– Maman disait cela aussi, dit le plus grand des enfants.
– Oui, elle disait ça, gazouille le plus petit.
– Tu ne peux pas le savoir. Moi si, parce que je suis grand. Mais si tu racontes des choses qui ne sont pas vraies, tu n’entreras pas dans le Paradis.
– Pourtant, Papa disait qu’il n’y avait rien de vrai, objecte le cadet.
– Parce que lui ne croyait pas au Seigneur de Maman.
– Ton père n’était pas samaritain ? demande Jacques, fils d’Alphée.
– Non, il était d’ailleurs. Mais Maman était samaritaine, et nous sommes samaritains parce qu’elle voulait que nous soyons comme elle. Et elle nous parlait du Paradis et du Jardin, mais pas aussi bien que toi. Moi, j’avais peur du serpent et de la mort, car Maman disait que le serpent, c’était le diable, et parce que Papa prétendait que la mort est la fin de tout. A cause de cela, j’étais très malheureux d’être seul ; je disais aussi qu’il est inutile d’être bon désormais : quand nos parents étaient en vie, nous les réjouissions par notre bonté, mais, eux disparus, il n’y avait plus personne à qui faire ce plaisir. Maintenant, je sais… et je serai bon. Je n’enlèverai jamais mon fil des mains de Dieu de peur d’être emporté par les eaux de la terre.
– Mais Maman, elle est allée en haut ou en bas ? demande, perplexe, le deuxième enfant.
– Que veux-tu dire, mon petit ? questionne Matthieu.
– Je dis : où est-elle ? Elle est allée au fleuve du Paradis éternel ?
– Espérons-le, mon enfant. Si elle était bonne…
– C’était une Samaritaine… lance avec mépris Judas.
– Et alors ? il n’y a pas de paradis pour nous, sous prétexte que nous sommes samaritains ? Alors, nous n’aurons pas Dieu, nous ? Lui l’a appelé “ le Père de tous. ” Moi qui suis orphelin, cela me plaisait de penser que j’ai encore un Père… Mais s’il n’y en a pas pour nous… »
Il baisse la tête avec tristesse.
« Dieu est le Père de tous, mon enfant. Est-ce que, par hasard, je t’ai moins aimé parce que tu es samaritain ? Je t’ai arraché aux voleurs, et je t’arracherai au démon, de la même façon que je lui arracherais le petit garçon du grand-prêtre du Temple de Jérusalem, s’il ne considérait pas comme une violence que le Rédempteur sauve son enfant. D’ailleurs, j’en fais encore plus pour toi, parce que tu es seul et malheureux. Pour moi, il n’y a aucune différence entre l’âme d’un juif et celle d’un Samaritain. Et d’ici peu, il n’y aura plus de séparation entre la Samarie et la Judée, car le Messie aura un peuple unique qui portera son nom, et auquel appartiendront tous ceux qui l’aimeront.
– Moi, je t’aime, Seigneur. Mais tu me conduis auprès de ma mère ? dit le plus grand des trois enfants.
– Tu ne sais pas où elle se trouve. Cet homme a seulement dit qu’il nous faut espérer… dit le cadet.
– Moi, je l’ignore, mais le Seigneur le sait. Il a su où nous étions, alors que nous, nous ne savions même pas où nous étions.
– Avec des voleurs… Ils voulaient nous tuer… »
La terreur revient sur le petit visage du cadet.
« Les voleurs étaient de vrais démons, mais lui nous a sauvés parce que nos anges l’ont appelé.
– Maman aussi, les anges l’ont sauvée. Je le sais, parce que je rêve toujours d’elle.
– Tu es un menteur, Isaac. Tu ne peux pas rêver d’elle : tu ne t’en souviens pas. »
Le petit pleure en disant :
« Non, non. Moi, je rêve vraiment d’elle !
– Ne traite pas ton frère de menteur, Ruben. Son âme peut bien voir sa mère, car le bon Père des Cieux peut permettre à l’orphelin de rêver d’elle et de la connaître partiellement, comme il nous permet de le connaître lui-même. Car, de cette connaissance limitée, vient la bonne volonté de le connaître parfaitement, ce que l’on obtient en étant toujours très bons.