The Writings of Maria Valtorta

361. Deux greffes qui transformeront les apôtres.

361. Two grafts that will transform the apostles.

361.1

Enfin je peux écrire ce qui occupe ma vision et mon audition mentales depuis le début de l’aube, ce matin. Cela me fait souffrir à cause de l’effort que je fais pour entendre les choses extérieures et les affaires de la maison, alors que je dois voir et écouter les choses de Dieu, et que je ne puis supporter rien d’autre que ce que voit mon esprit.

Quelle patience il me faut pour… ne pas perdre patience quand j’attends le moment de dire à Jésus : « Me voilà! Maintenant tu peux aller de l’avant » ! Car, je l’ai dit plusieurs fois et je le répète, quand je ne peux continuer ou commencer le récit de ce que je vois, alors la scène s’arrête dès le début ou bien au point où je suis interrompue, pour reprendre ensuite quand je suis libre de la suivre. Je crois que c’est Dieu qui veut cela pour éviter des omissions ou des erreurs de détails, ce qui pourrait m’arriver si j’écrivais quelque temps après avoir vu.

J’affirme en conscience que ce que j’écris, parce que je le vois ou je l’entends, je l’écris pendant que je le vois ou l’entends.

Voici donc ce que je vois depuis ce matin, et celui qui m’avertit intérieurement me dit que c’est le début d’une longue et belle vision.

361.2

Jésus, par un temps de chien, marche sur un chemin de terre extrêmement boueux. La route est un vrai ruisseau de boue qui gicle à chaque pas, une vase jaunâtre, collante, glissante comme du savon mou, qui adhère aux sandales, les aspire comme une ventouse, et en même temps fuit sous elles, rendant la marche pénible par suite des glissades continuelles.

Il doit avoir plu des cordes les jours précédents et le ciel annonce encore de la pluie. Il est bas, couleur de plomb, parcouru par des nuages épais que pousse le sirocco ou le vent grec, si épais que, dans la bouche, l’air semble être un corps douceâtre comme une couche de miel. Ce souffle de vent syncopé ne soulage pas ; il courbe les herbes et les branches et, une fois passé, tout revient à la lourde immobilité de la chaleur orageuse. De temps à autre, un nuage crève et de grosses gouttes, chaudes comme si elles venaient d’une douche tiède, tombent et font des bulles dans la boue qui gicle encore plus sur les vêtements et les jambes.

Bien que Jésus et les apôtres aient relevé le bas de leur tunique en la faisant remonter jusqu’à la taille à l’aide du cordon qui la retient à la ceinture, elle est tout éclaboussée par la boue, très humide en bas, presque seche là où se trouvent les taches les plus hautes. Vêtements et manteaux, même ceux que l’on porte le plus haut possible en les tenant pliés au milieu pour les garder propres et pour se mettre doublement à l’abri des averses courtes mais violentes, en sont tout salis. Les pieds et les jambes jusqu’aux mollets semblent avoir une épaisse chaussette de laine imprégnée de la boue qui s’y est incrustée.

361.3

Là se termine le début. Voici la suite :

Les disciples se plaignent tour à tour du temps et du chemin et, soit dit en passant, également de la volonté peu… hygiénique du Maître, de faire route par un temps pareil.

Jésus semble ne pas entendre, mais il entend. Deux ou trois fois, il se retourne un peu pour les regarder — ils marchent presque en file indienne pour rester sur le côté gauche du chemin, légèrement plus élevé que le côté droit et pour cette raison moins boueux —, mais il ne dit rien.

Cette fois, c’est le plus âgé des disciples qui se plaint :

« Ah ! Pauvre de moi ! Avec cette humidité qui sèche sur moi, je vais en sentir, des douleurs ! Je suis vieux, moi ! Je n’ai plus trente ans ! »

Et Matthieu, lui aussi, bougonne :

« Et moi, alors ? Moi, je n’étais pas habitué… Quand il pleuvait à Capharnaüm, tu le sais bien, Pierre, je ne sortais pas de chez moi. Je mettais des commis au comptoir de la gabelle et ils m’amenaient ceux qui devaient payer. J’avais organisé un vrai service dans ce but. Oui… et d’ailleurs, qui se déplaçait par mauvais temps ? Hein ! Quelques mélancoliques, voilà tout. Les marchés et les voyages, on les fait par beau temps…

– Taisez-vous ! Il entend ! S’écrie Jean.

– Mais non, il n’entend pas. Il pense, et quand il pense… c’est comme si on n’existait pas, dit Thomas.

– Et quand il décide une chose, même les plus justes remarques ne le font pas changer d’avis. Il ne fait que ce qu’il veut. Il ne se fie qu’à lui-même. Ce sera sa ruine. S’il m’écoutait un peu…

361.4

Moi, je sais tant de choses ! » dit Judas avec sa suffisance de débrouillard et sa prétention d’être “ mieux que les autres ”.

– Que sais-tu ? » demande Pierre qui tout à coup devient rouge comme un coq. « Tu sais tout ! Quels amis as-tu ? Serais-tu donc un grand d’Israël ? Allons donc ! Toi aussi, tu es un pauvre homme comme les autres et moi. Un peu plus beau… Mais la beauté de la jeunesse est une fleur qui ne dure qu’un jour ! Moi aussi, j’étais beau ! »

Un frais éclat de rire de Jean traverse l’air. Les autres aussi rient et se moquent gentiment de Pierre à cause de ses rides, de ses jambes un peu écartées comme celles de tous les marins, de ses yeux un peu bovins et rougis par les vents du lac.

