Les apôtres mettent leurs manteaux et demandent :
« Où allons-nous, Seigneur ? »
Leur langage n’est plus aussi familier qu’il l’était avant la Passion. S’il m’est permis d’employer cette expression, je dirai qu’ils parlent avec l’âme agenouillée. Plus que l’attitude de leur corps, qui reste toujours un peu penché par respect devant le Ressuscité, plus que leur retenue quand ils le touchent, plus que leur joie tremblante quand c’est lui qui les touche, les caresse, les embrasse ou leur adresse la parole en particulier, il y a dans leur attitude un je-ne-sais-quoi qui ne peut se décrire, mais qui est bien visible. Plus manifeste encore que leur humanité, c’est leur esprit qui ne peut redevenir ce qu’il était dans ses rapports avec le Maître, et imprègne de son nouveau sentiment tous les actes de l’homme.
Avant, Jésus était “ le Maître ”, un Maître que leur foi croyait Dieu, mais qui était toujours pour leurs sens “ un homme ”. Maintenant, il est “ le Seigneur ”. Il est Dieu. Il n’est plus besoin de faire des actes de foi pour le croire. L’évidence a aboli cette nécessité. Il est Dieu. C’est le Seigneur auquel le Seigneur a dit : “ Siège à ma droite ”[1], ce qu’il a proclamé par sa parole et par le prodige de la Résurrection. Dieu comme le Père. Et c’est le Dieu qu’ils ont abandonné par peur, après avoir tant reçu de lui…
Ils portent toujours sur lui ce regard empreint de vénération respectueuse avec lequel un vrai croyant observe l’hostie rayonner au milieu d’un ostensoir, ou le corps du Christ élevé par le prêtre dans le sacrifice quotidien de la messe. Dans leur regard qui veut voir l’aspect aimé, encore plus beau que dans le passé, je reconnais aussi l’expression de celui qui n’ose pas voir, de celui qui n’ose pas s’arrêter un instant pour regarder… L’amour les pousse à fixer leur Aimé, la crainte les fait aussitôt baisser les paupières et la tête, comme si son éclat les avait éblouis.