« Qui me conduit au Rabbi ? Pitié pour un aveugle ! Où est-il ? Dites-le-moi. Je l’ai cherché à Jérusalem, à Nazareth, à Capharnaüm. Il était toujours parti avant que j’arrive… Où est-il ? Ah ! Pitié pour moi ! »
C’est un homme d’environ quarante ans qui se plaint en sondant le terrain autour de lui avec un bâton.
Il est insulté par ceux qui reçoivent dans les jambes ou sur les épaules son coup de bâton, mais personne n’a pitié et tous le heurtent en passant, sans qu’une main se tende pour le conduire. Effrayé et découragé, le pauvre aveugle s’arrête…
« Le Rabbi ! Le Rabbi ! Haï Haï Hi li li è lè lè ! » (je m’efforce de rendre, sous forme de… parole, le youyou aigu des femmes qui le modulent. Mais c’est un huhulement, pas une parole ! Il rappelle davantage le cri de certains oiseaux que la parole humaine).
« Il va bénir nos enfants !
– Sa parole va faire tressaillir le fruit que je porte en mon sein. Réjouis-toi, mon enfant ! Le Sauveur te parle, dit une épouse à la mine épanouie en caressant son ventre gonflé sous son vêtement flou.
– Peut-être va-t-il rendre fécond le mien ! Cela susciterait joie et paix entre Elisée et moi. Je suis allée dans tous les endroits où l’on dit que la femme obtient la fécondité. J’ai bu de l’eau du puits près de la tombe de Rachel et celle du ruisseau de la grotte où la Mère l’a enfanté… Je suis allée à Hébron pour prendre pendant trois jours la terre du lieu où est né Jean-Baptiste… J’ai mangé des fruits du chêne d’Abraham et j’ai pleuré en invoquant Abel à l’endroit où il fut enfanté et tué… Tout ce qui est saint, tout ce qui est miraculeux sur terre et au Ciel, je l’ai essayé : médecins et remèdes, vœux et prières, offrandes… mais mon sein ne s’est pas ouvert à la semence, et c’est à peine si Elisée me supporte, tout juste s’il ne me hait pas ! Hélas ! gémit une femme déjà fanée.
– Tu es vieille désormais, Sella ! Résigne-toi ! » lui disent, avec une pitié mêlée à un léger mépris et à un air triomphal bien visible, celles qui passent, la taille gonflée par la maternité ou avec des bébés qu’elles allaitent à leur florissante poitrine.
– Non ! Ne dites pas cela ! Il a ressuscité les morts ! Ne pourra-t-il pas donner vie à mes entrailles ?
– Place ! Place ! Faites place à ma mère malade » crie un jeune homme qui tient les barres d’un brancard improvisé, soutenu de l’autre côté par une fillette très affligée.
Une femme encore jeune y est étendue, réduite à l’état de squelette jaunâtre.
« Il faudra lui parler du malheureux Jean, et lui montrer l’endroit où il se trouve. C’est le plus malheureux de tous car, étant lépreux, il ne peut aller à la recherche du Maître… dit un homme âgé, influent.
– Nous d’abord ! Nous d’abord ! S’il se dirige vers Hippos, c’est fini : les gens de la ville vont l’accaparer et nous, comme toujours, nous resterons à la traîne.