« Vous pouvez bien rire, mais c’est comme ça. Et puis, ne m’interrompez pas. Dis donc, Judas. Quels amis as-tu ? Que sais-tu ? Pour savoir ce que tu fais comprendre, tu dois compter des amis parmi les ennemis de Jésus. Et celui qui a des amis parmi les ennemis, c’est un traître. Eh, mon garçon ! Fais attention si tu tiens à ta beauté ! Car s’il est vrai que je ne suis plus beau, il est aussi vrai que je suis encore fort, et je n’aurais pas de mal à te casser les dents ou à faire un œil au beurre noir, menace Pierre.

– Quelles façons de parler ! Cela provient vraiment d’un grossier pêcheur ! Lance Judas avec le mépris d’un prince offensé.

– Parfaitement, monsieur, et je m’en vante. Pêcheur, mais franc comme mon lac qui, s’il veut faire une tempête, ne dit pas : “ Je vais faire un calme plat ”, mais il a un certain frisson et il se met, comme témoins à la voûte des cieux, certains amas de nuages. Il suffit de ne pas être idiot ou ivre pour comprendre l’avertissement et agir en conséquence. Toi… tu ressembles à cette boue qui paraît solide mais, regarde… »

Et d’un coup de pied énergique, il fait gicler la boue jusqu’au menton du beau Judas.

« Mais, Pierre ! Ces façons d’agir sont indignes ! C’est là tout le fruit des paroles du Maître sur la charité ?

– De même, pour toi, sur l’humilité et la sincérité. Allez ! Crache ce que tu sais. Que sais-tu ? C’est vrai que tu sais, ou bien tu te donnes de grands airs pour faire croire que tu as des amis puissants ? Pauvre ver que tu es !

– Ce que je sais, je le sais, et je ne vais pas te le dire pour susciter des rixes qui te plairaient, Galiléen que tu es. Je répète que, si le Maître était moins têtu, ce serait un grand bien. Et aussi moins violent. Les gens se lassent de s’entendre offenser.

– Violent ? Mais s’il l’était, il devrait te faire voler dans le fleuve, tout de suite. Un beau vol par-dessus ces arbres. Ainsi tu te laverais la boue qui te salit la figure. Si cela pouvait servir à te laver le cœur qui, si je ne me trompe, doit être plus encroûté que mes jambes dégoûtantes ! »

En effet Pierre, très poilu et de petite taille, a les jambes plutôt boueuses. Matthieu et lui ne sont que glaise presque jusqu’aux genoux.

« Mais enfin, finissez-en ! » intervient Matthieu avec raison.

361.5

Jean qui a remarqué que Jésus ralentissait, soupçonne qu’il a entendu et, hâtant le pas, il dépasse deux ou trois compagnons, le rejoint, se met à son côté et l’appelle : « Maître ! » doucement comme toujours et avec son regard d’amour, en levant la tête parce qu’il est plus petit et qu’il se tient au milieu du chemin alors que les autres marchent du côté un peu plus élevé.

« Oh ! Jean ! Tu m’as rejoint ? »

Jésus lui sourit. Jean, qui observe affectueusement, mais aussi avec crainte le visage du Maître pour se rendre compte s’il a entendu, répond :

« Oui, mon Maître. Veux-tu de moi ?

– Je veux toujours de toi. Je vous voudrais tous, et avec ton cœur ! Mais si tu continues à marcher là où tu es, tu vas finir de te tremper. »

– Peu importe, Maître ! La seule chose qui m’importe, c’est de rester près de toi !

– Tu veux rester toujours avec moi ? Tu ne penses pas que je suis imprudent et que je peux vous mettre dans l’embarras, vous aussi. Tu ne te sens pas offensé parce que je ne suis pas tes conseils ?

– Oh ! Maître ! Alors tu as entendu ? »

Jean est consterné.

– J’ai tout entendu, dès les premiers mots. Mais n’en sois pas peiné. Vous n’êtes pas parfaits. Je le savais quand je vous ai choisis. Et je ne prétends pas que vous le deveniez rapidement. Vous devez d’abord passer de l’état sauvage à l’état domestique au moyen de deux greffes…

– Lesquelles, Maître ?

– L’une de sang et l’autre de feu. Après, vous serez des héros du Ciel et vous convertirez le monde, en commençant par vous.

– De sang ? De feu ?

– Oui, Jean. Ce sang, c’est le mien…

– Non, Jésus ! »

Jean l’interrompt en gémissant.

« Du calme, mon ami. Ne m’interromps pas. Ecoute, toi le premier, ces vérités. Tu le mérites. Ce sang, c’est le mien. Tu le sais. C’est pour cela que je suis venu. Je suis le Rédempteur… Pense aux prophètes. Ils n’ont pas omis un iota quand ils ont décrit ma mission. Je serai l’Homme décrit par Isaïe. Et quand j’aurai perdu mon sang, c’est lui qui vous fécondera. Mais je ne me bornerai pas à cela. Vous êtes tellement imparfaits et faibles, fermés et craintifs que, une fois dans la gloire auprès de mon Père, je vous enverrai le Feu, la Force qui procède du fait que je suis engendré par le Père, cette Force qui unit le Père et le Fils dans un anneau indissoluble, en faisant d’Un, Trois : la Pensée, le Sang, l’Amour. Quand l’Esprit de Dieu, mieux l’Esprit de l’Esprit de Dieu, la Perfection des Perfections divines, viendra sur vous, vous ne serez plus ce que vous êtes. Vous serez renouvelés, puissants, saints… Mais pour l’un de vous, le Sang ne sera rien et le Feu ne sera rien, car le Sang aura eu pour lui un pouvoir de damnation et il connaîtra éternellement un autre feu dans lequel il brûlera, vomissant du sang et avalant du sang, parce qu’il verra du sang partout où il posera son regard mortel ou son regard spirituel du moment qu’il aura trahi le Sang d’un Dieu.

– Oh ! Maître ! Qui est-ce ?

