The Writings of Maria Valtorta

533. En route pour Jérusalem avec Judas,

533. Towards Jerusalem with Judas Iscariot,

533.1

L’aube illumine l’horizon. Le bois d’oliviers qui couvre la colline s’éclaire tout doucement et sort de l’obscurité. Les troncs, encore dans l’ombre, sont invisibles alors que les frondaisons argentées se montrent déjà. On dirait qu’une nappe de brouillard s’est étendue sur la colline, mais ce n’est que la grisaille des feuillages dans la lumière incertaine du matin.

Jésus est seul sous les oliviers, mais ce n’est pas Gethsémani : Gethsémani est parallèle, pour ainsi dire, au mont Moriah, alors qu’ici ce dernier reste en face. Nous sommes donc au nord de Jérusalem, au-delà des tombeaux des rois. Jésus prie encore, et il ne s’arrête pas quand le gazouillis des oiseaux lui indique que le jour est venu. C’est seulement quand le premier rayon du soleil, maintenant levé, éclaire partiellement l’or — jusqu’à ce moment plutôt terne — des dômes du Temple, qu’il se met debout, se lève et secoue son manteau ; quelques petites feuilles sèches restent attachées à la lourde étoffe, souillée de traces de terre. De la main, il se lisse la barbe et les cheveux, puis rajuste son vêtement et sa ceinture, examine les brides de ses sandales, remet son manteau et descend de la colline par un sentier à peine marqué entre les troncs. Peut-être se dirige-t-il vers une maisonnette à mi-pente, du toit de laquelle monte un peu de fumée. Mais non. Il tourne et prend un chemin plus large qui descend vers la route principale qui mène à la ville.

533.2

Derrière lui, Judas dégringole de la colline. Je dis bien “ dégringole ”, car il court comme un fou pour rattraper le Maître et, arrivé à portée de voix, il l’appelle. Jésus s’arrête, et Judas le rejoint, tout essoufflé :

« Maître… heureusement pour moi que j’ai pensé à venir te chercher ! Tu t’en allais sans moi ? Hier soir, tu me demandais de t’attendre à la maison, parce que tu allais certainement venir. Au contraire…

– N’ai-je pas dit à tout le monde de m’attendre à la Porte d’Hérode à l’aurore ? Voici l’aurore, et je me rends à la Porte d’Hérode.

– Oui, mais… c’était pour les autres. Nous deux, nous étions ensemble.

– Ensemble ? »

Jésus est très sérieux.

« Mais oui, Maître. Nous sommes venus ensemble. C’est toi qui l’as voulu. Puis tu as préféré aller prier tout seul, mais j’étais disposé à t’accompagner.

– A Nobé, tu as montré clairement qu’il ne t’était pas agréable de passer la nuit en prière avec ton Maître, et je t’ai épargné de faire un acte de vertu forcé. Il n’aurait servi à rien. Le bien, il faut savoir le faire spontanément pour qu’il ait du parfum et qu’il soit fécond. Dans le cas contraire, ce n’est qu’une… comédie, parfois pire.

– Mais, moi…

533.3

Pourquoi te montres-tu si sévère à mon égard depuis quelque temps ? Tu ne m’aimes plus ?

– C’est à plus juste titre que, moi, je pourrais te demander : tu ne m’aimes plus ? Mais je ne te pose pas cette question, parce qu’elle serait vaine et que je ne fais jamais rien d’inutile.

– Naturellement ! Car tu sais bien que je t’aime !

– Je voudrais bien le savoir, Judas de Kérioth. Et je voudrais pouvoir t’affirmer : je sais que tu m’aimes. Mais tout comme je ne fais jamais rien d’inutile, je ne dis jamais des paroles fausses. Je ne te dis donc pas que je sais que tu m’aimes.

– Comment donc, Maître ! Je ne t’aimerais pas ? Est-ce que je ne travaille pas pour toi ? Peux-tu en douter ? Cela me peine. Pourtant, dès que je comprends qu’un acte te chagrine, je ne le fais plus et je veille à ce qu’on ne le fasse plus ! Regarde : j’ai compris qu’il te déplaisait que je… sorte la nuit. Je ne suis plus sorti. J’ai compris que les discussions de tes adversaires t’épuisent. Je suis allé — et on ne m’a pas épargné les offenses — leur demander d’y renoncer, et tu vois que tu n’as plus été importuné. Et j’espère que tu ne le seras pas non plus au Temple. Tu n’es pas juste, Maître, avec le pauvre Judas !

