The Writings of Maria Valtorta

168. Aglaé dans la maison de Marie à Nazareth.

168. Aglae in Mary’s house at Nazareth.

168.1

Marie travaille paisiblement sur une toile. C’est le soir. Toutes les portes sont fermées, une lampe à trois becs éclaire la petite pièce de Nazareth et plus particulièrement la table auprès de laquelle la Vierge est assise. La toile – c’est peut-être un drap – retombe du coffre et de ses genoux jusqu’à terre et Marie, vêtue de bleu foncé, paraît émerger d’un tas de neige. Elle est seule. Elle coud avec agilité, la tête penchée sur son ouvrage, et la lumière éclaire le haut de sa tête en y produisant des reflets d’or pâle. Le reste du visage est dans la pénombre.

Dans la pièce bien rangée règne le plus grand silence. Il ne vient même aucun bruit de la rue, déserte pendant la nuit, et pas plus du jardin. La lourde porte qui, de la pièce où Marie travaille – celle où elle a l’habitude de prendre ses repas et de recevoir ses amis –, conduit au jardin, est fermée et fait même obstacle au bruit de la fontaine qui jaillit dans le bassin. Je voudrais bien savoir à quoi peut penser la Vierge pendant que ses mains s’activent sur sa couture…

On frappe discrètement à la porte qui donne sur la rue. Marie lève la tête, écoute… Le coup a été si léger que Marie doit penser qu’il est le fait de quelque animal nocturne ou d’un peu de vent qui a secoué la porte, et elle penche de nouveau la tête sur son travail. Mais on frappe plus distinctement. Marie se lève et se dirige vers la porte. Avant d’ouvrir, elle demande :

« Qui frappe ? »

Une voix faible répond :

« Une femme. Au nom de Jésus, ouvre-moi. »

Marie ouvre aussitôt, en tenant haut la lampe pour distinguer qui est cette pèlerine. Elle voit un amas d’étoffe, un enchevêtrement dont rien ne transparaît, un pauvre enchevêtrement qui s’incline profondément en disant :

« Salut, Maîtresse. »

Et elle répète :

« Au nom de Jésus, aie pitié de moi.

– Entre et dis-moi ce que tu veux. Je ne te connais pas.

– Personne ne me connaît et beaucoup me connaissent, Maîtresse. Le vice me connaît. La sainteté elle aussi me connaît. Mais j’ai besoin que la miséricorde m’ouvre les bras. Or la miséricorde, c’est toi… »

Elle pleure.

« Mais entre donc… et dis-moi… Tu en as assez dit pour que je comprenne que tu es malheureuse… Mais qui tu es, je ne le sais toujours pas. Quel est ton nom, ma sœur ?

– Ah non ! Pas “ ma sœur ” ! Je ne puis être ta sœur… Tu es la Mère du Bien… moi… moi je suis le mal… »

Elle redouble de larmes sous son manteau qui la cache entièrement.

Marie pose la lampe sur un siège, prend la main de l’inconnue agenouillée sur le seuil, et l’oblige à se lever.

168.2

Marie ne la connaît pas… moi, si : c’est la femme voilée de la Belle Eau.

Elle se lève, humble, tremblante, secouée de sanglots, mais hésite encore à entrer :

« Je suis païenne, Maîtresse. Pour vous, les juifs, autant dire une ordure, même si j’étais sainte. Mais une ordure à double titre, parce que je suis une prostituée.

– Si tu viens à moi, si tu cherches mon Fils à travers moi, tu ne peux plus être qu’un cœur qui se repent. Cette maison accueille tout ce qui s’appelle douleur. »

Et elle l’attire à l’intérieur, referme la porte, remet la lampe sur la table et lui offre un siège en disant :

« Parle. »

Mais la femme voilée ne veut pas s’asseoir ; légèrement inclinée, elle continue à pleurer. Marie, douce et majestueuse, se tient devant elle. Elle attend, en priant, que son chagrin s’apaise. Je la vois qui prie à toute son attitude, bien que rien en elle ne révèle qu’elle prie. Ni ses mains, qui tiennent toujours la petite main de la femme voilée, ni ses lèvres closes.

Enfin, les pleurs se calment. La femme voilée s’essuie le visage de son voile, puis dit :

« Mais je ne suis pas venue de si loin pour rester inconnue. C’est l’heure de ma rédemption et je dois me révéler pour… pour te montrer de combien de plaies mon cœur est couvert… Or… tu es une mère… sa Mère… par conséquent tu auras pitié de moi.

– Oui, ma fille.

– Oh, oui ! Appelle-moi “ ma fille ” ! J’avais une mère… mais je l’ai abandonnée… On m’a appris par la suite qu’elle en était morte de chagrin… J’avais un père… il m’a maudite, et il disait aux gens de la ville : “ Je n’ai plus de fille. ” »

Une violente crise de larmes la saisit. Marie est peinée jusqu’à en pâlir. Mais elle lui pose une main sur la tête pour la réconforter. La femme voilée reprend :

« Je n’aurai plus personne qui m’appelle “ ma fille ” ! Oui, comme ça, caresse-moi comme ça, comme ma mère le faisait… quand j’étais pure et bonne… Laisse-moi t’embrasser la main et m’en servir pour essuyer mes larmes. Elles seules ne me lavent pas. Comme j’ai pleuré depuis que j’ai compris ! Certes, j’avais aussi pleuré auparavant, car c’est horrible de n’être qu’une chair vendue, insultée par l’homme. Mais ce n’étaient que les plaintes d’un animal brutalisé qui hait et se révolte contre celui qui le torture et le souille toujours plus… je changeais de maître, mais c’était toujours la même bestialité… Cela fait huit mois que je pleure… parce que j’ai compris… J’ai compris ma misère, ma pourriture. J’en suis couverte et cela me donne la nausée… Mais mes larmes ont beau être toujours plus conscientes, elles ne me lavent pas. Elles se mêlent à ma pourriture, mais ne l’enlèvent pas. Oh ! Mère, essuie-moi de ces larmes, et je serai purifiée, je pourrai m’approcher de mon Sauveur !

– Oui, ma fille, oui. Assieds-toi là, avec moi, et parle en paix. Dépose tout ton fardeau ici, sur mes genoux de Mère. »

Marie s’assied.

