471.1
La pause sur le petit plateau a beau être douce, il est prudent de descendre dans la vallée pendant qu’il fait encore jour, car la nuit tomberait vite et serait sombre, sous cette voûte de feuillage des arbres qui couvre la montagne.
Jésus se lève le premier et il va se rafraîchir le visage, les mains et les pieds dans le ruisselet que forme la petite source. Puis il appelle ses apôtres, endormis dans l’herbe, et les invite à se préparer à partir. Et pendant qu’ils l’imitent et se lavent l’un après l’autre dans le frais ruisseau, et qu’ils remplissent les gourdes au filet d’eau qui sort du rocher, il va les attendre au bout du petit pré, près des deux arbres centenaires qui le bordent à l’est. Il contemple l’horizon lointain.
Philippe est le premier à le rejoindre et, regardant dans la même direction que son Maître, il dit :
« Quelle belle vue ! Tu l’admires…
– Oui. Mais je n’examinais pas seulement sa beauté.
– Quoi donc, alors ? Tu pensais peut-être au moment où Israël sera grand, à ces lieux au-delà du Liban et de l’Oronte, qui nous ont affligés au cours des siècles et continuent à le faire, puisque c’est là que réside le cœur de la puissance qui nous opprime sous la férule du Légat ? Ce qu’ont annoncé plusieurs prophètes est en effet redoutable : “ J’écraserai l’Assyrien sur mes terres, je le piétinerai sur mes montagnes… C’est la main qui s’étend sur les nations… Qui pourra la retenir ? Damas cessera d’exister et il n’en restera qu’un tas de décombres… Voilà ce qui arrivera à ceux qui nous ont saccagés. ” C’est Isaïe qui parle ![1] Et Jérémie dit aussi : “ Je mettrai le feu aux remparts de Damas et il dévorera les murs de Ben-Hadad. ” Cela arrivera lorsque le Roi d’Israël, le Promis, prendra son sceptre, et que Dieu aura pardonné à son peuple en lui donnant le Roi Messie… Ah ! c’est Ezéchiel qui le dit ! “ Et vous, montagnes d’Israël, faites pousser vos branches, portez vos fruits pour mon peuple d’Israël, car il est près de revenir… Je vous ramènerai mon peuple et tu seras sa propriété et son héritage… Je ne te ferai plus entendre l’insulte des nations… ” Et les psaumes chantent avec Etân l’indigène : “ J’ai trouvé David mon serviteur et je l’ai oint de mon huile sainte. Ma main l’assistera… L’ennemi ne pourra rien contre lui… Par mon nom, il grandira en puissance… Il étendra sa main sur la mer, et sa droite sur les fleuves… Et moi, j’en ferai l’aîné, le très-haut sur les rois de la terre. ” Salomon, lui aussi, chante : “ Il durera autant que le soleil et la lune… Il dominera de la mer à la mer, et du fleuve jusqu’aux extrémités de la terre… Tous les rois de la terre se prosterneront devant lui, tous les peuples seront ses sujets… ” Ils parlent de toi, le Messie, car en toi se trouvent tous les signes de l’esprit et de la chair, tous les signes donnés par les prophètes. Alléluia à toi, fils de David, Roi Messie, Roi saint !
– Alléluia ! » crient en chœur les autres qui se sont réunis à Jésus et à Philippe, et ont entendu les paroles de ce dernier.
Et l’alléluia se répercute, par l’écho, de gorge en gorge, de colline en colline… Jésus les regarde d’un air très triste… Et il dit :
« Ne vous rappelez vous donc pas ce que David et Isaïe disent du Christ ? Vous prenez le doux miel, le vin enivrant des prophètes… mais vous ne réfléchissez pas que, pour être le Roi des rois, le Fils de l’Homme devra boire le fiel et le vinaigre, et se revêtir de la pourpre de son sang… Mais ce n’est pas votre faute si vous ne comprenez pas… Votre erreur de compréhension est due à l’amour. Je voudrais en vous un autre amour. Mais, pour le moment, cela vous est impossible… Des siècles de péché s’opposent aux hommes pour écarter d’eux la lumière. Mais la lumière abattra les murailles et entrera en vous…