The Writings of Maria Valtorta

502. Nouveau découragement de Pierre et leçon sur

502. Another dejection of Peter. A lesson

502.1

Le gué de Bethabara vient d’être franchi. Le fleuve bleu est bien haut, car il est nourri par des affluents remplis par les pluies de l’automne. Sur la rive orientale, on voit une foule de personnes qui gesticulent. Sur la rive occidentale, en revanche, là où se trouvent Jésus et ses disciples, il n’y a qu’un berger, avec son troupeau qui broute l’herbe verte au bord de l’eau.

Pierre s’affale sur un reste de muret qui se trouve là, sans même essuyer ses jambes toutes mouillées par la traversée du gué. C’est qu’à cette saison, on utilise des barques, c’est vrai, mais pour ne pas les échouer sur les bas-fonds, on s’en sert dans la partie la plus profonde en s’arrêtant pour déposer les voyageurs là où la quille rencontre les herbes submergées. Ainsi, quand on débarque, il faut faire quelques pas dans l’eau.

« Qu’est-ce que tu as ? Tu te sens mal ? lui demande-t-on.

– Non, mais je n’en peux plus. Cette violence sur le mont Nébo, et avant à Hesbon, et avant à Jérusalem, et avant à Capharnaüm, et après le mont Nébo à Calliroé, et maintenant à Bethabara…. Oh !… »

Il se prend la tête dans les mains et pleure…

« Ne te décourage pas, Simon. Ne me rends pas aussi pauvre de ton courage, de votre courage ! lui dit Jésus en s’approchant de lui et en posant sa main sur le lourd vêtement gris qui couvre l’apôtre.

– Je ne peux pas voir ça ! Je ne peux pas te voir ainsi maltraité ! Si tu me laissais réagir… peut-être que je le pourrais. Mais ainsi… devoir me contenir… et assister à leurs insultes, à tes souffrances, comme un enfant impuissant… Ah ! cela me mine intérieurement, et je deviens une loque… Regardez : est-il possible de le voir ainsi ! On dirait un malade, quelqu’un qui meurt de fièvres… Ou un coupable poursuivi, qui ne trouve pas de lieu où s’arrêter pour manger une bouchée de pain, boire une gorgée, chercher une pierre où poser sa tête ! Cette hyène du mont Nébo ! Ces serpents de Calliroé ! Ce forcené qui est encore là ! (il indique l’autre rive). L’homme de Calliroé est moins démoniaque, bien qu’il soit seulement le second dont tu dis qu’il est dominé par Belzébuth !

502.2

Moi, j’ai peur des possédés, je pense que si Satan les a pris ainsi, ils doivent avoir été très mauvais. Mais… l’homme peut tomber sans avoir la volonté absolue de le faire. Au contraire, ceux qui sans être possédés agissent comme ils le font, avec toute leur liberté de raisonnement… Ah ! tu ne les vaincras jamais, puisque tu ne veux pas les châtier ! Ce sont eux… qui te vaincront… »

Les larmes de l’apôtre fidèle, qui s’étaient un peu taries sous le feu de l’indignation, reprennent de plus belle…

« Mon Pierre, tu crois qu’ils ne sont pas possédés ? Tu crois que, pour cela, il faut être comme l’homme de Calliroé et d’autres que nous avons rencontrés ? Tu crois que la possession se manifeste seulement par des cris désordonnés, des bonds, des accès de fureur, la manie de vivre dans des tanières, le mutisme, la paralysie des membres, l’engourdissement de la raison, de sorte que le possédé parle et agit inconsciemment ? Non. Il y a aussi des obsessions, ou plutôt des possessions, plus subtiles et plus puissantes ; ce sont les plus dangereuses, car elles ne gênent pas et n’affaiblissent pas la raison pour l’empêcher de bien agir, mais la développent. Mieux, elles l’augmentent pour qu’elle serve avec puissance celui qui la possède. Quand Dieu possède une intelligence et l’utilise à son service, il y transfuse une intelligence surnaturelle qui accroît de beaucoup l’intelligence naturelle de la personne. Croyez-vous par exemple qu’Isaïe, Ezéchiel, Daniel et les autres prophètes, s’ils avaient dû lire et expliquer ces prophéties comme écrites par d’autres, n’auraient pas trouvé les obscurités indéchiffrables qu’y voient leurs contemporains ? Et pourtant, je vous le dis, lorsqu’ils les recevaient, ils les comprenaient parfaitement. Regarde, Simon : prenons cette fleur poussée ici à tes pieds ; que vois-tu dans l’ombre qui entoure le calice ? Rien. Tu vois un calice profond et une petite bouche et rien de plus. Maintenant, regarde-la pendant que je la cueille et que je la porte ici, sous ce rayon de soleil. Que vois-tu ?