– Un jour tu le sauras. Maintenant, ignore-le. Et par charité, ne cherche même pas à savoir. Essayer de savoir suppose que l’on soupçonne. Or tu ne dois pas suspecter tes frères, car le soupçon est déjà un manque de charité.

– Il me suffit que tu m’assures que ce ne sera pas moi le traître, ni Jacques.

– Ah ! Non, pas toi ! Ni Jacques non plus. Tu es mon réconfort, mon brave Jean ! »

Et Jésus lui passe un bras autour de l’épaule, l’attire à lui, et ils marchent ainsi enlacés.

361.6

Ils se taisent pendant un moment. Les autres aussi se taisent maintenant. On n’entend que le bruit des pas sur la terre.

Puis un autre bruit se fait entendre. Le bruit d’un bouillonnement, je pourrais même dire le lourd ronflement d’un catarrheux. Un bouillonnement monotone, interrompu de temps en temps par de légers éclatements.

« Tu entends ? » dit Jésus. « Le fleuve est proche.

– Mais nous n’arriverons au gué que dans la nuit. La nuit va bientôt tomber.

– Nous dormirons dans quelque cabane. Et demain nous passerons. J’aurais voulu arriver plus tôt car le niveau monte d’heure en heure. Tu entends ? Les roseaux des rives se brisent sous le poids des eaux en crue.

– Ils t’ont tant retenu dans ces villages de la Décapole ! Nous disions bien à ces malades : “ Une autre fois ! ” mais…

– Mais celui qui est malade veut guérir, Jean. Et celui qui a pitié guérit aussitôt, Jean. Peu importe. Nous passerons quand même. Je veux parcourir l’autre rive avant de revenir à Jérusalem pour la Pentecôte. »

Ils se taisent de nouveau. La nuit descend avec la rapidité des jours de pluie. La marche, dans le crépuscule de plus en plus obscur, devient encore plus difficile. En outre, les arbres qui bordent le chemin augmentent l’obscurité.

« Passons de l’autre côté du chemin. Nous sommes maintenant tout près du gué. Nous allons chercher une cabane. »

Ils traversent, suivis des autres. Ils franchissent un fossé boueux, de la boue plutôt que de l’eau, qui va en gargouillant se jeter dans le Jourdain. Presque à tâtons, ils passent d’un arbre à l’autre en se dirigeant vers le fleuve dont la rumeur devient plus proche et plus forte.

361.7

Un premier rayon de lune perce les nuages, se glisse entre nuages et descend en faisant scintiller l’eau boueuse du Jourdain, très grossi et très large à cet endroit. (Si je calcule bien, le fleuve s’étale sur cinquante à soixante mètres. Je ne vaux rien pour estimer les mesures, mais je pense que ma maison aurait pu entrer neuf à dix fois au moins d’un bord à l’autre ; or elle a environ cinq mètres et demie de large[1]). Ce n’est plus le beau fleuve tranquille couleur d’azur, dont les eaux calmes et basses laissent à découvert le sable fin de la grève sur les bords, là où com­mencent les roseaux dont on entend toujours le frémissement. Maintenant l’eau a tout envahi et les premiers roseaux, courbés, brisés et submergés, ne sont plus visibles. Tout au plus un ruban de feuilles ondule à fleur d’eau et semble faire un signe d’adieu ou un appel de détresse. L’eau est déjà aux pieds des premiers arbres. Je ne connais pas ces arbres. Ils sont grands et feuillus, formant une sorte de muraille épaisse, sombre dans l’obscurité de la nuit. Quelques saules plongent dans l’eau jaunâtre les extrémités de leurs chevelures défaites.

« Ici, il n’est plus guéable, dit Pierre.

– Pas ici. Mais regarde là-bas, on passe encore » dit André.

En effet, deux quadrupèdes franchissent le fleuve avec précaution. L’eau arrive au ventre des animaux.

« S’ils passent, les barques passeront aussi.

– Mais il vaut mieux traverser tout de suite, même de nuit. Les nuages se sont dissipés et la lune luit. Ne ratons pas le moment. Cherchons s’il y a une barque… »

Et Pierre lance par trois fois un cri prolongé et plaintif :

« Oh… hé ! »

Pas de réponse.

« Allons plus bas jusqu’au gué. Melchias doit y être avec ses fils. C’est la bonne saison pour lui. Il nous fera traverser. »

Ils marchent le plus rapidement qu’ils peuvent sur le sentier étroit qui longe le fleuve, qui le frôle presque.

361.8

« Mais n’est-ce pas une femme ? dit Jésus en regardant les deux personnes qui viennent de passer le fleuve avec leurs chevaux et sont arrêtés sur le sentier.

– Une femme ? »

Pierre et les autres voient mal et ne distinguent pas si cette forme sombre, qui est descendue de cheval et attend, est un homme ou une femme.

« Oui, c’est une femme. C’est… c’est Marie de Magdala ! Regardez, maintenant qu’elle est dans le clair de lune.

– C’est bon pour toi qui y vois clair. Tu as de bons yeux !

– C’est Marie. Que peut-elle vouloir ? »

Et Jésus crie :

« Marie !

– Rabbouni ! C’est toi ? Dieu soit loué, je t’ai trouvé ! »

Marie court comme une gazelle vers Jésus. Je ne comprends pas comment elle ne bute pas dans le sentier accidenté. Elle a laissé tomber un premier manteau très lourd et avance maintenant avec son voile et un manteau plus léger enroulé autour du corps sur son vêtement sombre.

Quand elle atteint Jésus, elle tombe à ses pieds sans s’occuper de la boue. Elle est haletante mais heureuse. Elle répète :

« Gloire à Dieu qui m’a permis de te trouver !

– Pourquoi, Marie ? Qu’arrive-t-il ? Tu n’étais pas à Béthanie ?

