– Mais, excuse-moi, tu les as offensés ! C’est ta faute ! On com-
Prend maintenant pourquoi ils sont venus nous chasser avec une telle hostilité ! » s’exclame Nathanaël.
Et il continue :
« Ecoute, Maître. Nous, c’est-à-dire Simon-Pierre, Philippe et moi, nous étions allés du côté de la tour qui donne sur la mer. Il y avait là des marins et des capitaines de navires qui chargeaient des marchandises pour Chypre, la Grèce et encore plus loin. Ils adressaient des imprécations au soleil, à la poussière et à la fatigue. Ils maudissaient leur sort de philistins, esclaves, disaient-ils, des puissants, alors qu’ils pouvaient être rois. Et ils blasphémaient contre les prophètes, contre le Temple, contre nous tous. Je voulais m’en aller de là, mais Simon a refusé. Il disait :
“ Non, au contraire ! Ce sont justement ces pécheurs que nous devons approcher. Le Maître le ferait et nous devons en faire autant, nous aussi. ”
“ Parle, alors, toi ”, avons-nous dit, Philippe et moi.
“ Et si je ne sais pas m’y prendre ? ”, a dit Simon.
“ Dans ce cas, nous t’aiderons ”, avons-nous répondu.
Simon s’est alors avancé en souriant vers deux marins en sueur qui s’étaient assis sur une grosse balle, parce qu’ils n’arrivaient pas à la hisser sur le bateau. Il leur a dit :
“ Elle est lourde, n’est-ce pas ? ”
“ Plus que lourde, nous sommes à bout de forces. Et il nous faut avoir terminé le chargement, parce que le patron le veut. Il veut lever l’ancre avec la marée car, ce soir, la mer sera plus forte et il faut avoir franchi les écueils pour ne pas être en danger. ”
“ Des écueils en mer ? ”
“ Oui, là où l’eau écume. Ce sont de mauvais passages. ”
“ Les courants, n’est-ce pas ? Oui ! Le vent du midi contourne la pointe et, là, se heurte au courant… ”
“ Tu es matelot ? ”
“ Pêcheur en eau douce, mais l’eau c’est toujours l’eau, et le vent c’est toujours le vent. Moi aussi, j’ai bu la tasse plus d’une fois et le chargement a coulé au fond plus d’une fois. C’est un beau métier que le nôtre, mais il est dur. Mais, en toute chose, il y a du beau et du laid, le bon et le mauvais côté. Il n’y a pas d’endroits où il n’y ait que des méchants, ni de race où tous sont cruels. Avec un peu de bonne volonté, on se met toujours d’accord et on trouve qu’il y a partout de braves gens. Allons ! Je veux vous aider. ”
Simon a alors appelé Philippe :
“ Allons ! Prends de ce côté-ci et moi de celui-là ; ces braves marins nous conduisent sur le navire, vers la cale. ”
Les philistins ne voulaient pas, puis ils nous ont laissé faire. Une fois la balle en place, et d’autres encore qui étaient sur le pont, Simon s’est mis à faire l’éloge du bateau, comme il sait le faire, à admirer la mer, la ville si belle vue de la mer, à s’intéresser à la navigation en mer, aux villes des autres nations. Et tous l’entouraient, le remerciaient, le complimentaient… Jusqu’à ce que quelqu’un demande :
“ Mais toi, d’où es-tu ? De la région du Nil ? ”
“ Non, de la mer de Galilée. Mais, comme vous le voyez, je ne suis pas un tigre. ”
“ C’est vrai. Tu cherches du travail ? ”
“ Oui. ”
“ Moi, je te prends si tu veux. Je vois que tu es un matelot capable ”, a dit le patron.
“ Au contraire, c’est moi qui te prends. ”
“ Moi ? Mais ne m’as-tu pas dit que tu cherches du travail ? ”
“ C’est vrai : mon travail c’est d’amener les hommes au Messie de Dieu. Tu es un homme, donc je suis chargé de toi. ”
“ Mais je suis philistin ! ”
“ Et qu’est ce que cela veut dire ? ”
“ Cela veut dire que vous nous haïssez, que vous nous persécutez depuis la nuit des temps. Vos chefs nous l’ont toujours dit… ”
“ Les prophètes, hein ? Mais aujourd’hui, les prophètes sont des voix qui ne hurlent plus. Il n’y a plus désormais que le seul, le grand, le saint Jésus. Lui, il ne crie pas, mais il appelle d’une voix amicale. Il ne maudit pas, mais il bénit. Il n’inflige pas d’infirmités, mais les fait disparaître. Il ne hait pas et ne veut pas que l’on haïsse. Au contraire, il aime tout le monde et il veut que nous aimions même nos ennemis. Dans son Royaume, il n’y aura plus ni vaincus ni vainqueurs, ni hommes libres ni esclaves, ni amis ni ennemis. Ces distinctions qui engendrent le mal n’existeront plus ; elles sont venues de la méchanceté humaine. Mais il n’y aura plus que ses disciples à lui, c’est-à-dire des gens vivant dans l’amour, dans la liberté, dans la victoire sur tout ce qui est pesant et douloureux. Je vous en prie : veuillez croire à mes paroles et le désirer, lui. Les prophéties ont été écrites, certes, mais il est plus grand encore que les prophètes. Pour ceux qui l’aiment, les prophéties n’existent plus. Voyez-vous cette belle ville qu’est la vôtre ? Vous la retrouverez au Ciel, plus belle encore, si vous arrivez à aimer notre Seigneur Jésus, le Christ de Dieu. ”
Ainsi parlait Simon, jovial et inspiré à la fois. Et tous l’écoutaient avec attention et respect. Oui, avec respect. Puis des citadins armés de bâtons et de pierres ont débouché d’une rue en hurlant. Ils nous ont vus et reconnus à notre vêtement comme étant des étrangers — et des étrangers, je le comprends maintenant, de ton espèce, Judas —, et ils ont cru que nous étions de ta bande. Si ceux du navire ne nous avaient pas protégés, nous étions frais ! Ils ont descendu une chaloupe et nous ont emmenés en mer. Ils nous ont conduit sur la plage près des jardins où nous étions à midi, et nous sommes revenus de là, en même temps que ceux qui cultivent des fleurs pour les riches du pays.