168.3

Mais la femme voilée glisse à ses pieds et veut parler dans cette position. Elle commence doucement :

« Je suis de Syracuse… J’ai vingt-six ans… J’étais la fille d’un intendant, comme vous dites, ou – dans notre vocabulaire – du procurateur d’un grand seigneur romain. J’étais fille unique. Je vivais heureuse. Nous habitions près de la plage dans la magnifique villa dont mon père était l’intendant. De temps à autre, le maître de maison venait, ou bien sa femme, ses enfants… Ils nous traitaient bien et se montraient gentils avec moi. Les petites filles jouaient avec moi… Ma mère était heureuse… Elle était fière de moi. J’étais belle… j’étais intelligente… tout me réussissait facilement… Mais je préférais les choses frivoles aux bonnes. A Syracuse, il y a un grand théâtre. Un grand théâtre, beau, vaste… Il sert aux jeux et à la comédie. Dans les comédies et les tragédies qu’on y donne, on se sert beaucoup de mimes. Ils soulignent par leurs danses muettes la signification du chœur. Tu ne sais pas… mais les mains, les mouvements du corps peuvent exprimer les sentiments de l’homme agité par quelque passion… Dans un gymnase spécial, on enseignait à des adolescents et à des jeunes filles le métier de mime. Ils doivent être beaux comme des dieux et agiles comme des papillons… J’aimais beaucoup monter sur une espèce de hauteur qui dominait cet endroit et regarder les danses des mimes. Je les reproduisais ensuite sur les prés fleuris, sur le sable blond de ma terre, dans le jardin de la villa. Je ressemblais à une statue artistique, ou bien à un vent qui survole, tant je savais me fixer dans des poses de statue ou voler en touchant à peine le sol. Mes riches amies m’admiraient… et maman en était fière… »

La femme voilée parle, se souvient, revoit le passé et pleure. Ses paroles sont ponctuées de sanglots.

« Un jour – c’était au mois de mai –, Syracuse était tout en fleurs. Les fêtes étaient terminées depuis peu et, moi, j’avais été enthousiasmée par une danse exécutée au théâtre… Ce sont les maîtres qui m’y avaient emmenée, avec leurs filles. J’avais quatorze ans… Dans cette danse, les mimes devaient représenter les nymphes du printemps accourant pour adorer Cérès ; elles dansaient couronnées de roses, revêtues de roses… seulement de roses, car leur vêtement était un voile des plus légers, un filet de fil d’araignée sur lequel les roses étaient éparses… La légèreté avec laquelle elles dansaient était telle qu’elles ressemblaient à des Hébé ailées. Leur corps splendide transparaissait à travers les écharpes de voile fleuri qui, dénouées, formaient des ailes derrière elles. J’ai étudié la danse… et un jour… un jour… »

168.4

La femme voilée pleure encore plus fort, puis elle se reprend.

« J’étais belle. Je le suis encore. Regarde. »

Elle se dresse debout, rejette rapidement son voile en arrière et laisse retomber son manteau. Je suis ébahie, parce que je vois surgir, des étoffes qu’elle a repoussées, Aglaé, très belle dans son vêtement modeste, coiffée très simplement avec des tresses, sans bijoux, sans étoffes de prix, une vraie fleur de chair, svelte et pourtant parfaite, avec un très beau visage brun clair et des yeux veloutés mais pleins de feu.

Elle revient s’agenouiller devant Marie :

« Pour mon malheur, j’étais belle, et j’étais folle. Ce jour-là, je me revêtis de voiles. Les filles de mon maître, qui aimaient me voir danser, m’y aidèrent. Je m’habillai dans un coin de la plage blonde, face à la mer bleue. Sur la plage, déserte à cet endroit, il y avait des fleurs sauvages blanches et jaunes au parfum pénétrant d’amandier, de vanille, de chair à peine pure. Les agrumes émaner des bouffées de senteurs capiteuses, les roses de Syracuse embaumaient, de même que la mer et le sable ; le soleil faisait émaner des odeurs de toutes choses… Un vague sentiment de panique me montait à la tête. Je me sentais nymphe, moi aussi, et j’adorais… quoi ? La terre fertile ? Le soleil qui la féconde ? Je ne sais. Païenne parmi les païens, je crois que j’adorais la Sensualité, cette reine despotique, que je ne pensais pas avoir en moi, mais qui était plus puissante qu’un dieu… Je me suis couronnée de roses que j’avais prises dans le jardin, et j’ai dansé, dansé… J’étais ivre de lumière, de parfums, ivre du plaisir d’être jeune, agile et belle. Je dansais… et on m’a vue. J’ai remarqué qu’on me regardait. Mais je n’ai pas eu honte de me montrer nue aux yeux avides d’un homme. Au contraire, je me complaisais à parfaire mes sauts… Le plaisir d’être admirée me donnait vraiment des ailes… Et ce fut ma ruine. Trois jours plus tard, je demeurai seule parce que les maîtres de maison avaient regagné leur demeure patricienne de Rome. Mais je ne suis pas restée à la maison… Ces deux yeux admirateurs m’avaient révélé autre chose que la danse… Ils m’avaient révélé la sensualité et le sexe. »

Marie a un geste de dégoût involontaire qu’Aglaé remarque.

« Oh, mais tu es pure, et je dois te paraître répugnante.

– Parle, parle, ma fille. Il vaut mieux que ce soit à Marie qu’à lui. Marie, c’est la mer qui lave.

– Oui, il vaut mieux que ce soit à toi, c’est aussi ce que je me suis dit quand j’ai su qu’il avait une Mère… Car, au premier abord, en le voyant si différent de tout autre homme, le seul à être tout esprit – maintenant je sais que l’esprit existe et ce que c’est –, je n’aurais su dire de quoi était fait ton Fils pour être ainsi pur de toute sensualité tout en étant homme, et je m’imaginais qu’il n’avais pas de mère, mais qu’il était descendu comme cela sur terre, pour sauver les horribles misères dont je suis la plus grande…

168.5

Je revenais chaque jour à cet endroit dans l’espoir de revoir cet homme jeune, brun, beau… De fait, après quelque temps, je le revis. Il me parla. Il me dit : “ Viens à Rome avec moi. Je t’amènerai à la cour impériale, tu seras la perle de Rome. ” Je répondis : “ Oui, je serai ta fidèle épouse. Viens chez mon père. ” Il se mit à rire d’un air moqueur et me donna un baiser. Il précisa : “ Pas mon épouse, mais ma déesse. Je serai ton prêtre, et je te révélerai les secrets de la vie et du plaisir. ” J’étais folle, j’étais jeune. Malgré tout, je n’ignorais pas les réalités de la vie… J’étais rusée. J’étais folle, mais pas encore dépravée… et sa proposition m’a dégoûtée. Je m’échappai de ses bras et courus à la maison. Mais je n’ai rien dit à ma mère… et je n’ai pas su résister à la tentation de le revoir. Ses baisers m’avaient rendue encore plus folle… et j’y suis retournée. J’étais à peine revenue sur cette plage solitaire que déjà il m’embrassait, me donnant des baisers avec frénésie, une vraie pluie de baisers, de mots d’amour, de questions : “ Est-ce que tout n’est pas dans cet amour ? N’est-ce pas plus doux que les liens du mariage ? Que veux-tu d’autre ? Peux-tu vivre sans cela ? ”