– J’étais à Béthanie avec ta Mère et les femmes, comme tu l’avais dit… Mais je suis venue à ta rencontre… Lazare ne le pouvait pas car il souffre beaucoup… Alors je suis venue avec le serviteur…

– Toi, en voyage seule avec un garçon et à cette saison !

– Oh, Rabbouni ! Tu ne veux pas me dire que tu penses que j’ai peur ? Je n’ai pas eu peur de faire tant de mal… Je n’ai pas peur maintenant de faire le bien.

– Alors pourquoi es-tu venue ?

– Pour te dire de ne pas traverser…. De l’autre côté, ils t’at­tendent pour te faire du mal… Je l’ai appris… Je l’ai appris par un hérodien qui autrefois… qui autrefois m’aimait… Qu’il l’ait dit par amour, encore, ou par haine, je ne sais… Je sais qu’il y a trois jours, il m’a vue à travers la grille et m’a dit : “ Stupide Marie, tu es en train d’attendre ton Maître ? Tu fais bien car ce sera la dernière fois. A son passage en Judée, on va le prendre. Regarde-le bien puis échappe-toi, car il n’est pas prudent d’être près de lui, maintenant… ” Alors… tu peux penser avec quel cœur… je me suis informée… Tu sais… j’ai connu beaucoup d’hommes… et tout en me traitant de folle ou de… possédée, ils me parlent encore… J’ai su que c’était vrai. Alors j’ai pris deux chevaux et je suis venue, sans rien dire à ta Mère… pour ne pas l’affliger.

361.9

Eloigne-toi… éloigne-toi tout de suite, Maître. S’ils savent que tu es ici, sur cette rive du Jourdain, ils vont y venir. Hérode te cherche lui aussi… Tu es trop près de Machéronte, désormais. Va-t’en, Va-t’en par pitié, par pitié, Maître !…

– Ne pleure pas, Marie…

– J’ai peur, Maître !

– Non ! Peur, toi qui es assez courageuse pour passer le fleuve en pleine nuit ?

– Mais cela, c’est un fleuve et ces gens sont tes ennemis et ils te haïssent… C’est de leur haine pour toi que j’ai peur… Car je t’aime, Maître.

– Ne crains rien. Ils ne me prendront pas encore. Ce n’est pas mon heure. Même s’ils mettaient des troupes de soldats le long de tous les chemins, ils ne me prendraient pas. Ce n’est pas mon heure. Mais je ferai ce que tu veux. Je reviendrai en arrière… »

Judas marmonne confusément quelque chose et Jésus répond :

« Oui, Judas, c’est exactement ce que tu dis. Mais exactement pour la première partie de ta phrase. Je lui donne raison, oui, je lui donne raison, mais non pas parce que c’est une femme, comme tu l’insinues, mais parce que c’est celle qui a le plus avancé sur le chemin de l’amour. Marie, retourne chez toi tant que tu le peux. Moi, je repartirai en arrière et je passerai… là où je le pourrai, et j’irai en Galilée. Viens, avec ma Mère et les autres femmes à Cana, chez Suzanne. Là, je vous dirai ce qu’il faudra faire. Va en paix, femme bénie. Dieu est avec toi. »

Jésus lui pose la main sur la tête, la bénissant ainsi. Marie prend les mains du Christ et les baise, puis elle se relève et s’en retourne. Jésus la regarde partir, il la regarde ramasser son gros manteau et se le remettre, puis rejoindre le cheval et y monter pour traverser le gué.

« Et maintenant partons » dit-il. « Je voulais vous permettre de vous reposer, mais c’est impossible. Je prends soin de votre sécurité, quoi qu’en pense Judas. Et croyez bien que si vous tombiez aux mains de mes ennemis, ce serait pire pour votre santé que l’eau et la boue… »

Tous baissent la tête en comprenant le reproche caché qui leur est adressé pour répondre à leurs précédentes conversations.

361.10

Ils ne cessent de marcher toute la nuit, entre éclaircies et courtes averses. Une aube livide les surprend non loin d’un bien pauvre village qui étend ses masures boueuses près du fleuve. Ce dernier est un peu moins large qu’au gué. Des barques sont tirées au sec jusque derrière les habitations pour les garder de la crue.

Pierre lance son cri :

« Oh !… hé ! »

Un homme robuste mais âgé sort d’une masure.

« Que veux-tu ?

– Des barques pour traverser.

– Impossible ! Le fleuve est trop haut… Le courant…

– Ah ! Mon ami ! A qui le dis-tu ? Je suis pêcheur de Galilée.

– La mer, c’est une chose… mais ici, c’est le fleuve… je ne veux pas perdre ma barque. Et puis… je n’en ai qu’une et, toi et tes compagnons, vous êtes nombreux.

– Menteur ! Tu veux me dire que tu n’as qu’une barque ?

– Que mes yeux se dessèchent si je mens….

– Prends garde qu’ils ne se dessèchent pas réellement. Voici le Rabbi de Galilée qui donne des yeux aux aveugles et qui… peut te satisfaire en desséchant les tiens…

– Miséricorde ! Le Rabbi ! Pardonne-moi, Rabbouni!

– Oui. Mais ne mens jamais. Dieu aime les personnes sincères. Pourquoi prétendre que tu ne possèdes qu’une barque quand tout le village peut te démentir ? C’est trop humiliant pour un homme de mentir et d’être démasqué ! Me donnes-tu tes barques?

– Toutes, Maître.

– Combien en faut-il, Pierre ?

– En temps normal, deux suffiraient. Mais avec la crue, la manœuvre est plus difficile, et il en faudrait trois.

– Prends-les, pêcheur. Mais comment ferai-je pour les récupérer ?

– Monte dans l’une d’elles. N’as-tu pas des fils ?

– J’ai un fils, deux gendres ainsi que des petits-fils.

– Deux par barque suffiront pour le retour.

