L’autre continua tristement… La dernière partie de la route était vraiment effroyable ! Le voyageur n’en pouvait plus. Il était comme ivre de fatigue, de soleil ! Au neuvième monument, il s’arrêta, haletant, s’appuya sur la pierre gravée en lisant machinalement les paroles qui étaient gravées. Tout près, il y avait une allée avec de l’ombre, de l’eau, des fleurs… “ Je la prendrais bien… Mais non ! Non. Il est écrit ici — et de la main de mon père — : ‘ Amour, obéissance, victoire. ’ Il me faut croire à son amour, à sa vérité, et je dois obéir pour montrer mon amour… Allons… Que l’amour me soutienne… ” Voici le dixième monument… Le voyageur, épuisé, brûlé par le soleil, marchait courbé comme sous un joug… C’était le saint joug de la fidélité, qui est amour, obéissance, force, espérance, justice, prudence, tout… Au lieu de s’appuyer, il se laissa tomber assis à ce peu d’ombre que le monument faisait sur le sol. Il se sentait mourir… de l’allée voisine venait un bruit de ruisseau et une odeur de bois…
“ Père, père, aide-moi par ton esprit, dans la tentation… aide-moi à rester fidèle jusqu’au bout ! ”
De loin lui parvenait la voix joyeuse de son frère :
“ Viens, je t’attends. Ici, c’est un éden… Viens…
“ – Si j’y allais ?… ” et en criant très fort : “ On monte vraiment au sommet ?
“ – Oui, viens. Il y a une galerie fraîche qui mène là-haut. Viens ! Je vois déjà le sommet de l’autre côté de la galerie, dans le rocher…
“ – Est-ce que j’y vais, ou non ? Qui va me secourir ?… J’y vais… ”
Il appuya les mains pour se relever et, ce faisant, il remarqua que les paroles gravées n’étaient plus nettes comme celles du premier monument : “ A chaque monument, les mots étaient plus légers… C’est comme si mon père, épuisé, avait eu du mal à les graver. Et… regarde !… Revoilà ce signe rouge brun qui était déjà visible sur le cinquième monument… Mais cette fois, il remplit le creux de chaque mot et il a coulé, marquant le rocher comme de larmes sombres, comme… du sang… ”
Il gratta du doigt l’endroit où il y avait une tache large comme les deux mains. Et la tache s’en alla, laissant découvertes, fraîches, ces paroles : “ C’est ainsi que je vous ai aimés, jusqu’à répandre mon sang pour vous conduire au trésor. ”
“ Oh ! mon père ! Et moi, j’ai pu penser à ne pas suivre ton commandement ? Pardon, mon père ! Pardon. ”
Le fils pleura contre le rocher, et le sang qui remplissait les mots redevint frais, brillant comme du rubis, et les larmes furent nourriture et boisson pour le bon fils, et force… Il se leva, et, par amour, appela son frère, fort, très fort… Il voulait lui partager sa découverte : l’amour de leur père, lui dire : “ Reviens. ” Personne ne répondit…
Le jeune homme reprit sa marche, presque à genoux sur la pierre brûlante, car son corps était vraiment mort de fatigue, mais son esprit serein. Voici le sommet… Et là, voici son père.
“ Mon père !
“ – Mon fils chéri ! ”
Le jeune homme s’abandonna sur le sein paternel, et son père l’accueillit en le couvrant de baisers.
“ Tu es seul ?
“ – Oui… Mais mon frère va bientôt arriver…
“ – Non. Il ne viendra plus. Il a quitté la voie des dix monuments. Il n’est pas revenu après les premières désillusions qui l’avertissaient. Tu veux le voir ? Le voilà. Dans le gouffre de feu… Il s’est entêté dans la faute. Je lui aurais encore pardonné et je l’aurais attendu si, après avoir reconnu son erreur, il était revenu sur ses pas et si, bien qu’en retard, il était passé par là où l’amour est passé le premier, en souffrant jusqu’à répandre le meilleur de son sang, ce qu’il y avait de plus cher en lui, pour vous.
“ – Il ne savait pas…
“ – S’il avait regardé avec amour les paroles gravées sur les dix monuments, il aurait lu leur véritable signification. Toi, tu l’as reconnue dès le cinquième monument et tu l’as fait remarquer à ton frère en disant : ‘ Ici, notre père a dû s’être blessé ! ’ Puis tu l’as vue aux monuments suivants, toujours plus clairement, jusqu’à ce que tu aies eu l’instinct de découvrir ce qu’il y avait sous mon sang. Sais-tu le nom de cet instinct ? ‘ Ton union véritable avec moi. ’ Les fibres de ton cœur, unies aux miennes, ont tressailli, et elles t’ont dit : ‘ Ici, tu auras la mesure de la manière dont ton père t’aime. ’ Entre maintenant en possession du trésor et de moi-même, toi qui es affectueux, obéissant, victorieux pour toujours. ”
Voilà la parabole.