Oh, Mère ! Le soir même, je me suis enfuie avec ce patricien dégoûtant… Et je fus une vraie loque piétinée par sa bestialité… Pas une déesse, mais de la boue. Pas une perle, mais du fumier. Ce n’est pas la vie qu’il m’a révélée, mais l’ordure de la vie, l’infamie, le dégoût, la souffrance, la honte, l’infinie misère de ne même plus m’appartenir. Et puis… ce fut la chute complète. Après six mois d’orgie, fatigué de moi, il est passé à de nouvelles amours et je me suis retrouvée à la rue. J’utilisai alors mes talents de danseuse… Je savais désormais que ma mère était morte de chagrin et que je n’avais plus de maison, plus de père… Un maître de danse m’accueillit dans son gymnase. Il me fit faire des progrès… m’exploita… et me lança comme une fleur au courant de tous les arts sensuels au milieu du patriciat corrompu de Rome. Déjà souillée, la fleur tomba dans un égout. Ce furent dix années de descente à l’abîme, toujours plus bas. Puis on m’amena ici pour charmer les loisirs d’Hérode, et je fus prise par un nouveau maître. Ah ! Il n’est pas de chien enchaîné qui le soit plus que nous ! Et il n’y a pas de dresseur de chiens qui soit plus brutal que l’homme qui possède une femme ! Mère… tu trembles ! Je te fais horreur ! »

Marie a porté la main à son cœur comme si elle avait reçu un coup. Mais elle répond :

« Non, pas toi. Ce qui me fait horreur, c’est le Mal qui domine tellement la terre. Continue, ma pauvre enfant.

– Il m’a amenée à Hébron… Est-ce que j’étais libre ? Est-ce que j’étais riche ? Oui, puisque je n’étais pas en prison et que j’étais couverte de bijoux. Non, car je ne pouvais voir que ceux qu’il voulait, lui, et je n’avais plus aucun droit sur moi-même.

168.6

Un jour, un homme vint à Hébron : l’Homme, ton Fils. Cette maison lui était chère. Je le savais et je l’invitai à entrer. Shammaï n’était pas là… par la fenêtre, j’avais déjà entendu ses paroles et vu une personne qui m’avait bouleversée. Mais je te le jure, Mère, ce n’est pas la chair qui m’a poussée vers ton Jésus. C’est ce qu’il m’a révélé qui m’a guidée sur le seuil de la porte, au mépris des plaisanteries des gens, pour lui dire : “ Entre. ” Ce fut mon âme, dont j’appris alors l’existence. Il me dit : “ Mon nom signifie Sauveur. Je sauve ceux qui ont un réel désir d’être sauvés. Je sauve en enseignant à être pur, à vouloir rechercher l’honneur, le bien à tout prix, quitte à en souffrir. Je suis celui qui vient chercher ceux qui étaient perdus, celui qui donne la vie. Je suis Pureté et Vérité. ” Il m’a encore appris que je possédais moi aussi une âme et que je l’avais tuée par ma manière de vivre. Mais il ne m’a pas maudite, il ne s’est pas moqué de moi. Pas une fois il ne m’a regardée ! C’est le premier homme à ne pas m’avoir dévisagée d’un regard avide, car j’ai la terrible malédiction d’attirer les hommes… Il m’a dit que qui le cherche le trouve, parce qu’il se trouve là où on a besoin d’un médecin et de remèdes. Puis il est parti. Mais ses paroles sont restées en moi, et elles n’en sont plus sorties. Je me disais : “ Son nom signifie Sauveur ”, comme pour commencer à guérir. Ses paroles m’étaient restées, ainsi que ses amis les bergers. Et je fis mon premier pas pour leur apporter mon obole et demander leur prière… Après quoi… je me suis enfuie…

Ah, quelle sainte fugue ! J’ai fui le péché, à la recherche du Sauveur. Je suis allée le chercher, certaine de le trouver puisqu’il me l’avait promis. On m’a envoyée auprès d’un homme du nom de Jean en me disant que c’était lui. Mais ce n’était pas lui. Un juif me dirigea vers la Belle Eau. Je vivais grâce à la vente de l’or que j’avais en grande quantité. Pendant les mois où j’étais à sa recherche, j’avais dû me couvrir le visage pour ne pas risquer d’être reprise et parce que, réellement, Aglaé était ensevelie sous ce voile. L’ancienne Aglaé était morte. Il y avait sous ce voile son âme blessée et exsangue qui cherchait son médecin. Il m’a fallu bien des fois échapper à la sensualité des hommes qui me poursuivaient, bien que je sois camouflée sous ce vêtement. Même un des amis de ton Fils…

168.7

Je vivais à la Belle Eau comme une bête, pauvre mais heureuse. Les averses et le fleuve m’ont moins purifiée que ses paroles. Ah, je n’en ai perdu aucune ! Une fois, il a pardonné à un assassin. J’avais entendu, et j’ai failli lui dire : “ Pardonne-moi, à moi aussi. ” Une autre fois, il a parlé de l’innocence perdue… Ah ! Quels pleurs de remords ! Ou encore il a guéri un lépreux… et je fus sur le point de crier : “ Purifie-moi de mon péché… ” Il a aussi guéri un fou, or c’était un Romain… j’ai pleuré… et il me fit dire que les patries passent, mais que le Ciel reste. Un soir de tempête, il m’accueillit dans la maison… puis il me fit trouver un logement par le régisseur… et il me fit dire par l’entremise d’un enfant : “ Ne pleure pas ”… Oh ! Sa bonté ! Oh ! Ma misère ! Elles étaient toutes deux si grandes que je n’osais pas porter ma misère à ses pieds… bien que l’un de ses disciples m’aient instruite, une nuit, sur l’infinie miséricorde de ton Fils. Par la suite, il fut exposé aux pièges de ceux qui voyaient un péché dans le désir qu’avait une âme de renaître. Mon sauveur est parti… et moi, je l’ai attendu… de même que m’attendait la vengeance de gens plus indignes que moi de le regarder. Car, moi, c’est en tant que païenne que j’ai péché contre moi-même, alors qu’eux ont péché contre le Fils de Dieu, bien que connaissant Dieu. Ils m’ont frappée, et leur accusation m’a blessée plus que les pierres, mon âme poussée au désespoir a été blessée plus que mon corps.