– Allons-y. »

361.11

L’homme appelle les autres et, avec l’aide de Pierre, André, Jacques et Jean, ils mettent les embarcations à l’eau. Le courant est fort et tend aussitôt à les entraîner. Les cordes qui les retiennent aux arbres les plus proches sont tendues comme celles d’un arc et grincent sous l’effort. Pierre regarde. Il regarde les barques, regarde le fleuve, regarde encore, il hoche la tête et se passe la main dans ses cheveux grisonnants, puis il lance à Jésus un coup d’œil interrogateur.

« Tu as peur, Pierre ?

– Hé !… presque, presque…

– Ne crains rien. Aie foi. Et toi aussi, homme. Celui qui porte Dieu et ses envoyés ne doit rien craindre. Allons-y. Je monte dans la première barque. »

Le propriétaire fait un geste résigné. Il doit penser que sa dernière heure et celle de sa famille est venue. Il doit à tout le moins supposer qu’il va perdre son gagne-pain ou s’en aller à la dérive.

Jésus est déjà dans la barque, debout à la proue. Les autres montent avec lui et dans les deux autres barques. Reste seul à terre un petit vieux, l’employé peut-être, qui surveille les amarres.

« Nous y sommes ?

– Nous y sommes.

– Les rames sont prêtes ?

– Prêtes.

– Largue, toi, de la rive. »

Le petit vieux détache les amarres de la cheville qui les tenait près du tronc. Les barques, au fur et à mesure qu’on les libère, font une embardée vers le sud, dans le sens du courant.

Mais Jésus a son visage de miracle. Ce qu’il dit au fleuve, je l’ignore. Je sais que le courant s’arrête presque. Il n’a que le mouvement lent du Jourdain quand il n’est pas en crue. Les embarcations forcent le courant sans effort, et même avec une rapidité qui doit étonner le passeur.

361.12

Les voilà de l’autre côté. Ils accostent facilement et le courant n’essaie pas d’entraîner les barques quand les rames sont immobiles.

« Maître, je vois que tu es réellement puissant » dit le patron. « Bénis ton serviteur et souviens-toi de moi, qui suis pécheur.

– Pourquoi puissant ?

– Eh ! Cela te semble peu de chose ? Tu as suspendu le courant du Jourdain en crue !

– Josué a déjà fait ce miracle[2], et en plus grand, puisque les eaux du fleuve disparurent pour laisser passer l’Arche…

– Et toi, homme, tu as fait traverser la véritable Arche de Dieu, dit Judas avec sa suffisance coutumière.

– Dieu très-haut ! Oui, je le crois ! Tu es le vrai Messie ! Le Fils du Dieu très-haut. Ah ! Je vais le raconter dans les villes et les villages riverains. Je dirai ce que tu as fait, ce que je t’ai vu faire ! Reviens, Maître ! Mon pauvre village compte des malades en grand nombre. Viens les guérir !

– Je viendrai. Toi, en attendant, prêche en mon nom la foi et la sainteté pour qu’ils soient agréables à Dieu. A plus tard, homme. Va en paix et ne crains pas : je reviendrai.

– Je ne crains pas. Si je craignais, je te demanderais d’avoir pitié pour ma vie. Mais je crois en toi et en ta bonté et je m’en vais sans rien demander. Adieu ! »

Il rembarque en mettant le premier la proue dans le fleuve et repart, tranquille, rapidement. Il touche la rive.

Jésus, qui est resté arrêté jusqu’à ce qu’il les ait vus tous à terre, fait un geste de bénédiction. Puis il gagne la route.

Le fleuve reprend sa course furieuse… Et tout s’achève ainsi.

361.1

At last I can write what has kept my mental sight and hearing busy as from early dawn this morning, making me suffer from the strain in hearing the noise of worldly matters from outside and in the house, while I must see and hear the things of God, and making me impatient of everything different from what my spirit sees.

How much patience is required… not to lose my patience while waiting for the moment to say to Jesus: «Here I am! Now You can go on!» Because – I have said so many times and I will repeat it – when I cannot continue or begin to write what I see, the scene stops at the very beginning or when I am interrupted, and is resumed again when I am free to follow it. I think that God wants that so that I may not omit any detail or make even a slight error, what might happen if I had to write some time after seeing.

I can assure you in all conscience that what I write, because I see or hear it, I do write it while seeing or hearing.

So here is what I have been seeing as from this morning, and my internal warner tells me that it is the beginning of a beautiful long vision.

361.2

In very stormy weather Jesus is walking along a very muddy country road. The road is a little river of yellowish sticky mud, which splashes at each step, it is as slippery as soft soap, it sticks to sandals, it sucks them like a sucker and at the same time it slips under them, making it thus most painful to walk.

It must have rained continuously during those days. And the sky promises more rain, covered as it is with dark low clouds blown by sirocco or north-east winds, which make the air so heavy that it tastes, in one’s mouth, sickly sweet, like a sweetish coating. No relief is brought by the wind that blows bending grass and branches, then stops and everything becomes heavily immobile in the stormy sultriness. Now and again a huge cloud bursts and large warm drops, which seem to be coming from a hot shower, reach the ground forming bubbles in the mud that splashes garments and legs even more.

Although Jesus and His apostles have pulled up their tunics, bagging them at their waists with the cords used as belts, the lower part of their tunics is completely splashed with mud, which is damp at the bottom but almost dry higher up. Their mantles also, which they carry as high as possible, and have folded in half, both to keep them clean and to have double protection against the short but heavy showers, are completely soiled. On their feet and their legs, up to half their shins, they seem to be wearing thick coarse woollen stockings, it is instead mud encrusted on them.

361.3

So far the beginning. It now continues.

The disciples complain a little of the weather and of the road, and we may as well say so, of the Master’s not very healthy liking for going about in such weather.