– Je vois des pistils, du pollen, une petite couronne de duvets qui ressemblent à des cils autour des pistils ainsi qu’une minuscule bande toute ciliée qui orne le pétale large et les deux plus petits… Je vois encore une gouttelette de rosée au fond du calice… et… oh ! voilà ! Un moucheron est descendu à l’intérieur pour boire, et il s’est englué dans le duvet cilié et il n’arrive plus à se dégager… Mais alors ! Montre-moi mieux… Oh ! le duvet est comme couvert de miel, il colle… J’ai compris ! Dieu l’a fait ainsi soit pour que la plante se nourrisse, ou pour que les oiseaux y trouvent leur nourriture en venant becqueter les moucherons, ou encore pour que l’air en soit débarrassé… Quelle merveille !

– Pourtant, tu n’aurais rien vu sans la puissante lumière du soleil.

– Hé ! non !

– Il en va de même de la possession divine. La créature qui, d’elle-même met toute sa bonne volonté à aimer totalement son Dieu, l’abandon à ses volontés, la pratique des vertus et la maîtrise de ses passions, se trouve absorbée en Dieu — dans la Lumière qui est Dieu, dans la Sagesse qui est Dieu — et elle voit et comprend tout. Une fois cette action absolue passée, la créature en vient à un état où ce qui a été reçu se transforme en règle de vie et de sanctification, mais ce qui l’instant d’avant semblait si clair redevient obscur, ou plutôt crépusculaire. Le démon, qui ne cesse de singer Dieu, produit chez les possédés de l’esprit, un effet analogue bien que limité puisque Dieu seul est infini. A ceux qu’il possède, parce qu’ils se sont spontanément donnés à lui pour triompher, il communique une intelligence supérieure, mais uniquement tournée vers le mal, pour nuire, pour offenser Dieu et l’homme. Ainsi l’action satanique, quand elle trouve dans l’âme des complicités, est continuelle et conduit par degrés à la science totale du Mal. Ce sont les pires possessions. Rien n’en apparaît à l’extérieur, de sorte qu’on ne fuit pas ces possédés. Mais elles existent. Comme je l’ai dit plusieurs fois, le Fils de l’homme sera frappé par des possédés de cette sorte.

– Mais Dieu ne pourrait-il pas frapper l’enfer ? demande Philippe.

– Il le pourrait. Il est le plus fort.

– Dans ce cas, pourquoi ne le fait-il pas pour te défendre ?

– Les raisons de Dieu seront connues au Ciel. Allons, et sortez de votre accablement. »

502.3

Le berger, qui a écouté sans en avoir l’air, demande :

« Tu sais où aller ? Tu es attendu ?

– Non, homme. Je devrais me rendre au-delà de Jéricho, mais je n’y suis pas attendu.

– Et tu es très fatigué, Rabbi ?

– Fatigué, oui. Depuis le mont Nébo, personne ne nous a offert l’hospitalité et on ne nous a pas permis de faire halte.

– Alors… Je voulais te dire… J’habite près de l’ancienne Bétagla… Mon père est aveugle et je ne peux trop m’éloigner pour ne pas le laisser seul pendant des lunes. Mais mon cœur en souffre, et le troupeau aussi. Si tu voulais… Je t’hébergerais. Ce n’est pas loin. Mon vieux père croit tellement en toi ! Joseph, fils de Joseph, ton disciple, le sait.

– Allons-y. »

L’homme ne se le fait pas dire deux fois. Il rassemble son troupeau et le dirige vers le village, qui doit être au nord-ouest. Jésus et ses disciples marchent derrière le troupeau.

502.4

« Maître, dit Judas après un moment, Bétagla ne possède cer­­tainement pas quelqu’un qui puisse acheter les dons de cet homme…

– Quand nous irons à Jéricho chez Nikê, nous les vendrons.

– C’est que… cet homme est pauvre et il faudra le dédommager. Je n’ai pas le moindre sou.

– Nous avons des vivres en grande quantité, même pour quelque mendiant. Nous n’avons besoin de rien d’autre en ce moment.

– Comme tu veux. Mais il aurait mieux valu que tu m’envoies en avant. J’aurais pu…

– Ce n’est pas nécessaire.

– Maître, c’est de la défiance ! Pourquoi ne nous envoies-tu pas comme avant, deux par deux ?

– Parce que je vous aime et que je pense à votre bien.