Ah ! Quelle terrible lutte contre moi-même ! Déchirée, en sang, blessée, fiévreuse, privée de mon Médecin, sans toit ni pain, j’ai regardé en arrière, devant moi… Le passé me conseillait : “ Reviens ”, le présent me soufflait : “ Tue-toi ”, le futur m’exhortait : “ Espère. ” J’ai espéré. Je ne me suis pas suicidée. Je le ferais si, lui, il me chassait, car je ne veux plus être celle que j’étais. Je me suis traînée jusqu’à un village pour y demander un abri. Mais j’y ai été reconnue. Comme une bête, j’ai dû fuir çà et là, toujours poursuivie, toujours méprisée, toujours maudite parce que je voulais être honnête et que j’avais déçu ceux qui voulaient frapper ton Fils par mon intermédiaire. J’ai suivi le fleuve pour remonter jusqu’en Galilée, et je suis venue ici. Mais tu étais absente… Je suis alors allée à Capharnaüm. Mais tu venais d’en partir. Un vieillard m’a vue, un de ses ennemis, et il m’a fait un texte d’accusation contre lui, ton Fils. Et comme je pleurais sans réagir, il m’a dit… il m’a dit… : “ Tout pourrait changer pour toi si tu acceptais d’être ma maîtresse et ma complice pour accuser le Rabbi de Nazareth. Il suffit que tu dises devant mes amis qu’il était ton amant… ” Je me suis enfuie comme si j’avais vu grouiller un nœud de vipères sous un buissons de fleurs.

168.8

J’ai compris de cette façon que je ne pouvais aller à ses pieds… si bien que viens aux tiens. Piétine-moi donc, je ne suis que de la boue. Chasse-moi, je suis la pécheresse. Donne-moi mon nom : prostituée. J’accepterai tout de toi, mais aie pitié de moi, Mère. Prends ma pauvre âme souillée et porte-la lui. C’est un péché que de remettre entre tes mains ma luxure. Mais il n’y a que là qu’elle sera protégée du monde, qui la réclame, et qu’elle deviendra pénitence. Dis-moi comment faire. Dis-moi ce que je dois faire. Dis-moi quels moyens je dois mettre en œuvre pour n’être plus Aglaé. Que dois-je mutiler en moi ? Qu’est-ce que je dois m’arracher pour n’être plus péché, plus séduction, pour ne plus rien avoir à craindre de moi-même et de l’homme ? Dois-je m’arracher les yeux ? Dois-je me brûler les lèvres ? Dois-je me couper la langue ? Mes yeux, mes lèvres, ma langue m’ont servi à faire le mal. Je ne veux plus du mal et je suis disposée à me punir et à les punir en les sacrifiant. Ou bien veux-tu que je m’arrache ces reins avides qui m’ont poussée à des amours dépravées ? Ces entrailles insatiables dont je crains toujours le réveil ? Dis-moi, dis-moi comment on s’y prend pour oublier qu’on est femme et pour faire oublier qu’on est femme ! »

Marie est bouleversée. Elle pleure, elle souffre, mais les seuls signes de sa douleur, ce sont les larmes qui tombent sur la re­pentie.

« Je veux mourir pardonnée. Je veux mourir sans autre souvenir que mon Sauveur. Je veux mourir avec sa sagesse pour amie… et je ne peux plus l’approcher car le monde nous guette, lui et moi, pour nous accuser… »

Tombée à terre comme une vraie loque, Aglaé pleure.

168.9

Presque haletante, Marie se lève en murmurant :

« Comme il est difficile d’être rédempteurs ! »

Aglaé, qui entend ce murmure et voit sa réaction, gémit :

« Tu vois ? Tu vois qu’à toi aussi j’inspire le dégoût ? Maintenant, je m’en vais. C’en est fini pour moi !

– Non, ma fille. Non, ce n’est pas fini. Pour toi maintenant, tout commence. Ecoute, pauvre âme. Ce n’est pas pour toi que je gémis, mais pour le monde cruel. Non seulement je ne te laisse pas partir, mais je te recueille, pauvre hirondelle que la bourrasque a abattue contre mes murs. Je t’amènerai à Jésus et, lui, il t’indiquera le chemin de la rédemption…

– Je n’ai plus d’espoir… Le monde a raison. Je ne peux être pardonnée.

– Par le monde, non. Mais par Dieu, oui. Laisse-moi te parler au nom du suprême Amour qui m’a donné un Fils pour que je le donne au monde. Il m’a sortie de la bienheureuse ignorance de ma virginité consacrée pour que le monde obtienne le pardon. Il a pris mon sang non de l’enfantement, mais de mon cœur en me révélant que mon Fils est la grande victime. Regarde-moi, ma fille. Il y a dans ce cœur une grande blessure. Elle gémit depuis trente ans et plus. Elle ne cesse de s’élargir et me consume. Sais-tu quel nom, elle a ?

– Douleur ?

– Non. Amour. Et c’est cet amour qui me saigne pour que le Fils ne soit pas seul à opérer le salut. C’est l’amour qui met en moi un feu pour que je purifie ceux qui n’osent pas aller vers mon Fils. C’est l’amour qui suscite en moi les larmes par lesquelles je lave les pécheurs. Tu voulais mes caresses. Je te donne mes larmes qui déjà te purifient pour que tu puisses regarder mon Seigneur. Ne pleure pas ainsi. Tu n’es pas la seule pécheresse qui vient au Seigneur et repart rachetée. Il y en a eu d’autres, et il y en aura d’autres.