Jesus does not seem to hear. But He does. And two or three times He turns slightly around – they are walking in single row to keep to the left hand side of the road, which is a little higher than the right hand side and thus not so muddy – to look at them. But He does not say anything.

The last time it was the oldest of the disciples who said: «Oh! poor me! With all this dampness that is drying on me I am going to be tortured by pain! I am old! I am no longer thirty years old!»

And Matthew grumbles, too: «And what about me? I was not used to this… When it rained at Capernaum, and you know very well, Peter, I did not go out. I put servants at the tax-bench and they brought me the people who had to pay. I organised a proper service for that. Of course… who would venture to go out in nasty weather? H’m! Only a melancholy fellow, but no one else. Markets and marches are done in good weather…»

«Be quiet! Because He will hear you!» says John.

«No, He will not hear us! He is thinking and when He thinks… we practically do not exist» says Thomas.

«And when He puts an idea into His head, there is no reason whatsoever that may move Him from His determination. He will do what He wants. He trusts no one but Himself and that will be His ruin. If He only consulted a little with me…

361.4

I am aware of so many things!» says Judas with the self-sufficiency of a «sagacious man who is more clever than anybody else».

«What do you know?» asks Peter at once and he has turned as red as a beetroot. «You know everything! What friends have you got? Are you perhaps a great man in Israel? Away you go! You are a poor man like me and the others… A little more handsome… But handsomeness of youth is a flower that lasts one day! I was handsome, too!»

A hearty laugh of John clears the atmosphere. Also the others laugh and joke at Peter’s wrinkles, at his legs, which are wide apart like the legs of every sailor, at his goggle-eyes reddened by the winds of the lake.

«You may laugh, but it is so. In any case, do not interrupt me. Tell me, Judas. What friends have you got? What do you know? If you know what you want us to believe that you know, you must have friends among Jesus’ enemies. And who has friends among enemies, is a traitor. Hey! boy! Be careful, if your handsomeness matters to you! Because if it is true that I am no longer handsome, it is also true that I am still strong and I would have no difficulty in giving you a thrashing» says Peter.

«What a manner of speaking! The language of a rude fisherman!» says Judas with the contempt of an offended prince.

«Yes, sir, and I am proud of it. A fisherman, but as sincere as my lake, which, if it is going to be stormy, does not say: “I’ll be dead calm”, but it stirs and puts such clouds as witnesses in the vault of heaven, that if one is not a fool or drunk, one realizes its meaning and acts accordingly. You… you look like this mud that seems to be hard, but look» (and with a sudden jerk of his foot he splashes the mud up to the chin of the handsome Iscariot).

«Peter! Your manners are disgusting! The Master’s words on charity have a lovely effect on you!»

«The same applies to you with regards to His words on humility and sincerity. Come on. Spit it out! What do you know? Is it true that you know or do you give yourself airs to make people believe that you have powerful friends? You are a poor worm!»

«I know what I know, and I am not going to tell you to start a brawl, which you, being a Galilean, would like. I would repeat that if the Master were less obstinate, it would be much better. And He ought to be less violent. People get tired of being offended.»

«Violent? If He were, He should throw you into the river, at once. He should make you fly over those trees. You would thus wash off the mud that soils your profile. I wish it would help to wash your heart, which, if I am not mistaken, is more crusty than my muddy legs.» As Peter, in fact, is hairy and short, his legs are very muddy. Both his and Matthew’s legs seem to be made of clay up to their knees.

361.5

«Will you stop it!» says Matthew.

John who has noticed that Jesus has slackened His pace, suspects that He may have heard, and quickening his pace, he overtakes two or three companions, he reaches Jesus and walking beside Him, he calls Him: «Master!» very gently, as usual, and with a loving glance, looking up at Him, as he is shorter also because he is in the middle of the road, beyond the little rising of the ground on which they are all walking.

«Oh! John! You have reached Me!» says Jesus smiling at him.

John, studying His face with love and anxiety to find out whether He has heard, replies: «Yes, my dear Master. Do You want me?»

«I always want you. I would like all of you with hearts like yours! But if you continue to walk where you are, you Will get drenched.»

«It does not matter, Master! Nothing matters, as long as I am near You!»

«Do you always want to be with Me? Do you not think that I am imprudent and I may cause trouble to you as well? Do you not feel offended because I do not listen to your advice?»

«Oh! Master! So You have heard!» John is dismayed.

«I heard everything. From the very first words. But do not be upset about that. None of you is perfect. I knew since I chose you. And I do not expect any of you to become perfect rapidly. You will all have to change from wild to domestic beings by means of two grafts…»

«Which ones, Master?»

«One is blood the other is fire. Afterwards you will be the heroes of Heaven and will convert the whole world, beginning from yourselves.»

«Blood? Fire?»

«Yes, John. Blood: Mine…»

«No Jesus!» John interrupts Him with a deep groan.

«Be calm, My friend. Do not interrupt Me. Be the first to listen to this truth, because you deserve it. The Blood is Mine. You already know. That is why I came. I am the Redeemer… Think of the prophets. They did not leave out one iota in describing My mission. I will be the Man described by Isaiah. And the Blood, that I will shed will fecundate you. But I will not confine Myself to that. You are so imperfect and weak, dull and timorous, that I, sitting gloriously beside the Father, will send you the Fire, the Strength that proceeds from My being through generation by the Father and that binds the Father and the Son in an indissoluble ring, making Three of One: the Thought, the Blood, the Love. When the Spirit of God, or rather, the Spirit of the Spirit of God, the Perfection of Divine Perfections, will come to you, you will no longer be as you are. But you will be new, powerful, holy… But for one of you Blood and Fire will be of no avail. Because Blood will have for him the power of damnation and he will forever know another fire, in which he will burn belching blood and swallowing blood, because he will see blood wherever he lays his material or spiritual eyes, having betrayed the Blood of a God.»

