The Writings of Maria Valtorta

587. L’adieu à Lazare.

587. Farewell to Lazarus.

587.1

Jésus est à Béthanie. C’est le soir, un paisible soir d’avril. Par les larges fenêtres de la salle du banquet, on voit le jardin de Lazare tout en fleurs et, au-delà, le verger, qui ressemble à une nuée de légers pétales. La brise du soir fait onduler doucement les rideaux tendus sur les portes et trembler les lumières du lampadaire du milieu de la pièce. Avec elle pénètre une senteur composée de verdure nouvelle, du doux-amer des fleurs des arbres fruitiers, de roses et d’autres fleurs, qui se mêle au vif parfum de tubéreuse, de muguet, de jasmin, mélangés en une essence rare, qui reste encore du baume dont Marie de Magdala a oint son Jésus, dont les cheveux sont restés plus sombres.

Dans la salle se trouvent encore Simon, Pierre, Matthieu et Barthélemy. Les autres sont absents, comme s’ils étaient déjà sortis pour vaquer à leurs occupations.

Jésus s’est levé de table et observe un rouleau de parchemin que Lazare lui a montré. Marie de Magdala va et vient dans la salle… On dirait un papillon attiré par la lumière. Elle ne sait que tourner autour de son Jésus. Marthe surveille les serviteurs qui enlèvent les splendides nappes précieuses étendues sur la table.

Jésus pose le rouleau sur une haute crédence à incrustations d’ivoire qui contrastent avec un bois noir et brillant, et il dit :

« Lazare, viens dehors. J’ai besoin de te parler !

– Tout de suite, Seigneur ! »

Lazare se lève de son siège près de la fenêtre et suit Jésus dans le jardin, où la dernière lueur du jour se mêle aux premiers rayons d’un splendide clair de lune.

587.2

Jésus prend la direction de l’autre partie du jardin, là où se trouve le tombeau où fut enseveli Lazare, et qui présente maintenant un grand encadrement de roses en fleurs sur l’entrée béante. En haut, sur la roche légèrement inclinée, il est gravé : “ Lazare, sors ! ”

Jésus s’arrête là. On ne voit plus la maison, cachée par des arbres et des haies. Il règne un silence absolu et une absolue solitude.

« Lazare, mon ami » dit Jésus en restant debout face à son ami, et en le fixant des yeux, un sourire esquissé sur son visage amaigri et pâle plus qu’à l’ordinaire. « Lazare, mon ami, sais-tu qui je suis ?

– Toi ? Mais tu es Jésus de Nazareth, mon doux Jésus, mon saint Jésus, mon puissant Jésus !

– Cela, je le suis pour toi. Mais, pour le monde, qui suis-je ?

– Tu es le Messie d’Israël.

– Et encore ?

– Tu es le Promis, l’Attendu… Mais pourquoi me demandes-tu cela ? Doutes-tu de ma foi ?

– Non, Lazare. Mais je veux te confier une vérité. Personne ne la connaît, hormis ma Mère et l’un des miens. Ma Mère, parce qu’elle n’ignore rien. Mon disciple, parce qu’il participe à cette vérité. Aux autres, je l’ai dite maintes et maintes fois, au cours de ces trois années. Mais leur amour a produit sur eux le même effet que le népenthès et entravé la connaissance de la vérité annoncée. Ils n’ont pas pu tout comprendre… Et cela vaut mieux, d’ailleurs, car, pour empêcher un crime, ils en auraient commis un autre… inutile, puisque ce qui doit arriver arrivera, en dépit de tout meurtre. Mais à toi, je veux la dire.

– Penses-tu que je t’aime moins qu’eux ? De quel crime parles-tu ? Quel crime doit arriver ? Parle, au nom de Dieu ! »

Lazare s’énerve.

« Je parle, oui. Je ne doute pas de ton amour. J’en doute si peu que c’est à toi que je confie mes volontés…

– Oh ! mon Jésus ! On fait cela lorsqu’on sent la mort approcher ! Moi, je l’ai fait quand j’ai compris que tu ne viendrais pas et que je devais mourir.

