Une fois passée la semaine sainte et par conséquent la pénitence de ne pas voir, revoilà ce matin la vision spirituelle de l’Evangile. Cette joie, qui s’annonce toujours par un indescriptible sentiment de jubilation surhumaine, me fait oublier toute mon anxiété…
… Je vois Jésus cheminer encore le long des bosquets qui bordent le fleuve. Il s’arrête pour ordonner une halte en ces heures trop chaudes pour permettre la marche. Car, si l’entrelacement étroit des branches abrite du soleil, c’est aussi une chape qui fait obstacle au mouvement à peine sensible de la brise, de sorte que, au-dessous, l’air est chaud, immobile, lourd, d’une humidité qui se dégage du sol près du fleuve, une humidité qui ne détend pas, mais qui colle au corps en se mêlant à la transpiration, qui est déjà un tourment.
« Arrêtons-nous jusqu’au soir. Ensuite, nous descendrons sur la grève qui blanchit sous la lumière des étoiles et nous reprendrons notre route de nuit. Maintenant, mangeons et reposons-nous.
– Ah ! avant de manger, je vais me rafraîchir en prenant un bain. L’eau sera tiède comme une tisane pour la toux, mais cela servira à m’enlever la sueur. Qui vient avec moi ? » demande Pierre.
Tous l’accompagnent, même Jésus qui, comme les autres, est en nage et a son vêtement alourdi par la poussière et la transpiration. Chacun d’eux prend un vêtement propre dans son sac, et ils descendent au fleuve. Il ne reste sur l’herbe, pour signaler leur halte, que les treize sacs et les gourdes que gardent les vieux arbres et d’innombrables oiseaux qui épient avec curiosité, de leurs petits yeux de jais, ces sacs gonflés et multicolores épars sur l’herbe.
Les voix des baigneurs s’éloignent et se perdent dans le bruissement du fleuve. Seul, de temps à autre, quelque bruyant éclat de rire des plus jeunes résonne comme une note aiguë au-dessus des accords bas et monotones du fleuve.