– Mais ne vaudrait-il pas mieux continuer la leçon du Maître, au lieu de ressembler à des chevreaux en colère ? demande le pacifique Thomas.
– Mais oui, Maître ! S’exclame Matthieu. Parle-nous encore de ta Mère. Son enfance est si lumineuse ! Elle nous rend l’âme vierge par simple reflet ; or, moi, pauvre pécheur, j’en ai bien besoin !
– Que dois-je vous raconter ? Il y a tant d’épisodes, tous plus doux l’un que l’autre…
– C’est elle qui te les a racontés ?
– Quelques-uns, oui, mais Joseph beaucoup plus. C’est lui qui m’a fait les plus beaux récits quand j’étais petit. Et aussi Alphée, fils de Sarah, qui était de six ans plus âgé que ma Mère et fut son ami pendant les quelques années où elle vécut à Nazareth.
– Oh, raconte ! » demande instamment Jean.
Ils sont tous en cercle, assis à l’ombre des oliviers avec au milieu Yabeç qui regarde fixement Jésus, comme s’il écoutait un conte paradisiaque.
« Je vais vous rapporter la leçon de chasteté que ma Mère a donnée, quelques jours avant d’entrer au Temple, à son petit ami et à beaucoup d’autres.
Ce jour-là, une jeune fille de Nazareth, parente de Sarah, s’était mariée. Joachim et Anne avaient été invités eux aussi aux noces, et avec eux la petite Marie qui, avec d’autres enfants, était chargée de jeter des pétales effeuillés sur le chemin de l’épouse. On dit qu’elle était très belle depuis sa plus tendre enfance, et tout le monde se la disputait, après la joyeuse entrée de l’épouse. Il était très difficile de voir Marie parce qu’elle vivait beaucoup à la maison, affectionnant, plus que tout autre lieu, une petite grotte qu’elle appelle toujours la grotte “ de ses fiançailles ”. Aussi, quand on la voyait, blonde, rose, gracieuse, on l’accablait de caresses. On l’appelait : “ Fleur de Nazareth ” ou bien : “ Perle de la Galilée ” ou encore : “ Paix de Dieu ” en souvenir d’un immense arc-en-ciel qui était survenu à l’improviste à son premier vagissement. Effectivement, elle était et reste tout cela, et plus encore. C’est la Fleur du Ciel et de la création, c’est la Perle du Paradis et la Paix de Dieu… Oui, la paix. Je suis le Pacifique car je suis le Fils du Père et le fils de Marie : la paix infinie et la paix douce.
Ce jour-là, tous voulaient lui donner des baisers et la prendre sur leurs genoux. Or elle, écartant les baisers et les contacts, dit avec une gracieuse gravité : “ Je vous en prie, ne me froissez pas. ” Ils crurent qu’elle parlait de son vêtement de lin ceint d’une bande bleue à la taille et aussi à ses petits poignets et autour de son cou… ou de la petite guirlande de fleurs bleues dont Anne l’avait couronnée pour tenir en place les boucles légères de ses cheveux. Ils l’assurèrent qu’ils n’allaient froisser ni son vêtement ni sa guirlande. Mais elle, avec assurance, comme une petite femme de trois ans debout au milieu d’un cercle de grandes personnes, dit avec sérieux : “ Je ne pense pas à ce qui se répare. Je parle de mon âme. Elle appartient à Dieu et je veux que Dieu seul y touche. ” On lui objecta : “ Mais c’est à toi que nous donnons des baisers, pas à ton âme. ” Elle rétorqua : “ Mon corps est le temple de mon âme et l’Esprit en est le prêtre. On n’admet pas le peuple dans l’enceinte des prêtres. Je vous en prie, n’entrez pas dans l’enceinte de Dieu. ”
Alphée, qui avait alors plus de huit ans et qui l’aimait beaucoup, fut frappé par cette réponse. Le lendemain, il la trouva près de sa petite grotte occupée à cueillir des fleurs, et il lui demanda : “ Marie, quand tu seras grande, me voudrais-tu pour époux ? ” Il était encore animé par l’effervescence de la fête nuptiale à laquelle il avait assisté. Mais elle lui répondit : “ Je t’aime bien, mais je ne te vois pas comme homme. Je te dis un secret : je vois seulement l’âme des vivants. Elle, je l’aime beaucoup, de tout mon cœur, mais je ne vois personne d’autre que Dieu comme ‘Vrai Vivant’ à qui je pourrais me donner moi-même. ” Voilà un épisode.
– “ Vrai Vivant ” ! Mais tu sais que c’est une parole profonde ! » s’exclame Barthélemy.
Souriant, Jésus répond humblement :
« Elle était la Mère de la Sagesse.
– Elle était… ? Mais n’avait-elle pas trois ans ?
– Elle l’était. Je vivais déjà en elle, car j’étais Dieu en elle, dès sa conception, dans son Unité et sa très parfaite Trinité.