– Eh bien, moi, je dois mourir.

– Non ! »

Lazare pousse un profond gémissement.

« Ne crie pas. Que personne n’entende. J’ai besoin de te parler à toi seul.

587.3

Lazare, mon ami, sais-tu ce qui se passe, à cet instant précis où tu te tiens près de moi, dans l’amitié fidèle que tu m’as témoignée dès le premier moment, et que rien n’a jamais pu troubler ? Un homme, avec d’autres hommes, est en train de débattre le prix de l’Agneau. Tu sais quel nom porte cet Agneau ? Il s’appelle : Jésus de Nazareth.

– Non, non ! Tu as des ennemis, c’est vrai. Mais personne ne peut te vendre ! Qui est-ce, qui donc ?

– C’est l’un de mes disciples. Ce ne pouvait être que l’un de ceux que j’ai le plus fortement déçus et qui, las d’attendre, veut se débarrasser de Celui qui n’est plus, désormais, qu’un danger personnel. Il s’imagine remonter ainsi dans l’estime des grands du monde. Il sera, au contraire, méprisé par le monde des bons comme par celui des criminels. Il en est arrivé à se lasser ainsi de moi, de l’attente de ce qu’il a essayé d’atteindre par tous les moyens : la grandeur humaine, qu’il a poursuivie d’abord au Temple, qu’il a cru atteindre avec le Roi d’Israël, et que, maintenant, il cherche de nouveau, au Temple et auprès des Romains… Il espère… Mais Rome, si elle sait récompenser ses serviteurs fidèles… sait piétiner sous son mépris les vils délateurs. Il est las de moi, de l’attente, du fardeau que représente pour lui le devoir d’être bon. Pour un homme mauvais, être bon, devoir feindre de l’être, c’est un fardeau accablant. On peut le supporter quelque temps… et puis cela devient trop éprouvant… alors on s’en débarrasse pour redevenir libre. Libre ? C’est ce que croient les mauvais. C’est ce qu’il croit lui aussi. Mais ce n’est pas la liberté. Appartenir à Dieu, voilà la liberté. Etre contre Dieu, c’est une prison avec des fers et des chaînes, des fardeaux et des coups de fouet, qu’aucun galérien, qu’aucun esclave aux constructions ne supporte sous le fouet du garde-chiourme.

– De qui s’agit-il ? Dis-le-moi. Qui est-ce ?

– C’est inutile.

– Si, c’est utile… Ah !… Ce ne peut être que lui : l’homme qui a toujours été une tache dans ton groupe, l’homme qui, il n’y a pas longtemps, a offensé ma sœur. C’est Judas !

– Non. C’est Satan. Dieu a pris chair en moi : Jésus. Satan a pris chair[1] en Judas. Un jour… très lointain… ici, dans ton jardin, j’ai consolé des larmes et j’ai excusé une âme tombée dans la boue. J’ai dit[2] que la possession est la contagion de Satan, qui inocule son poison dans l’être et le dénature. J’ai dit que c’est l’union d’une âme avec Satan et avec l’animalité. Mais la possession est encore peu de chose par rapport à l’incarnation. Je serai possédé par mes saints[3], et eux seront possédés par moi. Mais c’est seulement en Jésus-Christ que Dieu est tel qu’il est au Ciel, car je suis le Dieu fait chair. Il n’y a qu’une incarnation divine. De même, c’est en un seul homme que sera Satan, Lucifer, tel qu’il est dans son royaume, car c’est seulement dans l’assassin du Fils de Dieu que Satan s’est incarné. Pendant que je te parle, cet homme se tient devant le Sanhédrin : il s’occupe de mon meurtre et s’y emploie. Mais ce n’est pas lui réellement : c’est Satan.

587.4

Maintenant écoute, Lazare, mon fidèle ami. J’ai quelques demandes à te faire. Tu ne m’as jamais rien refusé. Ton amour a été si grand que, sans jamais enfreindre le respect, il a été toujours actif à mes côtés par mille soutiens, par une foule d’aides prévoyantes et de sages conseils que j’ai toujours acceptés, parce que je voyais dans ton cœur un véritable désir de me servir pour mon bien.

