaves charnus, à ces énormes pinceaux de feuilles dures et épaisses qui ont l’air d’artichauts ouverts au milieu desquels se dresse le candélabre de cathédrale formé par leur tige géante aux sept bras sur lesquels flamboie une fleur jaune et rouge au parfum agréable. L’Afrique et l’Europe se donnent la main pour recouvrir le sol de splendeurs végétales.