Doutes-tu qu’il puisse te pardonner ? Mais ne vois-tu pas en tout ce qui t’est arrivé une mystérieuse volonté de la bonté divine ? Qui t’a amenée en Judée ? Qui t’a conduite dans la maison de Jean ? Qui t’a mise à la fenêtre ce matin-là ? Qui a allumé une lumière pour toi pour éclairer ses paroles ? Qui t’a donné la capacité de comprendre que la charité, unie à la prière de celui qui reçoit un bienfait, obtient l’aide de Dieu ? Qui t’a donné la force de t’enfuir de la maison de Shammaï et de persévérer les premiers jours jusqu’à l’arrivée de mon Fils ? Qui t’a mise sur son chemin ? Qui t’a rendue capable de vivre en pénitente pour purifier toujours plus ton âme ? Qui t’a rendu l’âme d’une martyre, l’âme d’une croyante, une âme persévérante, une âme pure ?…

Oui. Ne secoue pas la tête. Crois-tu qu’il n’y a de pur que celui qui n’a pas connu la sensualité ? Crois-tu que l’âme ne puisse plus jamais redevenir vierge et belle ? Oh, ma fille ! Mais entre ma pureté qui est tout entière grâce du Seigneur et ton héroïque ascèse pour retourner vers le sommet de ta pureté perdue, sois sûre que c’est la tienne qui est la plus grande. C’est toi qui la construis : contre la sensualité, le besoin et l’habitude. Pour moi, c’est un don naturel comme la respiration. Toi, tu dois briser au vif dans ta pensée, tes affections, ta chair, pour ne pas te souvenir, pour ne pas désirer, pour ne pas favoriser. Moi… Est-ce qu’une petite enfant de quelques heures peut désirer la chair ? Et a-t-elle le mérite de ne pas le faire ? C’est ce qu’il en est pour moi. J’ignore ce qu’est cette tragique faim qui a fait de l’humanité une victime. Je ne connais que la très sainte faim de Dieu. Mais, toi, tu ne la connaissais pas, et c’est par toi-même que tu l’as apprise. Et l’autre faim, tragique et horrible, tu l’as domptée pour l’amour de Dieu, ton unique amour maintenant. Souris, fille de la miséricorde divine ! Mon Fils fait en toi ce qu’il t’a dit à Hébron. Il l’a déjà fait. Tu es déjà sauvée car tu as eu la volonté sincère de te sauver, parce que tu as appris la pureté, la douleur, le bien. Ton âme est revenue à la vie. Oui. Il te faut sa parole pour te dire au nom de Dieu : “ Tu es pardonnée. ” Moi, je ne peux la dire, mais je te donne mon baiser comme une promesse, comme un commencement de pardon…

O Esprit éternel, un peu de toi est toujours en ta Marie ! Permets qu’elle te répande, Esprit sanctificateur, sur la créature qui pleure et espère. Au nom de notre Fils, ô Dieu d’amour, sauve celle qui attend de Dieu son salut. Que la grâce dont l’ange m’a dit que Dieu m’a comblée se pose miraculeusement sur cette femme et la soutienne, jusqu’à ce que Jésus, le Sauveur béni, le Prêtre suprême l’absolve au nom du Père, du Fils et de l’Esprit…

168.10

Il fait nuit, ma fille. Tu es fatiguée et brisée. Viens te reposer. Tu repartiras demain… Je t’enverrai dans une famille de gens honnêtes, car il vient désormais trop de monde ici. Et je te donnerai un vêtement semblable au mien. On te prendra pour une juive. Je dois revoir mon Fils en Judée, car la Pâque approche et à la nouvelle lune d’avril, nous serons à Béthanie. Je lui parlerai alors de toi. Viens chez Simon le Zélote. Tu m’y trouveras et je te conduirai à lui. »

Aglaé pleure encore, maintenant paisiblement. Elle s’est assise par terre. Marie aussi s’est assise de nouveau. Aglaé pose la tête sur les genoux de Marie et baise sa main… Puis, elle gémit :

« On va me reconnaître…

– Oh non ! N’aie pas peur. Ton vêtement était désormais trop connu. Mais je te préparerai pour ce voyage que tu entreprends vers le Pardon. Et tu seras comme la vierge qui va à ses noces : différente et inconnue à travers la foule ignorante du rite. Viens. J’ai une petite chambre à côté de la mienne. Elle a abrité des saints et des pèlerins désireux d’aller vers Dieu. Elle t’abritera toi aussi. »

Aglaé veut reprendre son manteau et son voile.

« Laisse-les. Ce sont les habits de la pauvre Aglaé perdue. Elle n’existe plus… et d’elle il ne doit même pas rester ce vêtement. Il a reçu trop de haine… et la haine blesse autant que le péché. »

Elles sortent dans le jardin obscur et entrent dans la petite chambre de Joseph. Marie allume la lampe posée sur une petite table, caresse encore la femme repentie, ferme la porte et avec sa triple flamme s’éclaire pour voir où elle peut porter le manteau déchiré d’Aglaé pour qu’aucun visiteur ne le voie le lendemain.

168.1

Mary is working quietly at a piece of cloth. It is evening, all the doors are closed, a three flame lamp lights up the little room in Nazareth, particularly the table at which the Virgin is sitting. The cloth, perhaps a bed sheet, hangs from the chest and from Her knees onto the floor, so that Mary, Who is wearing a dark blue dress, seems to emerge from a pile of snow. She is alone. She is sowing fast, Her head bent over Her work, and the light of the lamp causes the top part of Her hair to shine with pale gold shades. The rest of Her face is in half-light.

There is dead silence in the tidy room. No noise can be heard either from the road, deserted at night, or from the kitchen garden. The heavy door of the room where Mary works, where She takes Her meals and receives Her friends, and which opens onto the kitchen garden, is closed, so that not even the noise of the fountain water running into the basin can be heard. It is really the deepest silence. I wonder what Mary is thinking of while Her hands are working swiftly…

There is a light tapping at the main door. Mary looks up and listens… The tapping has been so light that Mary must be thinking that it was caused by some night animal or by the wind and She bends Her head once again to Her work. But the knocking is repeated and more loudly. Mary stands up and goes to the door. Before opening She asks: «Who is knocking?»

A thin voice replies: «A woman. In the name of Jesus, have mercy on me.»

Mary opens the door at once holding the lamp up to see the pilgrim. She sees a heap of clothes, through which no one appears. A poor heap of clothes, stooping very low and saying: «Hail! My Lady!» and then once again: «In the name of Jesus, have mercy on me.»

«Come in and tell Me what you want. I do not know you.»

«Nobody and many know me. Vice knows me. And Holiness knows me. But now I need compassion to open Her arms to me. And You are compassion…» and she weeps.

«Come in, then… And tell me… You have said enough to make Me understand that you are unhappy… But I do not yet know who you are. Your name, sister…»

«Oh! no! Not sister! I cannot be Your sister… You are the Mother of Good… I… I am Evil…» and she cries louder and louder under her mantle, which covers her completely.

