Je vois l’intérieur de la maison de Nazareth : une pièce, une salle de séjour dirait-on, où la sainte Famille prend ses repas et se délasse aux heures de repos. Cette toute petite pièce ne comprend qu’une simple table rectangulaire à côté d’une sorte de coffre rangé contre un mur. Il sert de siège d’un côté. Contre les autres murs se trouvent un métier à tisser et un tabouret, puis deux autres tabourets et une étagère avec des lampes à huile et quelques autres objets. Une porte est ouverte sur le jardin. Le soir doit être proche car il n’y a plus qu’un dernier rayon de soleil sur la cime d’un grand arbre dont les toutes premières feuilles commencent à peine à verdir.
Jésus est assis à table. Il mange, tandis que Marie le sert en allant et venant par une petite porte qui, je suppose, ouvre sur l’endroit où se trouve le foyer dont on aperçoit la lueur par la porte entrebâillée.
Jésus demande deux ou trois fois à Marie de s’asseoir… et de prendre son repas elle aussi. Mais elle refuse et secoue la tête avec un triste sourire. Après des légumes cuits à l’eau qui me semblent tenir lieu de soupe, elle apporte des poissons grillés, puis un fromage assez mou, comme un fromage de brebis frais et d’une forme ronde qui rappelle les galets que l’on voit au fond des torrents, ainsi que de petites olives noires. Le pain, qui se présente sous la forme de petites boules rondes, larges comme un plat ordinaire et pas très épais, est déjà posé sur la table. Plutôt noir, il doit contenir le son des recoupes. Jésus a devant lui une amphore avec de l’eau et une coupe. Il mange en silence et regarde sa Mère avec une expression d’amour douloureux.
Il est visible que Marie a de la peine. Elle va et vient pour se donner une contenance. Bien qu’il fasse encore assez clair, elle allume une lampe, la pose près de Jésus, et allonge le bras pour caresser la tête de son Fils d’un geste furtif. Puis elle ouvre une besace qui me paraît être en laine vierge tissée à la main et donc imperméable, de couleur noisette, elle fouille à l’intérieur, sort dans le jardin et va tout au bout, dans une espèce de débarras, puis en ressort avec des pommes plutôt ratatinées, certainement conservées depuis l’été, et les met dans la besace. Puis elle y ajoute un pain et un petit fromage, bien que Jésus dise ne pas en vouloir car le reste lui suffit déjà.
Puis Marie s’approche de nouveau de la table, du côté le plus étroit, à gauche de Jésus, et elle le regarde manger. Son expression est empreinte de tristesse et d’adoration, son visage beaucoup plus pâle qu’à l’accoutumée paraît encore vieilli par la peine, des cernes autour de ses yeux les font paraître d’autant plus grands, et témoignent des larmes qu’elle a versées. Ils paraissent aussi plus clairs que d’habitude, comme lavés par les larmes qui perlent déjà à ses yeux, prêtes à tomber. Ce sont deux yeux douloureux et fatigués.