– Mais, mon Seigneur, m’occuper de toi faisait mon bonheur ! Que ferai-je maintenan, si je n’ai plus à me soucier pour mon Maître et Seigneur ? Tu m’as permis de faire trop peu de choses ! Ma dette envers toi, qui as rendu Marie à mon amour et à l’honneur, et qui m’as rendu la vie, est telle que… Ah ! pourquoi m’as-tu rappelé de la mort si je dois vivre cette heure ? J’avais surmonté toute l’horreur de la mort et toute l’angoisse de l’âme, conduite par Satan à l’épouvante au moment de me présenter au Juge éternel, et c’était l’obscurité… Qu’as-tu, Jésus ? Pourquoi frémis-tu et deviens-tu plus pâle encore que tu ne l’étais ? Ton visage est plus blanc que cette rose de neige sous la lune. Oh ! Maître ! On dirait que le sang et la vie t’abandonnent…

– Je suis effectivement comme un agonisant, les veines ouvertes. Jérusalem tout entière — et j’entends par là “ tous mes ennemis parmi les puissants d’Israël ” —, plaque sur moi ses bouches avides pour aspirer ma vie et mon sang. Ils veulent faire taire la Voix qui, pendant trois ans, les a tourmentés, même en les aimant… parce que toutes mes paroles, même si c’étaient des paroles d’amour, étaient un choc qui invitait leur âme à se réveiller. Or, ils ne voulaient pas entendre leur âme, liée par la triple concupiscence. Et non seulement les grands… mais Jérusalem tout entière va s’acharner sur l’Innocent et vouloir sa mort… et avec Jérusalem, la Judée… et avec la Judée, la Pérée, l’Idumée, la Décapole, la Galilée, la Syro-Phénicie… C’est tout Israël qui s’est rassemblé à Sion pour le “ Passage ” du Christ de la vie à la mort…

587.5

Lazare, toi qui es mort et qui es ressuscité, dis-moi : qu’est-ce que la mort ? Qu’as-tu éprouvé ? De quoi te souviens-tu ?

– La mort ?… Je ne me rappelle pas exactement ce que cela a été. A la grande souffrance succéda une grande langueur… Il me semblait ne plus souffrir et être entré dans un profond sommeil… La lumière et le bruit devenaient de plus en plus faibles et lointains… Mes sœurs et Maximin disent que je donnais les signes d’une grande souffrance… Mais moi, je ne m’en souviens pas…

– Oui. La pitié du Père émousse pour les mourants la sensation intellectuelle, de sorte qu’ils souffrent uniquement dans la chair qui, elle, doit être purifiée par ce prépurgatoire qu’est l’agonie. Mais moi… Et que te rappelles-tu de la mort?

– Rien, Maître. J’ai un espace obscur dans l’esprit, un espace vide. Il y a, dans le cours de ma vie, une interruption que je ne sais comment remplir. Je n’ai pas de souvenirs. Si je regardais au fond de ce trou noir qui m’a gardé pendant quatre jours, bien que ce soit la nuit et que j’y serais comme une ombre, je sentirais sans le voir le froid humide monter de ses viscères et souffler sur moi. C’est déjà une sensation. Mais si je pense à ces quatre jours, je n’éprouve rien. Rien. C’est le mot.

– Oui. Ceux qui reviennent ne peuvent parler… Le mystère se dévoile graduellement pour celui qui y entre. Mais moi, Lazare, je sais parfaitement ce que je subirai. Je sais que je souffrirai en pleine conscience. Il n’y aura aucun adoucissement de boissons ou de langueur pour que mon agonie devienne moins atroce. Je me sentirai mourir. Déjà, je le sens… Déjà, je meurs, Lazare. Comme quelqu’un qui souffre d’une maladie incurable, je n’ai cessé de mourir pendant ces trente-trois ans. Et la mort s’est toujours plus accélérée à mesure que le temps me rapprochait de cette heure. La mort, au début, c’était de savoir que j’étais né pour être le Rédempteur. Puis ce fut la mort de l’Homme qui se voit accusé, combattu, ridiculisé, persécuté, entravé… Quelle agonie ! Ensuite… la mort d’avoir à mes côtés celui qui devait être pour moi le traître, de plus en plus près, jusqu’à ce qu’il soit enlacé à moi comme une pieuvre au naufragé. Quelle nausée ! Et maintenant, je meurs déchiré de devoir dire “ adieu ” à mes amis les plus chers, et à ma Mère…