– Tu es le premier de mes disciples à me taxer d’injustice…

– Oh ! pardon ! Mais tes paroles, ta sévérité, m’affligent tellement que je ne sais plus réfléchir. Cela m’affole, crois-moi. Allons, ma paix, faisons la paix entre nous. Je veux être avec toi, comme si je ne faisais qu’un avec toi. Ensemble, toujours…

– Autrefois, nous l’étions. Mais maintenant, dis-moi, Judas : quand donc le sommes-nous ?

– Tu me demandes ça à cause de cette nuit-là ? Ou encore parce que je ne t’ai pas accompagné à Beth-Abara ? Mais tu sais pourquoi je ne suis pas venu : pour ton bien… Et cette nuit-là… Je suis un homme jeune, Seigneur ! Mais à part ces moments où, je l’avoue, je peux m’être trompé, et même où je me suis sûrement trompé, je suis toujours auprès de toi.

– Ce n’est pas de la proximité physique que je parle, mais de l’intimité spirituelle, celle de la pensée et du cœur. Tu es loin de ton Sauveur, Judas, et tu t’en éloignes de plus en plus.

– Voilà ! Tous les reproches sont pour moi ! Vois pourtant avec quelle humilité je les reçois. Je t’ai dit : “ Renvoie-moi. ” Tu m’as retenu… et alors, qu’attends-tu de moi ?

– Ce que j’attends ! Je voudrais ne pas avoir pris inutilement une chair pour toi. C’est cela que je voudrais ! Mais désormais tu appartiens à un autre père, à un autre pays, tu parles une autre langue…

533.4

Ah ! Que faire, mon Père, pour purifier le temple profané de celui qui est ton fils et mon frère ? »

Jésus, très pâle, pleure en s’adressant à son Père.

Judas aussi prend un visage terreux et s’écarte un peu en silence. Jésus le dépasse de quelques pas et descend, la tête penchée, enfermé dans sa douleur. Alors Judas fait un geste de mépris, de menace, je dirais de cruel serment derrière le dos de l’Innocent. Son visage, jusqu’alors masqué par une patine hypocrite de douceur et d’humilité, se fait anguleux, dur, brutal, cruel. Vraiment démoniaque. Une vraie haine, une haine qui n’est pas humaine, luit dans le feu de ses yeux noirs, et cette flamme de haine se concentre sur la haute personne de Jésus. Puis, après un haussement d’épaules et un coup de pied coléreux, Judas met un point final à son raisonnement intérieur, et il se remet en chemin, après s’être repris, comme quelqu’un qui a décidé irrévocablement de son choix.

533.5

Les remparts de la ville sont maintenant proches. Des gens se pressent aux portes : étrangers, maraîchers, habitants des villages voisins. Parmi ceux qui se trouvent près des murs se tiennent les onze apôtres qui, à la vue du Maître, s’avancent à sa rencontre.

« Maître, pendant que nous attendions ici, il est venu un homme qui te cherchait. Il a dit que Valéria te prie d’aller près de la synagogue des affranchis romains, mais d’y aller vraiment ; elle s’y trouvera.

– C’est bien. Nous irons là-bas. Passons d’abord chez Joseph de Séphoris, car mon vêtement n’est pas propre.

– Où as-tu dormi, Seigneur ? demande Pierre.

– Nulle part, Simon. J’ai prié sur la colline et la terre était humide, boueuse même. Tu vois…

– Pourquoi prier ainsi en plein air, Seigneur ? Cela pourrait te faire du mal…

– Les éléments ne nuisent pas au Fils de l’homme. Ce qui vient de Dieu est bon… Ce sont les hommes qui haïssent l’Homme. »

Pierre soupire… Ils s’éloignent vers la maison du Galiléen, suivis par les autres…

533.1

The horizon clears at dawn. The olive-grove covering the moun­tain brightens very slowly emerging from the shadow, and the trunks, still in the shade, seem to be absent whilst their silvery foliage is visible. Fog seems to be spread over the mountain, but it is only the greyness of the leafy branches in the uncertain morning light.

Jesus is alone under the olive-trees. But it is not Gethsemane. Because Gethsemane is parallel, so to say, to the Moriah, whereas the Moriah here is in front of the olive-grove. So we are north of Jerusalem, beyond the graves of the kings. Jesus is still praying and He does not stop even when the first chirping of birds tells Him that it is daytime. Only when the first rays of the risen sun light up a golden spot on the so far dimmed gold of the domes of the Temple, He stands up, He takes off and shakes His mantle with traces of earth and a few dry leaves sticking to the heavy cloth and with one hand He smooths His beard and hair. He tidies his tunic and belt, He checks the straps of His sandals, He puts on His mantle and He sets off down the mountain along a tiny path hard­ly traced out among the trunks. He is perhaps heading towards that little house, half way down the slope, from the chimney of which smoke is rising. No. He makes a detour towards another wider path that descends towards the main road that takes one to town.