Mary lays the lamp on a chair; she takes the hand of the unknown woman kneeling on the threshold and compels her to stand up.

168.2

Mary does not know her… but I do. She is the Veiled woman of the Clear Water.

She stands up, dejected, trembling, shaken by her sobs, and is still reluctant to go in. She says: «I am a heathen, my Lady. I am filth, for you Jews, even if I were holy. I am twice filth because I am a prostitute.»

«If you come to Me, if you look for My Son through Me, you can only be a repentant heart. This house welcomes those whose name is Sorrow» and She leads her in, closing the door, lays the lamp on table, and asks her to sit down and says: «Speak.»

But the Veiled woman does not want to sit down; still stooping, she continues to weep. Mary is in front of her, kind and queenly. She waits, praying, for her to calm down. Her whole attitude tells me that She is praying, although nothing about Her takes the form of prayer: neither Her hands which are holding all the time the little hand of the Veiled woman, nor Her lips which are closed.

At last her weeping calms down. The Veiled woman dries her face with her veil and then says: «And yet I have not come from so far as to be unknown. It is the hour of my redemption and I must reveal myself… to show with how many wounds my heart is covered. And You are a mother… and His Mother… You will, therefore, have mercy on me.»

«Yes, My daughter.»

«Oh! yes! Call me daughter! I had a mother… and I left her… I was later told that she died of a broken heart… I had a father… he cursed me… and he says to those in town: “I no longer have a daughter”»… (she carries on crying more bitterly. Mary turns pale with anguish, but lays Her hand on her head to comfort her). The Veiled woman goes on: «No one will call me daughter any more!… Yes, caress me thus, as my mother used to do when I was pure and good… Let me kiss Your hand and wipe my tears with it. My tears alone will not cleanse me. How much have I wept when I realised! Also before I used to weep, because it is horrible to be nothing but flesh, abused and insulted by man. But they were the tears of an ill-treated animal that hates and rebels against him who tortures and fouls it more and more… because I changed master, but I did not change bestiality… I have been weeping for eight months… because I have understood… I understood my misery and my depravity, I am covered and saturated with it and I feel disgusted… But my tears, although more and more conscious, do not yet cleanse me. They mix with my depravity and do not wash it away. Oh! Mother! Wipe my tears and I shall be so cleansed as to be able to go near my Saviour!»

«Yes, My daughter, yes, I will. Sit down. Here, near Me. And speak calmly. Leave your burden here, on My knees of a Mother» and Mary sits down.

168.3

But the Veiled woman sinks to the ground at Her feet, as she wishes to speak to Her in this way. She begins slowly: «I come from Syracuse… I am twenty-six years old… I was the daughter of a steward, as you would call him, we say a procurator, of a wealthy Roman gentleman. I was an only child. My life was a happy one. We lived near the seaside, in a beautiful villa, where my father was the steward. Now and again the owner of the villa, or his wife or children would come. They treated us very well and were very good to me. The girls used to play with me… My mother was happy and… proud of me. I was beautiful… intelligent and I succeeded in everything… But I loved frivolous things more than good things. There is a great theatre at Syracuse. A great theatre… Beautiful… huge… It is used for games and plays… Mimers are widely employed in the comedies and tragedies which are performed there. They emphasize the meaning of the chorus by their silent dances. You do not know… but also by means of our hands or through the movements of our bodies we can express the feelings of a man agitated by passion. Young boys and girls are trained as mimers in a special school. They must be as beautiful as gods and as agile as butterflies… I loved to go to a kind of high spot overlooking that place and see the mimers dance. I then imitated them on the flowery meadows, on the golden sands of my land, in the garden of the villa. I looked like an artistic statue, or a light blowing breeze, so clever I was in taking on statuesque postures or flying about almost without touching the ground. My wealthy friends admired me… my mother was proud of me…»

The Veiled woman speaks, remembers, sees and dreams of her past and weeps. Her sobs are like commas in her speech.

«One day… it was May… The whole of Syracuse was blooming with flowers. The celebrations were just over and I had gone into raptures over a dance performed in the theatre… The owners had taken me there with their daughters. I was fourteen years old… In that dance the mimers, who were to represent the springtime nymphs running to worship Ceres, danced crowned with roses and clad with roses… Only with roses because their dresses were very light veils, a cobweb spread with roses… While dancing they looked like winged Hebes, so light they glided about, while their magnificent bodies appeared through the ruffled strips of their flowery veils, flowing like wings behind them. I studied the dance… and one day… one day»…

168.4

The Veiled woman cries louder… She then composes herself.

«I was beautiful. I still am. Look.» She stands up throwing her veil behind her and letting her large mantle drop. And I am dumbfounded, because I see Aglae emerge from the discarded clothes. She is beautiful, even in her modest dress, in her simple plaited hair-style, without any jewels, without pompous garments. Her body is like a real flower, slender and perfect, with a beautiful light brown face and velvet eyes full of ardour.

She kneels down again in front of Mary. «I was beautiful, unfortunately. And I was crazy. On that day I put on veils, the daughters of our landlord helped me as they loved to see me dance… I got dressed on a strip of the golden beach, facing the blue sea. On the deserted beach there were white and yellow wild flowers, with the sharp scent of almonds, of vanilla, of clean human bodies. Waves of strong perfumes came also from the citrus gardens and the rose gardens in Syracuse gave off a scent, as well as the sea and the sand on the beach; the sun drew a smell from all things… something panicky that went to my head. I felt as if I were a nymph, too, and I was worshiping… whom? The fertile Earth? The fecundating Sun? I do not know. A heathen amongst heathens, I think I was worshiping Sense, my despotic king, whom I did not know I had, but who was more powerful than a god… I put on a wreath of roses picked in the garden… and I danced. I was enraptured by the light, the scents, by the pleasure of being young, agile and beautiful. I danced… and I was noticed. I saw I was being looked at. But I was not ashamed of appearing nude in the presence of two greedy eyes of a man. On the contrary, I took pleasure in dancing more lively. The satisfaction of being admired gave wings to my feet. And it was my ruin. Three days later I was left all by myself because the landlords left to go back to their patrician dwelling in Rome. But I did not stay at home… The two adimiring eyes had revealed something else to me, beyond dancing… They had revealed sensuality and sex.»