– Ce n’est pas bien de nous garder ainsi inconnus. On va penser que nous sommes indignes, incapables… Autrefois, tu nous laissais partir, nous prêchions, nous faisions des miracles, nous étions connus…

– Tu regrettes de ne plus le faire ? Tu aimais être loin de moi ? Tu es bien le seul à te plaindre de ne pas aller seul… Judas !…

– Maître, tu sais que je t’aime ! dit Judas avec assurance.

– Oui, je le sais. Et je te garde avec moi pour que ton esprit ne se corrompe pas… Tu es déjà celui qui recueille et distribue, qui vend ou échange pour les pauvres. C’est assez, c’est déjà trop. Observe tes compagnons : pas un seul ne demande ce que tu sollicites.

– Mais, aux disciples, tu l’as accordé… cette différence est une injustice.

– Judas, tu es le seul à me dire injuste… Mais je te pardonne. Va en avant, et envoie-moi André. »

Jésus ralentit pour attendre André et lui parler à part. J’ignore ce qu’il lui dit. Je sais qu’André sourit de son doux sourire et s’incline pour baiser les mains du Maître, puis il retourne à l’avant.

Jésus reste seul, derrière tout le groupe… La tête très penchée, il avance en essuyant son visage avec un coin de son manteau comme s’il transpirait. Mais ce sont des larmes et non des gouttes de sueur qui coulent sur ses joues décharnées et pâles.

502.5

Jésus dit : « Vous placerez ici la vision du 3 octobre 1944 : “ La femme du sadducéen nécromancien. ” »

502.1

The Bethabara ford has just been crossed. Across the blue river which is quite rich in water as it is nourished by the effluents replenished by the autumn rains, one can see the other bank, the eastern one, with many people gesticulating. On the western bank, instead, where Jesus is with His apostles, there is only one shepherd and a herd grazing the green grass on the bank.

Peter throws himself on the remains of a little wall which is there without even drying his legs, still wet after wading. Because it is true that in this season they use boats, but to avoid running them aground where the water is shallow, they make use of them only where the water is deeper and stop to disembark the passen­gers where the keel rubs against submerged herbs. Thus passengers are compelled to walk for a few steps in the water.

«What is the matter with you? Are you not feeling well.»

«No. But I cannot stand this any more. On mount Nebo violence, and before that at Heshbon, and previously at Jerusalem and at Capernaum, after mount Nebo at Callirhoe, and now at Beth­abara… Oh!…» he bends his head holding it with his hands and weeps…

«Don’t lose heart, Simon. Don’t deprive Me of your companion’s courage and of yours!» Jesus says to him approaching him and lay­ing His hand on the apostle’s heavy grey mantle.

«I cannot stand that! I cannot see You ill-treated thus! If I reacted… perhaps I could. But… having to restrain myself… and hear their insults, and see You suffering, as If I were a powerless baby… oh! it breaks my heart and I feel worn out…. How can one bear to see Him thus!? He seems to be ill, to be dying of marsh­fever, He looks like a chased culprit who cannot find a place where to stop and have a morsel of food or a drop of water, or find a stone on which to rest his head! That hyena on mount Nebo; those snakes at Callirhoe! That madman who is still over there! (and he points at the other bank). Less of a demon the one from Callirhoe, although You say that only the second one was pos­sessed by Beelzebub!

502.2

I am afraid of possessed people, I think that if Satan seized them thus, they must have been very bad. But… man may fall without being completely willing to do so. Those instead who without being possessed behave as they do, with their reason completely free!… Oh! will You never subdue them con­sidering that You do not want to punish them? And they… will defeat You…» And the faithful apostle, whose tears had stopped during his outburst of anger, resumes weeping bitterly…

«My dear Peter, and do you think that they are not possessed? Do you think that to be possessed one must be like the man from Callirhoe or like other people we have come across? Do you think that obsession is displayed only by unbecoming shouts, by bounds, by fury, by mania for living in dens, by stubborn silence, by im­pediments in limbs, by benumbed minds, so that the person possessed speaks and acts unconsciously? No. There are also more subtle and powerful obsessions, nay possessions, and they are the most dangerous ones because they do not hinder or weaken reason so that it may not accomplish good deeds, but they develop it, nay: they expand it so that it may be powerful in serving him who possesses it. When God takes possession of an intellect and makes use of it or His service He instils into it, in the hours in which it is at God’s service, a supernatural intelligence which greatly in­creases the natural intelligence of the subject. Do you think, for in­stance, that Isaiah, Ezekiel, Daniel, and the other prophets, if they had had to read and explain those prophecies, as written by others, would not have found the indecipherable obscurities that present­ day people find? And yet, I tell you, they understood them perfect­ly while receiving them. Look, Simon. Let us take this flower which has grown here at your feet. What can you see in the shade enveloping its calyx? Nothing. You can see a deep calyx and a little mouth and nothing else. Now look at it while I pick it and I put it here in the rays of sunlight. What do you see?»

