138.1
« Seigneur, je n’ai fait que mon devoir envers Dieu, envers mon maître et envers ma conscience. Cette femme, je l’ai surveillée tant qu’elle a été mon hôte et je l’ai toujours vue honnête. Si à une époque elle a été une pécheresse, elle ne l’est plus aujourd’hui. Pourquoi devrais-je enquêter sur un passé qu’elle a effacé et annulé ? J’ai de jeunes fils qui ne sont pas laids. Elle n’a jamais montré son visage – réellement beau – ni prononcé le moindre mot. Je peux dire que j’ai entendu le son de sa voix argentine quand elle a crié à cause de sa blessure. Sinon, le peu qu’elle demandait – et toujours à moi ou à ma femme –, elle le murmurait derrière son voile, et si doucement qu’on avait du mal à comprendre. Vois aussi comme elle a été prudente. Quand elle a craint que sa présence puisse nuire, elle est partie… Je lui avais promis de la défendre et de l’aider, mais elle ne s’en est pas prévalue. Non, ce n’est pas ainsi qu’agissent les femmes perdues ! Je prierai pour elle, comme elle me l’a demandé, et même sans ce souvenir. Prends-le Seigneur. Fais-en des aumônes, pour son profit spirituel. Faites par toi, elles lui vaudront certainement la paix. »
Le régisseur parle respectueusement à Jésus. C’est un bel homme, au visage honnête et au corps trapu. Derrière lui se tiennent six jeunes garçons qui ressemblent à leur père, six visages francs et intelligents, et aussi son épouse, une petite femme fine, très douce, qui écoute son mari comme elle écouterait un dieu, ne cessant de l’approuver par des signes de tête.
Jésus prend le bracelet en or et le passe à Pierre en lui disant :
« Pour les pauvres. »
Puis il se retourne vers le régisseur :
« Tous n’ont pas ta droiture en Israël. Tu es sage parce que tu distingues le bien du mal et tu suis le bien sans mettre en valeur l’intérêt humain qu’il y a à l’accomplir. Au nom du Père éternel, je vous bénis, toi, tes fils, ton épouse, ta maison. Demeurez toujours dans ces dispositions spirituelles, le Seigneur sera toujours avec vous et vous aurez la vie éternelle. Maintenant je m’en vais, mais il n’est pas dit qu’on ne se reverra plus. Je reviendrai et vous pourrez toujours venir me trouver. Pour tout ce que vous avez fait pour moi et pour cette pauvre créature, que Dieu vous donne sa paix. »
Le régisseur, ses enfants et en dernier lieu sa femme s’agenouillent et baisent les pieds de Jésus qui, après un dernier geste de bénédiction, s’éloigne avec ses disciples et prend la route du village.