Rendus furieux à leur tour, ils se saisissent de lui, le secouent, et c’est tout juste s’ils ne le jettent pas par terre… Caïphe lui crie au visage :
« D’accord, c’est vrai. Mais s’il en est ainsi, nous avons le droit de défendre ce qui nous appartient. Et puisque les petits moyens ne suffisent plus pour le convaincre de fuir, de laisser le champ libre, nous allons désormais agir par nous-mêmes, et te laisser de côté, toi qui n’es qu’un lâche serviteur, qu’un marchand de paroles. Et après Jésus, nous nous occuperons de toi, n’en doute pas et… »
Elchias fait taire Caïphe et lui lance avec son flegme glacial de serpent venimeux :
« Non. Tu exagères, Caïphe. Judas a fait ce qu’il a pu. Tu ne dois pas le menacer. Au fond, n’a-t-il pas les mêmes intérêts que nous ?
– Mais es-tu stupide, Elchias ? Moi, partager les intérêts de cet individu ? Ce que je veux, c’est que Jésus soit écrasé ! Or Judas veut qu’il triomphe, pour triompher avec lui. Et tu prétends… crie Simon.
– Paix, paix ! Vous dites toujours que je suis sévère. Mais voilà qu’aujourd’hui je suis le seul qui soit bon. Il faut comprendre Judas et l’excuser. Il nous aide comme il le peut. C’est pour nous un bon ami, mais c’est aussi, naturellement, un ami du Maître. Son cœur est angoissé… Il voudrait sauver le Maître, lui-même, et Israël… Comment concilier ce qui est si opposé ? Laissons-le parler. »
La meute se calme. Judas peut enfin s’exprimer :
« Elchias a raison. Moi… Qu’attendez-vous de moi ? Je ne le sais pas encore exactement. J’ai fait mon possible. Je ne puis davantage. Jésus est trop grand pour moi. Il lit dans mon cœur… et il ne me traite jamais comme je le mérite. Moi, je suis un pécheur, il le sait et il m’absout. Si j’étais moins lâche, je devrais… Je devrais me tuer pour me mettre dans l’impossibilité de lui faire du mal. »
Judas s’assied, accablé, le visage dans les mains, les yeux écarquillés et perdus dans le vide. Manifestement, le combat entre ses instincts contraires le fait souffrir…
« Fariboles ! Que veux-tu qu’il sache ? Tu agis ainsi parce que tu t’es repenti de t’être mis en avant ! s’écrie le dénommé Cornélius.
– Et s’il en était ainsi ? Oh, s’il en était ainsi ! Si je m’étais réellement repenti et si j’étais devenu capable de persister dans ce sentiment !…
– Mais vous le voyez ? Vous l’entendez ? Nos pauvres deniers ! croasse Chanania.
– Nous n’avons que faire d’un homme qui ne sait pas ce qu’il veut. Celui que nous avons choisi est pire qu’un faible d’esprit ! renchérit Félix.
– Un faible d’esprit ? Un pantin, devrais-tu dire ! Le Galiléen le tire avec une ficelle, et il va au Galiléen. Si c’est nous qui le tirons, il vient à nous, s’écrie Sadoq.
– Eh bien, si vous êtes tellement plus habiles que moi, agissez tout seuls. Moi, à partir d’aujourd’hui, je m’en désintéresse. N’attendez plus un renseignement, plus un mot. D’ailleurs, je ne pourrai plus vous les donner car, désormais, Jésus est sur ses gardes et il me surveille…
– Mais si tu as dit qu’il t’absout ?
– Oui. Il m’absout, mais c’est justement parce qu’il sait tout. Il sait tout ! Il sait tout ! Oh ! »
Judas se cache la tête dans les mains.
« Alors déguerpis, espèce de femmelette en vêtements d’homme, avorton mal bâti ! Fiche le camp ! Nous agirons par nous-mêmes. Et prends garde, prends garde à ne pas lui parler de cela, sinon nous te le ferons payer.
– Je m’en vais ! Je m’en vais ! Si seulement je n’étais jamais venu !