«I see some pistils, some pollen, and a little crown of down which looks like cilia around the pistils and a tiny strip, all beetle-browed, adorning the large petal and the two small ones… and I see a tiny drop of dew at the bottom of the calyx… and…oh! A midge has gone down into it, to drink, and has become entangled in the beetle-browed down and cannot free itself… So! Let me have a better look. Oh! The down is sticky like honey… I see! God made it thus, so that the plant may feed on it, or birds may be nourished eating the flies, or the air may be purified… How wonderful!»

«But without the strong sunshine you would not have seen anything.»

«Eh! no!»

«The same happens in the case of a divine possession. Man, who of his own puts only the goodwill to love his God wholly, to give himself up! to His will, to practise virtues and control passions, is absorbed in God, and in the Light that is God, in the Wisdom that is God he sees and understands everything. Later, when the absolute action comes to an end, a state takes over in the creature, where by what has been received is transformed into a rule of life and sanctification, but becomes obscure, or rather, what previous­ly seemed clear becomes crepuscular. The demon, a perpetual mimic of God, causes a similar effect, although limited because God only is infinite, in the mental obsession of those who are possessed because they gave themselves spontaneously to him in order to be triumphant, and he grants them a superior intelligence, devoted exclusively to evil, to harming, to offending God and man. But as the satanic action finds the soul consenting, it is con­tinuous and thus leads it by degrees to a complete knowledge of Evil. They are the worst possessions. Nothing appears outwardly and consequently such possessed people are not avoided. But they exist. As I have often told you, the Son of man will be struck by people possessed that way.»

«But could God not strike Hell?» asks Philip.

«He could. He is the stronger.»

«And why does He not do so to defend You?»

«The reasons of God are known in Heaven. Let us go. And do not lose heart.»

502.3

The shepherd, who has been listening without pretending to do so asks: «Have You a place where to go? Are You expected.»

«No, man. I should go beyond Jericho. But no one is expecting Me.»

«Are You very tired, Rabbi?»

«Yes, I am tired. They would not give us hospitality or allow us to stop as from mount Nebo.»

«Well… I wanted to tell You… I come from near Beth-hoglah, the ancient… My father is blind and I cannot go too far as I do not want to leave him by himself for months. But my heart suffers because of that and so does the herd. If You want… I would give You hospitality. It is not far. The old man believes so much in You. Joseph, Joseph’s son, Your disciple, knows.»

«Let us go.»

The man does not wait to be told twice. He gathers the herd and sets it going towards the village, which must be north-west of the place where they are now. Jesus follows the herd with His disciples.

502.4

«Master» says the Iscariot after some time «Beth-hoglah will not have anyone who can afford to buy the gifts of that man…»

«We shall sell them when we go to Jericho to see Nike.»

«The fact is… that this man is poor and we will have to requite him, but I have not a penny left.»

«We have food, and plenty of it. Also for some beggars. We need nothing else for the time being.»

«As You wish. But it would have been better if You had sent me ahead. I could have…» «It is not necessary.»

«Master, that is lack of trust! Why don’t You send us as You did previously, in twos?»

«Because I love you and I take care of your welfare.»

«It is not right to keep us unknown like this. People will think that… we are not worthy, not able… Once You used to let us go we preached, we worked miracles, we were known…»

«Do you regret that you no longer do so? Did it do you any good to go without Me? You are the only one to complain that you do not go by yourself… Judas!…»

«Master, You know whether I love You!» says Judas resolutely.

«I know. And I keep you with Me that your spirit may not become corrupted. You are the only one who gathers and hands out, sells or barters on behalf of the poor. That is enough. Even too much. Look at your companions, not one of them asks for what you ask.»

«But You allowed the disciples… Such difference is unfair.»

«Judas, you are the only one to say that I am unjust… But I forgive you. Go on and send Andrew to Me.»

And Jesus slackens His pace to wait for Andrew and speak to him privately. I do not know what He says to him. I see Andrew smile gently and bend to kiss the hands of the Master and then go on.

Jesus remains alone, behind them all… and He proceeds with a bowed head, wiping His face with the hem of His mantle as if He were perspiring. But the drops streaming down His emaciated pale cheeks are tears, not beads of perspiration.

502.5

Jesus says: «You will put here the vision dated 3rd October 1944: “The Wife of the Sadducean Necromancer”».