Mary makes an involuntary gesture of disgust, which is noted by Aglae. «Oh! but You are pure! Perhaps I disgust You…»

«Speak, My daughter. It is better if you speak to Mary than to Him. Mary is a sea that washes…»

«Yes, it is better if I tell You. I thought that myself when I heard that He had a mother… Because before, seeing Him so different from every other man, the only thoroughly spiritual man — now I know there is the spirit and what it is — before I could not have said what Your Son was made of, as He was without sensuality although a man, and within myself I thought He had no mother, but He had descended upon the earth to save the horrible wretches of whom I am the worst.

168.5

Everyday I went back to that place hoping to see the young handsome swarthy man… And after some time I saw him again… He spoke to me. He said to me: “Come to Rome with me. I will take you to the imperial court, you will be the pearl of Rome”. I replied: “Yes. I will be your faithful wife. Come and see my father”. He laughed mockingly and kissed me. He said: “Not my wife. But you shall be the goddess and I your priest and I will reveal the secrets of life and pleasure to you”. I was thoroughly infatuated, I was a young girl. But although a young girl, I knew what life is… I was shrewd, I was infatuated, but not yet depraved… and I was disgusted by his proposal. I tore myself away from his embrace and I ran home… But I did not speak to my mother about it… and I did not resist the desire to see him again… His kisses had made me more enthralled than ever… And I went back… I had hardly reached the deserted beach when he embraced me kissing me with frenzy, with a storm of kisses, with loving words, with questions: “Is there not everything in this love? Is this not sweeter than a bond? What else do you want? Can you live without this?”

Oh! Mother… I eloped the same evening with the filthy patrician… and I became a rag trampled on by his beastliness… I was not a goddess: but mud. Not a pearl: but trash. Life was not revealed to me, but the filth of life, the infamy, the disgust, the pain, the shame, the infinite misery of not even belonging to myself… And then… utter ruin. After six months of orgies, he became tired of me and passed onto fresh love affairs and I lived on the streets. I made the most of my dancing talent… I already knew that my mother had died of a broken heart and that I no longer had a home or a father… A dancing master accepted me in his academy. He perfected me… he enjoyed me… and he launched me into the corrupt Roman patriciate as a flower fully skilled in every sensual art. The already dirty flower fell into a cloaca. For ten years I fell lower and lower into the abyss. I was then brought here to delight Herod’s leisure time and I was engaged here by a new master. Oh! No chained dog is more chained than one of us! And there is no dog trainer more brutal than the man who possesses a woman! Mother… You are trembling! I am filling You with horror!»

Mary has taken Her hand to Her heart, as if it had been wounded. But She replies: «No, not you. The Evil, which is such a powerful master on the earth, is horrifying Me. Go on, My poor creature.»

«He took me to Hebron… Was I free? Was I rich? Yes, I was, because I was not in jail and I was covered with jewels. No, I was not, because I could see only those whom he wanted and I had no right to myself.

168.6

One day a man, the “Man”, Your Son, came to Hebron. The house was dear to Him. I realised it and I invited Him to enter. Shammai was not there… and from the window I had already heard words and seen a sight which had upset my heart. But I swear to You, Mother, that it was not the flesh that drove me towards Your Jesus. It was something that He revealed to me that He at the door, defying the quips of the populace, to say to me “Come in”. It was the soul that I then learned I had. He said to me: “My Name means: Saviour. I save those who are anxious to be saved. I save by teaching to be pure, to desire and accept sorrow with honour, to desire Good at all costs. I am the One Who seeks those who are lost and gives Life. I am Purity and Truth!”. He told me that I also had a soul and that I had killed it by my way of living. But He did not curse me, neither did He mock me. And He never looked at me! The first man who did not strip me with his greedy eyes, because I lie under the terrible curse of attracting men… He told me that he who looks for Him will find Him because He is where a doctor and a medicine are needed. And He went away. But His words were in here. And they have never come out. I used to say to myself: “His Name means Saviour”, as if I were beginning to wish to be cured. I was left with His words and with His friends, the shepherds. And I took the first step by giving them alms and asking for their prayers… And then… I ran away…

Oh! It was a holy flight! I ran away from sin seeking the Saviour. I went about looking for Him. I was sure I would find Him because He had promised me. They sent me to a man whose name is John, thinking it was He. But it was not. A Jew sent me to the Clear Water. I lived selling the large quantity of gold I had. During the months when I wandered about I had to keep my face covered to avoid being captured and also because, really, Aglae was buried under that veil. The old Aglae was dead. Under the veil there was her wounded bloodless soul seeking its doctor. Many a time I was compelled to flee the sensuality of men who persecuted me, although I was so disguised in my attire. Also one of the friends of Your Son…

168.7

At the Clear Water I lived like an animal: poor but happy. And the dew and the river did not clean me as much as His words. Oh! Not one was lost! Once He forgave a murderer. I heard… and I was about to say: “Forgive me, too”. Another time He spoke of lost inocence… Oh! How many tears of regret! Another time He cured a leper… and I was about to shout: “Cleanse me too, of my sin…” Another time He cured a madman, a Roman… and I wept… and He got someone to tell me that fatherlands pass away, but Heaven remains. One stormy night He sheltered me in His house… and later He asked the steward to give me hospitality and He told a child to say to me: “Do not weep”… Oh! His kindness! My misery! Both so great that I did not dare to take my misery to His feet… notwithstanding that one of His disciples during the night instructed me in the infinite mercy of Your Son. And then, when those who considered sinful the desire of a soul to be reborn laid snares for Him, my Saviour went away… and I waited for Him… But He was also awaited by the vengeance of those who are by far less worthy of looking at Him than I am. Because I, as a heathen, sinned against myself, whereas they, who already know God, sin against the Son of God… and they hit me and they have hurt me more with their accusations than with stones and they have wounded my soul more than my body, as they led me to despair.

Oh! What a dreadful struggle against myself! Worn out, bleeding, wounded, feverish, without my Doctor, homeless, without food, I looked behind me and in front of me… My past would say to me: “Come back”, my present said: “Kill yourself”, my future used to say: “Hope”. I did hope… I did not commit suicide. I would, if He rejected me, because I do not want to be what I was!… I dragged myself to a village asking for shelter… But they recognised me. Like an animal I had to run away, here, there, always chased, always scorned at, always cursed, because I wanted to be honest and because I had disappointed those who, through me, wanted to strike Your Son. Following the river I came up to Galilee and I came here… You were not here… I went to Capernaum. You had just left. But an old man saw me. One of His enemies, who wanted me to bear witness against Your Son, and as I was weeping without reacting, he said to me: “Everything could change in your favour if you would become my lover and my accomplice in accusing the Rabbi of Nazareth. It is enough for you to say, in the presence of my friends, that He was your lover…” I ran away like a person who sees a snake creep out of a flowery bush.

