318.1
La ville de Ptolémaïs semble devoir rester écrasée sous un ciel bas, lourd, sans la moindre échancrure bleue, sans même une nuance dans sa noirceur. Non. Pas un nuage, un cirrus ou nimbus, qui se déplace sur la chape bouchée du firmament, mais une seule voûte concave et pesante comme un couvercle que l’on va abattre sur une caisse. Un couvercle énorme d’un étain crasseux, noirâtre, opaque, oppressant. Les maisons blanches de la ville semblent être en plâtre, un plâtre rêche, grossier, désolé, sous cette lumière… la couleur verte des plantes vivaces paraît embuée, triste, le visage des personnes livide ou spectral, et les couleurs des vêtements pâles. La ville se noie dans un sirocco accablant.
La mer répond au ciel par le même aspect lugubre : une mer infinie, immobile, déserte. Elle n’a même pas un aspect plombé, ce serait inexact de le dire. C’est une étendue sans fin, et je pourrais même dire sans rides, d’une substance huileuse, grise comme doivent l’être des lacs de pétrole brut, ou plutôt, si c’était possible, des lacs d’argent mélangé à de la suie, à de la cendre, pour en faire une pâte d’un éclat particulier qui rappelle celui du quartz, et qui pourtant ne semble pas briller tant elle est inerte et opaque. Cet éclat ne se remarque qu’à cause du désagrément qu’il apporte à l’œil, ébloui par ce scintillement de nacre noirâtre qui fatigue sans réjouir. Pas une vague à perte de vue. Le regard rejoint l’horizon là où la mer morte touche le ciel mort, sans que l’on perçoive le moindre frèmissement ; on se rend toutefois compte que ce n’est pas une mer solidifiée car elle a une houle profonde à peine perceptible à la surface à cause d’un miroitement obscur. Elle est morte à ce point qu’à la rive les eaux sont là, immobiles comme celles d’un bassin, sans le moindre indice de vague ou de ressac. Et le sable est nettement humide là, à un mètre ou un peu plus, indiquant ainsi qu’il n’y a pas eu de flux ni de reflux sur la rive, depuis de longues heures. Le calme plat.
Les rares navires qui se trouvent dans le port n’ont pas le moindre mouvement. Ils semblent figés dans une matière solide tant ils sont immobiles, et les quelques morceaux d’étoffes qui sont étendus sur les ponts, vêtements ou enseignes, pendent lamentablement.