«Oh! Master! Who is it?»

«You will know one day. For the time being, forget about it. And for the sake of charity do not even endeavour to inquire into it. Investigation presupposes suspicion. You must not suspect your brothers, because suspicion is already lack of charity.»

«I will be satisfied if You assure me that neither James nor I will betray You.»

«Oh! Not you! Nor James. You are My comfort, My good John!» and Jesus lays an arm on his shoulders, draws him to Himself and they walk thus together.

361.6

They are silent for some time. The others are also quiet. Only the shuffling of their feet in the mire can be heard. They then hear another noise. It is a rustling gurgling noise, I would say the deep snoring of a person affected by catarrh. It is a monotonous grumbling interrupted now and again by light crashes.

«Can you hear that?» says Jesus. «The river is close at hand.»

«But we will not arrive at the ford before night. It will soon be dark.»

«We will sleep in a hut somewhere. And we will cross the river tomorrow. I would have liked to arrive there earlier, because the flood is increasing hourly. Listen! The reeds on the banks are breaking under the pressure of the swollen water.»

«They kept You so long in those villages of the Decapolis! We said to the sick people: “The next time!” but…»

«He who is ill, wants to be cured, John. And he who pities them, cures them at once, John. It does not matter. We will cross over just the same. I want to do the other side before going back to Jerusalem for Pentecost.»

They become silent once again. It gets dark very quickly, as is usual on wet days. It becomes more and more difficult to walk in the deepening twilight. And also the trees along the road increase the darkness with their foliage.

«Let us cross to the other side of the road. We are now very close to the ford. We will look for a hut.»

They cross over and are followed by the others. They cross a little muddy ditch, with more mud than water, which flows gurgling towards the river. They almost grope their way among the trees making for the river, the noise of which is becoming louder and louder.

361.7

A first moonbeam pierces the clouds, it penetrates between two clouds and descends making the miry water of the Jordan shine, in a spot where the river is swollen and very wide. (If my reckoning is correct the river is about fifty/sixty metres wide. I am not very clever with regards to measurements, but I think that my house could have gone into that river-bed nine or ten times and it was about five and a half metres wide). It is no longer the beautiful calm blue Jordan, the quiet low water of which leaves the fine sand on the banks uncovered, where the reef-thickets begin to grow and rustle continuously. The water has now submerged everything and the first reef-thickets have been bent and broken and thus are not visible with the exception of an odd leaf that undulates on the surface of the water and seems to be waving goodbye or imploring help. The water has already reached the foot of the first large trees. I do not know what trees they are. They are tall and leafy, as compact as a wall and dark in the dark night. Some willows dip the top of their withered foliage into the yellowish water.

«It is not possible to wade here» says Peter.

«Not here. But it is possible over there. See? They are still wading» says Andrew.

In fact two quadrupeds are cautiously crossing the river. The water reaches up to the stomachs of the animals.

«If they can pass, so can boats.»

«However it is better to cross over at once, even if it is dark. The clouds have thinned out and it is moonlight. Do not let us miss this opportunity. Let us look for a boat…» And Peter utters three times a long moaning cry: «Hey!»

There is no reply.

«Let us go down, right down to the ford. Melkiah and his sons must be there. This is his best season. He will take us across.»

They walk as fast as they can on the little path along the river, which almost laps on it.

361.8

«But is that not a woman?» says Jesus looking at the two people who have already crossed the river on horseback and are now standing on the path.

«A woman?» Peter and the others cannot see or tell whether the person in dark clothes, who has dismounted and is now waiting, is a man or a woman.

«Yes. It is a woman. It’s… Mary. Look now that she is in the moonbeam.»

«You are lucky that you can see. Blessed be your eyes!»

«It is Mary. What will she be wanting?» and Jesus shouts: «Mary!»

«Rabboni! Is it You? Praised be God that I have found You!» and Mary runs as fast as a gazelle towards Jesus. I do not know how she does not stumble on the uneven road. She drops her heavy mantle and is now coming forward with her veil and light mantle held tight against her dark dress.

When she reaches Jesus she drops at His feet without worrying about the mud. She is panting, but happy. She repeats: «Glory be to God Who made me find You!»

«Why, Mary? What is happening? Were you not at Bethany?»

«I was at Bethany with Your Mother and the women, as You told us… But I came to meet You… Lazarus was not able to come, because he is suffering too much… So I came with a servant…»

«You are about, all alone, with a boy and in this weather?»

«Oh! Rabboni! You are not going to tell me that You think that I was afraid. I was not afraid to do so much evil… I am not afraid now to do something good.»

«So? Why did you come?»

«To tell You not to cross over… They are waiting for You on the other side to injure You… I found out… I was told by one of the Herodians who once… who once loved me… Whether he told me out of love, still, or out of hatred, I do not know… I know that the other day he saw me through the gate and he said to me: “You silly Mary, are you waiting for your Master? You are doing the right thing, because it will be the last time, in fact as soon as He crosses the river and comes into Judaea, He will be captured. Look at Him carefully and then run away because it is not wise to be near Him, now…”. Then… You can imagine how anxiously… I inquired… You know… I know many people… and even if they say that I am mad or possessed… they still speak to me… And I found out that it is true. Then I took two horses and I came, without saying anything to Your Mother, not to worry Her…

361.9

Go back at once, Master. If they find out that You are here, beyond the Jordan, they will come here. Herod too is looking for You… and You are too close to Machaerus now. Go away, for pity’s sake, Master!…»

«Do not weep, Mary…»

«I am afraid, Master!»

«What! You afraid? No, you have been so brave as to cross the river in flood by night!…»

«But that is a river, whereas those are men and they are Your enemies and they hate You… I am afraid of their hatred for You… Because I love You, Master.»