587.6

– Oh ! Maître ! Tu pleures ? Je sais que tu as pleuré aussi devant mon tombeau parce que tu m’aimais. Mais maintenant… Tu pleures de nouveau. Tu es glacé. Tu as les mains froides comme celles d’un cadavre. Tu souffres… Tu souffres trop !

– Je suis homme, Lazare, je ne suis pas seulement Dieu. De l’homme, j’ai la sensibilité et les affections. Et mon âme s’angoisse quand je pense à ma Mère… Je t’assure même que j’éprouve une torture monstrueuse de subir la proximité du traître, la haine satanique de tout un monde, la surdité de ceux qui, même sans haïr, ne savent pas aimer activement : aimer activement, c’est arriver à être tel que l’être aimé le désire et l’enseigne, or je vois le contraire ! Oui, beaucoup m’aiment. Mais ils sont restés eux-mêmes. Ils n’ont pas changé par amour pour moi. Sais-tu qui, parmi mes plus intimes, a su modifier sa nature pour appartenir au Christ, comme le Christ le veut ? Une seule personne : ta sœur Marie. Elle est partie d’une animalité complète et pervertie pour atteindre une spiritualité angélique. Et cela par l’unique force de son amour.

– Tu l’as rachetée.

– Je les ai tous rachetés par la parole. Mais elle seule s’est changée totalement par activité d’amour. Mais je disais que la souffrance qui me vient de tout cela est si montrueuse que je n’aspire qu’au moment où tout sera accompli. Mes forces fléchissent… La croix sera moins lourde que cette torture de l’esprit et du sentiment…

– La croix ? ! Non ! Oh ! non ! C’est trop atroce ! C’est trop infamant ! Non ! »

Lazare, qui tenait depuis un moment les mains glacées de Jésus dans les siennes, debout en face de son Maître, les lâche. Il s’affaisse sur le banc de pierre qui se trouve près de lui, cache son visage dans ses mains, et pleure désespérément.

587.7

Jésus s’approche de lui, pose la main sur ses épaules secouées par les sanglots, et dit :

