On comprend que Nazareth n’a rien d’autre de bon. La bonté, nos concitoyens l’ont crachée tout entière comme si elle avait une saveur désagréable…
– Ne dis pas cela » prie Jésus. « N’empoisonne pas ton esprit… Ce n’est pas leur faute…
– C’est la faute de qui, alors ?
– De tant de circonstances !… Ne cherche pas. Mais Nazareth n’est pas tout entière ennemie. Les enfants…
– Parce que ce sont des enfants.
– Les femmes…
– Parce que ce sont des femmes. Mais ce ne seront ni les enfants ni les femmes qui affermiront ton Royaume.
– Pourquoi, Jude ? Tu es dans l’erreur. Les enfants d’aujourd’hui seront justement les disciples de demain, ceux qui propageront le Royaume sur toute la terre. Quant aux femmes… pourquoi ne peuvent-elles pas le faire ?
– Quoi que tu fasses, les femmes ne pourront être apôtres. Elles seront tout au plus disciples, comme tu l’as dit, pour aider les autres disciples.
– Tu verras autrement bien des choses à l’avenir, mon frère. Mais moi, je n’essaie même pas de te faire changer d’avis. Je me heurterais à une mentalité qui te vient de siècles d’idées et de préjugés erronés sur la femme. Je te prie seulement d’observer, de remarquer, en toi, les différences que tu vois entre les disciples femmes et hommes, et de constater, impartialement, comment elles répondent à mon enseignement. Tu verras, à commencer par ta mère qui, si on veut, a été la première des femmes disciples dans l’ordre du temps et de l’héroïsme – et elle l’est toujours en tenant tête courageusement à tout un village qui se moque d’elle parce qu’elle m’est fidèle, en résistant même aux voix de son sang qui ne lui épargnent pas les reproches parce qu’elle m’est fidèle –, tu verras que les femmes sont meilleures que vous.
– Je le reconnais, c’est vrai. Mais à Nazareth, où sont les femmes disciples ? Les filles d’Alphée, les mères d’Ismaël et d’Aser et leurs sœurs. Et c’est tout. C’est trop peu. Je voudrais ne plus venir à Nazareth pour ne pas voir tout cela.
– Ta pauvre mère ! Tu lui ferais beaucoup de peine, dit Marie qui intervient dans la conversation.
– C’est vrai » dit Jacques. « Elle espère tant arriver à réconcilier nos frères avec Jésus et nous ! Je crois qu’elle ne désire que cela. Mais ce n’est certainement pas en restant éloignés que nous le ferons. Jusqu’à présent, je t’ai donné raison en restant isolé mais, à partir de demain, je veux sortir, approcher celui-ci ou celui-là… Car, si nous devons avoir à évangéliser même les païens, pourquoi n’évangéliserions-nous pas notre ville ? Moi, je me refuse à la croire tout entière mauvaise, impossible à convertir. »
Jude ne réplique pas, mais il est visiblement ébranlé.