«Do not be afraid. They will not get Me as yet. It is not My hour. Even if they placed many formations of soldiers along all the roads, they would not capture Me. It is not My hour. But I will do as you wish. I will go back…»

Judas grumbles something between his teeth and Jesus replies: «Yes, Judas. Exactly as you say. But just in the first part of your sentence. I am listening to her, of course I am. But not because she is a woman, as you are insinuating, but because she is the one who has made most progress in love. Mary, go home, while you can. I will go back and cross over… wherever I can, and I will go to Galilee. Come with My Mother and the other women to Cana, to Susanna’s house. I will tell you there what there is to be done. Go in peace and may you be blessed. God is with you.»

Jesus lays His hand on her head, blessing her. Mary takes Jesus’ hands, kisses them, stands up and then goes back. Jesus watches her go away. He sees her pick her heavy mantle and put it on; she then reaches her horse, mounts it and goes to the ford and crosses over.

«And now let us go» He says. «I wanted to let you rest, but I cannot. I have your safety at heart, although Judas thinks otherwise. And believe Me, if you should fall into the hands of My enemies, that would do your health more harm than water and mud…»

They all lower their heads as they understand the implied reproach given in reply to their previous conversation.

361.10

They walk all night in changeable weather, in fitful showers. At a lurid dawn they find themselves near a very poor village, the muddy houses of which are lying close to the river. The river is a little narrower than at the ford. Some boats have been beached as far as the houses to protect them from the flood.

Peter utters his cry: «Hey!»

A vigorous elderly man comes out of a hovel. «What do you want?»

«Boats to cross over.»

«Impossible! The flood is too dangerous… The current…»

«Hey you! Are you telling me? I am a fisherman from Galilee.»

«The sea is one thing… but this is a river… I do not want to lose my boat. In any case… I have but one and you are many.»

«You liar! Are you telling me that you have one boat only?»

«May I go blind, if I am lying, I…»

«Watch that you may really go blind. This is the Rabbi from Galilee Who gives sight to blind people and Who can satisfy you by making you go blind…»

«Oh! Mercy! The Rabbi! Forgive me, Rabboni!»

«Yes, I do. But you should never tell lies. God loves sincere people. Why say that you have but one boat when the whole village can give you the lie? To lie and to be found out is too severe a humiliation for man! Will you give Me your boats?»

«All of them, Master.»

«How many do we need, Peter?»

«In normal conditions two would be enough. But with the river in flood it is more difficult to manoeuvre them and we need three.»

«Take them, fisherman. But how will I get them back?»

«Come in one of them. Have you no sons?»

«I have one son, two son-in-laws and some grandchildren.»

«Two in each boat are enough to bring them back.»

«Let us go.»

361.11

The man calls the others and with the help of Peter, Andrew, James and John they push the boats into the water. The current is strong and threatens to drag them away. The ropes holding them to the closest tree-trunks are as taut as bows and creak under the stress. Peter looks. He looks at the boats, at the river and shakes his head, he ruffles his grey hair with one hand and casts an inquisitive glance at Jesus.

«Are you afraid, Peter?»

«Well!… almost…»

«Be not afraid. Have faith. And you, too, man. He who carries God and His messengers must not be afraid. Let us get into the boats. I will go into the first one.»

The owner of the boats makes a gesture of resignation. He must be thinking that his relatives’ last hour or his has come. He must at least be afraid of losing his boats or ending no one knows where.

Jesus is already in the boat. He is standing in the bow. All the others embark, some in the same boat, some in the other two. Only an old man remains on the embankment, a servant perhaps, watching the ropes.

«Are we all on board?»

«Yes, we are.»

«Are the oars ready?»

«They are.»

«Let go, you, on the bank.»

The old man untwists the ropes off the wooden pin which held them in a knot on a tree-trunk. As soon as the boats are free, they list for a moment southwards towards the centre of the current.

But the power of miracle shines on Jesus’ face. What He says to the river I do not know. I know that the current almost stops. The Jordan flows slowly as when it is not in spate. The boats cut across the water without any difficulty, in fact, they are so fast that their owner is amazed.

361.12

They are now on the other side. They disembark with ease and the current does not threaten to drag the boats away even when the oars are still.

«Master, I see that You are really powerful» says the owner of the boats. «Bless Your servant and remember me, a sinner.»

«Why powerful?»

«Ehi! That was no trifle! You stopped the current of the Jordan in flood!…»

«Joshua had already worked that miracle[1], and it was even greater, because the water of the river disappeared to let the Ark pass…»

«And you, man, have carried across the true Ark of God» says Judas with self-sufficiency.

«Most High God! Yes, I do believe it! You are the true Messiah! The Son of the Most High God. Oh! I will tell the towns and villages along the river what You did and what I saw! Come back, Master! There are many sick people in my poor village. Come and cure them!»

«I will come. In the meantime preach in My Name faith and holiness to be acceptable to God. Goodbye, man. Go in peace. And be not afraid about your return.»

«I am not afraid. If I were afraid I would ask You to have mercy on my life. But I believe in You and in your goodness and I am going away without asking for anything. Goodbye.»

He gets into his boat, he stands off and departs. He is sure of himself and soon reaches the other bank.

Jesus, Who has remained still until He sees him on the other bank, makes a gesture of blessing. He then withdraws towards the road.

The river resumes its vorticose flowing… And it all ends thus.


Notes

  1. (Si je calcule… de large). Maria Valtorta a écrit cette note en bas de page de son cahier autographe et nous l’insérons entre parenthèses. La maison était celle de Viareggio, dont l’écrivain dut s’éloigner durant la seconde guerre mondiale. Elle a écrit ce chapitre à Sant’Andrea di Còmpito, où elle fut évacuée du 24 avril au 23 décembre 1944.
  2. miracle relaté en Jo 3, 14-17.

Notes

  1. miracle, in: Joshua 3:14-17.