« Eh quoi ? C’est à moi — qui meurs — de te consoler, toi qui vis ? Mon ami, j’ai besoin de force et d’aide. C’est ce que je te demande. Je n’ai que toi qui puisses m’en donner. Les autres… il vaut mieux qu’ils ignorent tout, car s’ils savaient… il coulerait du sang. Or je ne veux pas que les agneaux deviennent des loups, même par amour pour l’Innocent. Ma Mère… ah ! comme j’ai le cœur transpercé de parler d’elle !… Ma Mère est déjà tellement angoissée ! Elle aussi est une mourante exsangue… Voilà trente-trois ans qu’elle meurt, elle aussi. Aujourd’hui, elle n’est qu’une plaie, elle est la victime d’un atroce supplice. Je te jure que cela a été un combat entre mon esprit et mon cœur, entre l’amour et la raison, lorsqu’il m’a fallu décider s’il était juste de l’éloigner, de la renvoyer chez elle, où elle ne cesse de rêver à l’Amour qui l’a rendue Mère, où elle goûte la saveur de son baiser de feu, tressaille dans l’extase de ce souvenir, et ne cesse de revoir, avec les yeux de son âme, souffler l’air frappé et remué par la lueur angélique. En Galilée, la nouvelle de ma mort arrivera presque au moment où je pourrai lui dire : “ Mère, je suis le Victorieux ! ” Mais je ne puis pas, non, je ne puis pas faire cela. Le pauvre Jésus, chargé des péchés du monde, a besoin d’un réconfort, et ma Mère me l’offrira. Le monde encore plus pauvre a besoin de deux victimes. Parce que l’homme a péché avec la femme, la Femme doit racheter, comme l’Homme rachète. Mais tant que l’heure n’aura pas sonné, je montre à ma Mère un sourire plein d’assurance… Elle tremble… Je le sais. Elle sent que la Torture s’approche. Je le sais. Et elle la repousse par un dégoût naturel et par un saint amour, comme moi je repousse la mort parce que je suis un “ vivant ” qui doit mourir. Mais malheur, si elle apprenait que dans cinq jours… Elle n’arriverait pas vivante à cette heure, or je la veux vivante pour tirer de ses lèvres la force, comme j’ai tiré la vie de son sein. Et Dieu veut qu’elle soit présente au Calvaire pour mêler l’eau de ses larmes virginales au vin du sang divin et célébrer la première messe. Sais-tu ce que sera la messe ? Non, tu l’ignores, tu ne peux pas le savoir. Ce sera ma mort appliquée perpétuellement au genre humain vivant ou souffrant. Ne pleure pas, Lazare. Elle est forte. Elle ne pleure pas. Elle a pleuré pendant toute sa vie de Mère. Maintenant, elle ne pleure plus. Elle a crucifié un sourire sur son visage… As-tu vu quelle figure elle fait, ces derniers temps ? Elle a crucifié un sourire sur son visage pour me réconforter. Je te demande d’imiter ma Mère.

587.8

Je ne pouvais plus garder pour moi seul mon secret. J’ai regardé autour de moi à la recherche d’un ami sincère et sûr. J’ai rencontré ton regard loyal. J’ai dit : “ A Lazare. ” Quand tu avais un poids sur le cœur, j’ai respecté ton secret, et je l’ai défendu contre la curiosité, même naturelle, du cœur. Je te demande le même respect pour le mien. Plus tard… après ma mort, tu en parleras. Tu raconteras cet entretien, pour que l’on sache que Jésus est allé consciemment à la mort, et à des tortures connues, et aussi qu’il n’avait rien ignoré, ni des personnes ni de son destin. Pour que l’on sache que, alors qu’il pouvait encore se sauver, il s’y est refusé, car son amour infini pour les hommes ne brûlait que de consommer son sacrifice pour eux.

– Ah ! sauve-toi, Maître ! Sauve-toi ! Je peux t’aider à t’enfuir, cette nuit même. Tu as déjà fui en Egypte, autrefois ! Fuis de même aujourd’hui. Viens, partons ! Prenons avec nous ta Mère et mes sœurs, et partons. Aucune de mes richesses ne me retient, tu le sais. Ma richesse comme celle de Marie et de Marthe, c’est toi. Partons !

– Lazare, j’ai fui autrefois car l’heure n’était pas encore venue. Maintenant, elle est venue. C’est pourquoi je reste.

– Alors, je viens avec toi. Je ne te quitte pas.

– Non. Tu restes ici. Puisqu’il est permis de consommer l’agneau chez soi, si l’on habite à la distance autorisée pour le sabbat, tu consommeras ici ton agneau, comme tu le fais toujours. Pourtant, laisse venir tes sœurs… A cause de Maman… Ah ! que te cachaient, ô Martyr, les roses de l’amour divin ! L’abîme ! L’abîme ! Et de là, maintenant s’élèvent et s’élancent les flammes de la Haine pour te mordre le cœur ! Tes sœurs, oui. Elles sont courageuses et actives… et Maman, penchée sur ma dépouille, vivra une agonie. Jean ne suffit pas. Jean est l’amour, mais il manque encore de maturité. Certes, le déchirement de ces prochains jours va le faire mûrir et devenir un homme. Mais la Femme a besoin de femmes pour ses terribles blessures. Me les donnes-tu ?

– Je t’ai toujours tout donné, absolument tout, avec joie, et je souffrais seulement que tu me demandes si peu !

