Je vois Jésus. C’est un adolescent. Il porte une tunique faite, me semble-t-il, de lin blanc qui lui descend jusqu’aux pieds. Par-dessus, il s’est drapé dans une étoffe rectangulaire rouge clair. Il est tête nue avec des cheveux longs qui lui descendent à la moitié des oreilles, plus foncés que lorsque je l’ai vu plus petit. C’est un garçon robuste, très grand pour son âge, mais dont le visage est encore enfantin.
Il me regarde et me sourit en me tendant les mains. Son sourire, pourtant, ressemble déjà à celui que je lui vois adulte : doux et plutôt sérieux. Il est seul. Je ne vois rien d’autre en ce moment. Il est appuyé à un petit mur au-dessus d’une ruelle tout en montées et en descentes, pierreuse, avec au milieu une rigole qui, par temps de pluie, se transforme sûrement en ruisseau. Mais il est à sec pour le moment car la journée est belle.
J’ai l’impression de m’approcher, moi aussi, du muret et de regarder à l’entour et en bas comme le fait Jésus. Je vois un groupe de maisons disposées sans aucun ordre. Il y en a de hautes, de basses, orientées dans tous les sens. On dirait – la comparaison est pauvre mais assez juste – une poignée de cailloux blancs jetés sur un terrain obscur. Les rues et ruelles ressemblent à des veines au milieu de cette blancheur. Çà et là des arbres sortent d’entre les murs. Beaucoup sont en fleurs et beaucoup couverts de feuilles nouvelles. Ce doit être le printemps.
A gauche, par rapport à moi qui regarde, il y a un grand ensemble de bâtiments, disposé sur trois rangées de terrasses couvertes de constructions, et puis des tours, des cours et des portiques au centre desquels s’élève un édifice plus haut, majestueux, très riche, à dômes ronds qui brillent au soleil comme s’ils étaient couverts de métal : cuivre ou or. Le tout est entouré d’une muraille crénelée, aux créneaux en forme decomme si c’était une forteresse. Une tour plus haute que les autres, à cheval sur une rue plutôt étroite et montante, domine nettement ce vaste ensemble. On dirait une sentinelle sévère.
Jésus regarde fixement cet endroit, puis il se retourne et s’adosse de nouveau au muret comme il l’était auparavant, puis il regarde une butte qui est en face de l’ensemble de bâtiments, un monticule couvert de maisons jusqu’à la base et ensuite dénudé. Je vois qu’une rue se termine là par un arc au-delà duquel il n’y a plus qu’une rue pavée de pierres quadrangulaires, irrégulières et disjointes. Elles ne sont pas exagérément grandes comme les pierres des routes consulaires romaines. Elles ressemblent plutôt aux pierres classiques mais disjointes des vieux trottoirs de Viareggio (je ne sais s’ils existent encore). C’est une mauvaise route. Le visage de Jésus devient tellement sérieux que je me mets à chercher sur ce monticule la cause de cette tristesse. Mais je n’y vois rien de spécial. C’est une hauteur dénudée, c’est tout. En revanche, je perds Jésus car, quand je me retourne, il n’est plus là. Et je m’assoupis avec cette vision…