168.8

I thus understood that I can no longer go to Him… and I came to You. Here I am: tread on me, for I am mud. Here I am: reject me, for I am a sinner. Here I am: call me by my name: prostitute. I will accept anything from You. But, Mother, have mercy on me. Take my poor soiled soul and take it to Him. It is a crime to put my lust into Your hands. But only there it will be protected from the world that wants it and it will become penance. Tell me how I must behave. Tell me what I have to do. Tell me which means I must use to be no longer Aglae. What must I mutilate in myself? What must I tear away from myself that I may no longer be sin, or an allurement, that I may no longer have to be afraid of myself and of men? Shall I put out my eyes? Or burn my lips? Or cut my tongue? My eyes, lips and tongue have served me in evil deeds. I no longer want evil and I am willing to punish myself and them by sacrificing them. Or shall I tear off these greedy loins which have driven me to perverted love? Or these unappeasable viscera which I am afraid may be aroused afresh? Tell me, please tell me how can a woman forget she is a female and how can she make other people forget!»

Mary is upset. She weeps and suffers, but the only sign of Her grief are the tears that fall on the repentant woman.

«I want to die only after I have been forgiven. I want to die remembering nothing but my Saviour. I want to die knowing that His wisdom is friendly to me… and I cannot go near Him because the world looks at Him and at me suspiciously to accuse us…» Aglae cries, prostrate with grief.

168.9

Mary stands up whispering: «How difficult it is to be redeemers!» She is almost breathless.

Aglae, who hears the whisper and understands Her gesture, moans: «See? You can see that You are disgusted, too. I will now go away. I am done for!»

«No, My daughter. You are not done for. No, you are beginning now. Listen, poor soul. I am not moaning because of you, but because of the cruel world. I will not let you go, but I will pick you up, a poor swallow tossed by the storm against the walls of My house. I will take you to Jesus and He will show you your way to redemption…»

«I no longer hope… The world is right. I cannot be forgiven.»

«Not by the world but by God. Let me speak to you in the name of the Supreme Love, Who gave Me a Son that I may give Him to the world. He took Me out of the blessed simplicity of my consecrated virginity so that the world might receive Forgiveness. He drew My blood not from My childbirth but from My heart by revealing to Me that My Creature is the Great Victim. Look at Me, daughter. There is a large wound in this heart. It has been groaning for over thirty years and it is becoming deeper and deeper and it consumes Me. Do you know its name?»

«Sorrow.»

«No. Love. It is love that bleeds Me so that My Son may not be the only one to save. It is love that sets Me on fire that I may purify those who dare not go to My Son. It is love that causes Me to weep that I may wash sinners. You wanted My caresses. I am giving you My tears that will already cleanse you and enable you to look at My Lord. Do not weep in this way! You are not the only sinner who has come to the Lord and has left redeemed. Other women came, many more will come.

You are not sure that He can forgive you? But can you not see in everything that happened to you the mysterious will of Divine Goodness? Who brought you to Judaea? Who took you to John’s house? Who placed you at the window that morning? Who lit a light to illuminate His words for you? Who made you understand that charity, when joined to the prayers of those who have been helped, obtains help from God? Who gave you the strength to run away from Shammai’s house and to persevere during the first days until His arrival? Who led you to His way? Who enabled you to live as a repentant sinner to cleanse your soul more and more? Who gave you a martyr’s soul, a believer’s soul, a persevering and pure soul?

Do not shake your head. Do you think that only he is pure who has never known sensuality? Do you think that a soul can never again become virgin and beautiful? Oh! My daughter! Between the purity which is entirely a grace of the Lord and your heroic ascent to climb back to the summit of your lost purity, you must believe that yours is the greater. You are building it against sensuality, against need and habit. For Me it is a natural endowment, like breathing. You have to break off your thoughts, your feelings, your flesh, in order not to remember, not to desire, not to yield… I… Oh! Can a little child, a few hours old, have carnal desires? And does he have any merit thereby? The same applies to Me. I do not know what that tragic hunger is that made mankind a victim. I know but the most holy hunger for God. But you did not know it and you learned it by yourself. But you subdued the other hunger, the tragic and horrible one, for the sake of God, your only love at present. Smile, daughter of divine mercy! My Son is working on you what He told you at Hebron. He has already done that. You are already saved, because of your goodwill to be saved, because you have come to know of purity, of sorrow, of Good. Your soul has revived. Yes, you need His word saying to you in the name of God: “You are forgiven”. I cannot say that. But I give you My kiss as a promise, as a beginning of forgiveness…

O Eternal Spirit, a little of You is always in Your Mary! Allow Her to pour forth Your Sanctifying Spirit on this creature who is weeping and hoping. For the sake of Our Son, o God of Love, save this woman who is expecting salvation from God. May the Grace, with which the Angel said that God has filled Me, may that Grace by a miracle rest upon her and support her until Jesus, the Blessed Saviour, the Supreme Priest, absolves her in the name of the Father, and of the Son and of the Spirit…

168.10

It is late, My daughter. You are tired and worn out. Come, rest. You will go away tomorrow… I will send you to an honest family, because too many people come here now. And I will give you a dress like Mine and you will look like a Jewess. And as I will see My Son only in Judaea, because Passover is near and at the new moon of April we shall be in Bethany, I will speak to Him of you. Come to the house of Simon the Zealot. You will find Me there and I will take you to Him.»

Aglae is weeping again. But now she is at peace.

She is sitting on the floor. Also Mary has sat down again. And Aglae rests her head on Her knees and kisses Her hand… She then moans: «They will recognise me…»

«Oh! They will not. Do not be afraid. Your dress was too well known. But I will prepare you for your journey towards Forgiveness and you will be like a virgin going to her wedding: you will be different and unknown to the people unaware of the rite. Come. There is a little room near Mine. Saints and pilgrims wishing to go to God have rested in it. It will shelter you, too.»

Aglae is about to pick up her large mantle and her veil.

«Leave them. They are the clothes of poor lost Aglae. But she no longer exists… and not even her dress is to remain. It experienced too much hatred… and hatred hurts as much as sin.»

They go out into the dark kitchen garden and then into Joseph’s little room. Mary lights the little lamp on the shelf, caresses the repentant woman once again, closes the door and with her triple light she looks to see where She can take Aglae’s torn mantle so that nobody may see it the following day.