533.2

Judas of Kerioth rushes down the mountain behind Him. I say he rushes because he is running like a madman to join the Master. And when he is within hearing distance, he calls Him. Jesus stops. Judas reaches Him panting: «Master… fortunately I thought I should come looking for You! Were You going away like that, without me? Yesterday evening You told me to wait for You in the house because You would certainly come. Instead…»

«Did I not tell everybody that I would wait for you at Herod’s Gate at dawn? It is dawn. And I am going to Herod’s Gate.»

«Yes, but… that was for the others. You and I were together.»

«Together?» Jesus is very serious.

«Of course, Master. We came away together. You wanted that. Then You preferred to go and pray by Yourself. But I was willing to come with You.»

«At Nob you made it clear that it was not agreeable to you to spend the night praying with your Master. And I spared you a forced act of virtue. It would have been of no avail. Good deeds are to be performed spontaneously so that they may be scented and fertile. Otherwise they are only a pantomime… and at times worse than a pantomime.»

«But I…

533.3

Why have You been so severe with me recently? Do You no longer love me?»

«Even more so I could ask you: do you not love Me? But I will not ask you. Because also that question would be a useless one and I never do useless things.»

«Of course! Because You know very well that I love You!»

«I wish I knew, Judas of Kerioth. And I wish I could say to you: I know that you love Me. But as I never do useless things, so I never speak false words. So I will not say to you that I know that you love Me.»

«But why, Master! Do I not love You? Do I not work for You? Can You doubt it? That grieves me. Because as soon as I realise that something grieves You, I avoid doing it and I watch that it is not done! Look: I understood that You did not like… my going out at night. And I did not go out any more. I realised that the disputes of Your enemies fatigued You excessively. So I went – and I was not spared insults – and told them to stop it, and You know that You have not been troubled any more. And I hope that You will not be troubled in the Temple either. You are not fair, Master, with poor Judas!»

«You are the first among all my followers to reproach Me of un­fairness…»

«Oh! forgive me! But Your words, your severity grieves me so much that I can no longer ponder on things. They drive me crazy believe me. Well, my peace, let us make it up between us. I want to be with You as if I were one thing with You. Always together…»

«Once we were so. But now tell Me, Judas: when are we so now?»

«Still because of that night? Or because I did not come with You to Bethabara? But You know why I did not come. For Your own good… And with regard to that night… I am a young man, Lord! But apart from those moments, when, I admit it, I may have made a mistake, nay I certainly did do wrong, I am always close to You.»

«I am not talking of physical closeness, but of the spiritual one, of the closeness of thoughts and hearts. You are far, Judas, from your Saviour, and you are going farther and farther away.»

«There You are! All reproaches are for me! And yet You can see how humbly I accept them. I said to You: “Send me away”. But You kept me… so what do You want of me?»

«What do I want!! I would like not to have become Incarnate in vain for you. That is what I would like! But by now you belong to another father, to another country, you speak a different language…

533.4

Oh! What shall I do, Father, to cleanse the profaned temple of this son of Yours and My brother?» Jesus, Who is very pale, weeps speaking to His Father.

Judas becomes wan, too, and he moves aside a little, in silence. Jesus overtakes him in a few steps, descending the hill, His head lowered, closed in His grief. Judas then makes a gesture of mockery, of threat, I would say like a cruel oath behind the back of the Innocent One. His face, so far masked by a hypocritical gloss of kindness and humbleness, becomes bony, hard, ugly, cruel: really demoniac. All the hatred, but not a human hatred, is in the fire of his dark eyes, and that fiery hatred is concentrated on Jesus’ tall person. Then shrugging his shoulders and striking his foot angrily, Judas ends his internal reasoning. And he sets out, composedly, like one who has made a decision past recall.

533.5

The town walls are now close at hand. People are crowding at the gates: strangers, market-gardeners, people from nearby villages. Among them, near the walls, are the eleven apostles who go to meet the Master as soon as they see Him.

«Master, while we were waiting here, a man came looking for You. He said that Valeria begs You to go to the synagogue of the Roman freedmen; to make sure that You go because she will be there.»

«All right. We shall go. Let us go to Joseph of Sephoris first, because My mantle is not clean.»

«Where did You sleep, Lord?» asks Peter.

«Nowhere, Peter. I prayed on the mountain. The ground was damp and muddy, as you can see.»

«Why pray out in the open air, Lord? It may harm Your health…»

«The elements do not harm the Son of man. The things of God are good… It is men that hate the Man.»

Peter sighs… They go away towards the house of the Galilean, followed by the others…