Ils entrent dans une salle. Lazare n’y est pas, ni Simon le Zélote, mais il y a Marthe, heureuse, transfigurée par la joie. Elle s’adresse à Jésus pour expliquer :
« Lazare est allé se baigner pour se purifier encore. Oh ! Maître ! Maître ! Que te dire ! »
Elle l’adore de tout son être. Puis elle remarque la tristesse de Jésus et l’interroge :
« Tu es triste, Seigneur ? N’es-tu pas heureux que Lazare… » Il lui vient un soupçon : « Oh ! Tu es réservé avec moi. J’ai péché. C’est vrai.
– Nous avons péché, ma sœur, rectifie Marie.
– Non, pas toi… Oh ! Maître. Marie n’a pas péché. Marie a su obéir, moi seule ai désobéi. Je t’ai envoyé appeler, parce que… parce que je ne pouvais plus les entendre insinuer que tu n’étais pas le Messie, le Seigneur… et je ne pouvais plus voir Lazare souffrir… . Il désirait tant ta venue ! Il t’appelait tant… Pardonne-moi, Jésus.
– Et toi, tu ne dis rien, Marie ? demande Jésus.
– Maître… moi… Je n’ai souffert que comme femme. Je souffrais parce que… Marthe, jure, jure ici, devant le Maître, que jamais, jamais tu ne parleras à Lazare de son délire… Mon Maître… je t’ai connu tout à fait, ô divine Miséricorde, dans les dernières heures de Lazare. Oh ! mon Dieu ! Mais comme tu m’as aimée, toi qui m’as pardonné, toi, Dieu, toi, le Pur, toi… si mon frère, qui pourtant m’aime, mais qui est homme, seulement homme, ne m’a pas tout pardonné au fond de son cœur ? ! Non, je m’exprime mal. Il n’a pas oublié mon passé et quand la faiblesse de la mort a émoussé en lui sa bonté que je croyais oublieuse du passé, il a crié sa douleur, son indignation pour moi… Oh !… »
Marie pleure…
« Ne pleure pas, Marie. Dieu t’a pardonné et a oublié. L’âme de Lazare aussi a pardonné et a oublié, elle a voulu oublier. L’homme n’a pas pu tout oublier, et quand la chair a dominé par son dernier spasme sa volonté affaiblie, l’homme a parlé.
– Je n’en éprouve pas d’indignation, Seigneur. Cela m’a servi à t’aimer davantage et à aimer encore plus Lazare. Dès lors, moi aussi j’ai désiré ta venue, car j’étais trop angoissée de penser que Lazare allait mourir sans paix à cause de moi… Et ensuite, ensuite, quand je t’ai vu méprisé par les juifs… quand j’ai vu que tu ne venais pas même après la mort, pas même après que je t’avais obéi en espérant au-delà de ce qui est croyable, en espérant jusqu’à ce que le tombeau s’ouvre, alors mon âme aussi a souffert. Seigneur, si j’avais à expier — et c’est sûrement le cas —, j’ai expié, Seigneur…
– Pauvre Marie ! Je connais ton cœur. Tu as mérité ce miracle. Que cela t’affermisse dans ton espérance et ta foi.
– Mon Maître, désormais j’espérerai et je croirai toujours. Je ne douterai plus, jamais plus, Seigneur. Je vivrai de foi. Tu m’as donné la capacité de croire ce qui est incroyable.
– Et toi, Marthe, as-tu appris ? Non, pas encore. Tu es ma Marthe, mais tu n’es pas encore ma parfaite adoratrice. Pourquoi agis-tu au lieu de contempler ? C’est plus saint. Tu vois ? Ta force, parce qu’elle était trop tournée vers les tâches terrestres, a cédé à la constatation d’affaires terrestres qui semblent parfois sans remède. En vérité, les problèmes humains n’ont pas de remède, si Dieu n’intervient pas. C’est pourquoi la créature a besoin de savoir croire et contempler, d’aimer jusqu’au bout des forces de l’homme tout entier, avec sa pensée, son âme, sa chair, son sang, avec toutes les forces de l’homme. Je le répète : je te veux forte, Marthe. Je te veux parfaite. Tu n’as pas su obéir parce que tu n’as pas su croire et espérer complètement, et tu n’as pas su croire et espérer parce que tu n’as pas su aimer totalement. Mais moi, je t’en absous. Je te pardonne, Marthe. J’ai ressuscité Lazare aujourd’hui. Maintenant, je te donne un cœur plus fort. A lui, j’ai rendu la vie. A toi, j’infuse la force d’aimer, croire et espérer parfaitement. Maintenant soyez heureuses et en paix. Pardonnez à ceux qui vous ont offensées ces jours-ci…
– Seigneur, en cela j’ai péché. Il y a un instant, j’ai demandé au vieux Chanania qui t’avait méprisé : “ Qui a triomphé ? Toi ou Dieu ? Ton mépris ou ma foi ? Le Christ est le Vivant et il est la Vérité. Moi, je savais que sa gloire allait resplendir avec plus d’éclat, et toi, vieillard, refais ton âme si tu ne veux pas connaître la mort. ”
– Tu as bien parlé. Mais ne discute pas avec les méchants, Marie. Et pardonne. Pardonne, si tu veux m’imiter…