Vers le crépuscule, un crépuscule de feu qui rougit les maisons toutes blanches d’Engaddi et donne à la Mer Morte des reflets de nacre noire, Jésus se dirige vers la place principale. Le jeune homme qui l’a hébergé l’accompagne et le guide à travers les méandres de la ville, à l’architecture vraiment orientale.
Le soleil doit être très fort dans ces lieux ainsi ouverts en face de la lourde surface de la Mer Salée. J’ai l’impression que, en été, il doit en sortir des souffles ardents, isolée comme l’est cette ville au milieu du désert aride que le soleil doit battre sans pitié en rendant brûlant le terrain. Pour s’en défendre, les habitants d’Engaddi ont tracé des rues étroites, qui paraissent l’être encore plus à cause des gouttières et des corniches des maisons qui s’avancent largement, de sorte qu’en levant les yeux, on ne voit apparaître qu’une bande étroite de ciel, d’un bleu violent.
Les maisons sont élevées, presque toutes à deux étages, surmontées d’une terrasse sur laquelle, malgré la hauteur, grimpent et s’étendent des vignes pour faire de l’ombre et offrir le plaisir des grappes qui, une fois mûries sous le soleil souverain, dans la réverbération des murs et du sol de la terrasse, doivent être sucrées comme le raisin sec de Damas. Ces vignes rivalisent pour permettre aux hommes et aux oiseaux d’y trouver du repos. Des passereaux aux pigeons, il y a une foule d’oiseaux qui nichent à Engaddi, profitant des grands palmiers qui poussent un peu partout, et des opulents arbres fruitiers qui s’élèvent dans les cours, dans les jardins enserrés par les maisons, se penchent au-dessus des venelles et retombent par dessus les murs blanchis. Leurs branches chargées de fruits, qui mûrissent au joyeux soleil, dépassent les nombreuses arcades qui, à certains endroits, forment de véritables galeries interrompues çà et là par des exigences architectoniques, et montent vers le ciel bleu, si uni, d’une couleur si moelleuse qu’il donne l’impression que, s’il était possible de l’atteindre, on palperait un lourd velours ou un cuir lisse peint et teint par quelque sage artiste dans ce ton parfait, plus dense qu’une turquoise, moins qu’un saphir, très beau, inoubliable.
Quant aux eaux… Que de sources et de fontaines doivent jaillir dans les cours et les jardins des maisons, au sein de la verdure de mille plantes ! En passant dans les ruelles encore désertes — car les habitants sont au travail ou chez eux —, on entend l’eau couler, clapoter, chanter, comme autant de notes d’une harpe pincée par quelque artiste invisible. Et pour en augmenter le charme, les arcades, les tournants continuels des rues recueillent ces gazouillis, les amplifient, augmentent leur nombre par l’effet des échos pour en faire tout un arpège.
Et des palmiers, des palmiers, encore des palmiers ! Sur la moindre petite place large comme une pièce d’habitation, on voit leurs troncs, minces, très élevés, grimper vers le ciel. Tout en haut, un léger mouvement de balancement des feuilles, serrées comme un panache en haut du fût, les fait bruire. L’ombre, qui tombe sûrement à pic en plein midi sur la minuscule place et la couvre tout entière, se reflète maintenant d’une étrange manière sur les murets des plus hautes terrasses.
Mais Engaddi est propre, en comparaison des villes de Palestine. Peut-être le fait que les maisons soient serrées les unes contre les autres, qu’elles aient toutes des cours et des jardins cultivés, a-t-il contribué à enseigner aux habitants à ne pas jeter toutes leurs immondices dans les rues, et à les recueillir, au contraire, avec les ordures des animaux pour en faire des tas de fumier destinés aux arbres et aux plates-bandes, ou bien… par un rare souci d’ordre. Les ruelles sont propres, asséchées par le soleil, et on n’y trouve pas les peu gracieux tas d’épluchures jetées au rebut, les sandales éculées, les chiffons sales, les excréments et autres déchets infects que l’on voit dans Jérusalem elle-même, dans les rues à peine périphériques.