Les pèlerins, malgré la fatigue d’une longue marche faite peut-être en deux étapes du crépuscule à l’aurore par des sentiers certainement peu praticables, ne peuvent retenir un cri d’admiration : après avoir franchi le dernier tronçon de route sur une côte où des diamants étincellent au premier soleil du matin, le panorama complet des deux rives de la Mer Morte[1] se déploie devant eux.
Sur la rive occidentale, une étroite plaine s’étend entre la Mer Morte et la ligne des collines qui, malgré leur faible altitude, semblent être la dernière vague des monts de Judée — une vague qui s’est avancée jusqu’au rivage désolé et est restée là, couverte d’une belle végétation, après avoir mis le désert nu entre la plus proche chaîne de Judée et elle.
Sur la rive orientale, en revanche, des montagnes tombent presque à pic dans le bassin de la Mer Morte. On a vraiment l’impression que le terrain, au cours de quelque épouvantable catastrophe tellurique, a ainsi été tranché net, en laissant auprès du lac des lézardes verticales par où descendent des torrents plus ou moins alimentés dont les eaux, destinées à s’évaporer pour ne laisser que du sel, se jettent dans les eaux somâtres, maudites, de la Mer Morte. Derrière, au-delà du lac et de la première corniche de hauteurs, encore et encore d’autres pics resplendissent dans le soleil du matin. Au nord, on voit l’embouchure bleu-vert du Jourdain et, au sud, des monts qui font une corniche au lac.
C’est un spectacle d’une grandeur solennelle, triste, austère, où se fondent les riants paysages des montagnes et la sombre image de la Mer Morte qui semble rappeler, par son aspect, ce que peuvent causer, d’une part le péché, d’autre part la colère du Seigneur. Il est en effet désolant de voir cet immense miroir d’eau sans une voile, sans une barque qui le sillonne, sans un oiseau qui le survole, sans un animal qui vienne boire sur ses rives !
Contrastant avec cette évocation de châtiment de la mer, les effets miraculeux du soleil sur les collines et sur les dunes, jusque sur les sables du désert — où les cristaux de sel rssemblent à des jaspes précieux répandus sur le sable, sur les pierres, sur les tiges rigides des plantes du désert —, forment un spectacle de toute beauté par la poussière de diamant qui recouvre toutes choses. Plus miraculeux encore est ce plateau fertile qui domine la mer de cent à cent cinquante mètres de haut : il est couvert de palmiers splendides, de vignes et d’arbres de toute espèce, parcouru par des ruisseaux azurés et il s’y s’étend une belle ville entourée de campagnes luxuriantes. Quand le regard passe de la sinistre apparence de la mer, de la forme tourmentée de la rive orientale — qui ne présente une tristesse paisible que dans une langue de terre basse et verte qui s’avance au sud-est dans la mer —, de l’aspect désolé du désert de Juda, de l’air sévère des monts de Judée, à cette vue si douce, riante, fleurie, on a l’impression qu’un cauchemar de fièvre s’évanouit pour faire place à une suave vision de paix.