– Tu le vois : de nul autre que de mes amis de Béthanie je n’ai tant accepté. Cela a été plus d’une fois un motif d’accusation de l’injuste contre moi. Mais je trouvais ici, parmi vous, assez pour consoler l’Homme de toutes ses amertumes d’homme. A Nazareth, c’était le Dieu qui se consolait auprès de l’unique Délice de Dieu. Ici, c’était l’Homme. Et, avant d’aller à la mort, je te remercie, mon ami fidèle, affectueux, gentil, empressé, réservé, savant, discret et généreux. Je te remercie de tout. Mon Père, plus tard, t’en récompensera…

– J’ai déjà tout reçu avec ton amour et avec la rédemption de Marie.

– Oh ! non. Tu dois encore recevoir beaucoup.

587.9

Ecoute : ne te désespère pas ainsi. Donne-moi ton intelligence, pour que je puisse te dire ce que je te demande encore. Tu resteras ici à attendre…

– Non, pas cela. Pourquoi Marie et Marthe, et pas moi ?

– Parce que je ne veux pas que tu sois corrompu comme tous les hommes vont l’être. Jérusalem, dans les jours qui viennent, sera viciée comme l’air autour d’une charogne en décomposition, qui éclate à l’improviste par quelque imprudent coup de talon d’un passant. Elle sera infectée et répandra l’infection. Ses miasmes rendront fous même les moins cruels, et jusqu’à mes disciples. Ils s’enfuiront. Et où iront-ils, dans leur désarroi ? Chez Lazare. Que de fois, en ces trois années, ils sont venus ici chercher du pain, un lit, une protection, un abri, et le Maître !… Désormais, ils vont revenir. Tels des brebis dispersées par le loup qui s’est emparé du berger, ils courront à un bercail. Rassemble-les. Rends-leur courage. Dis-leur que je leur pardonne. Je te confie mon pardon pour eux. Ils n’auront pas de paix à cause de leur fuite. Conseille-leur de ne pas tomber dans un plus grand péché en désespérant de mon pardon.

– Tous fuiront ?

– Tous, sauf Jean.

– Maître, tu ne me demanderas pas d’accueillir Judas ? Fais-moi mourir sous la torture, mais cela, ne me le demande pas. A plusieurs reprises, ma main a frémi sur mon épée dans l’impatience de tuer l’opprobre de la famille, et je ne l’ai pas fait parce que je ne suis pas un violent. Ce fut seulement une tentation. Mais je t’assure que, si je revois Judas, je l’égorge comme un bouc émissaire.

– Tu ne le verras jamais plus. Je te le promets.

– Il va s’enfuir ? Peu importe. J’ai dit : “ Si je le vois. ” Maintenant, je précise : “ Je le rejoindrai, fût-ce aux confins de la terre, et je le massacrerai ! ”

– Tu ne dois pas désirer cela.

– Je le ferai.

– Tu ne le feras pas, car là où il sera, tu ne pourras aller.

– Au sein du Sanhédrin ? Dans le Saint ? Là aussi, je le rejoindrai et je le tuerai.

– Il ne sera pas là.

– Chez Hérode ? Je serai tué, mais auparavant, je lui aurai donné la mort.

– Il sera chez Satan, or toi, tu ne seras jamais chez Satan. Mais abandonne immédiatement cette pensée homicide, sinon je te quitte.

– Oh !… mais… Oui, pour toi… Oh ! Maître ! Maître ! Maître !

– Oui, ton Maître… Tu accueilleras les disciples, tu les réconforteras. Tu les ramèneras à la paix. Je suis la Paix. Et même plus tard… Plus tard, tu les aideras encore. Béthanie sera toujours Béthanie tant que la Haine ne fouillera pas dans ce foyer d’amour, dans l’illusion d’en disperser les flammes. Elle les répandra au contraire sur le monde pour l’embraser.

587.10

Je te bénis, Lazare, pour tout ce que tu as fait et pour tout ce que tu feras…

– Ce n’est rien. Tu m’as tiré de la mort, et tu ne me permets pas de te défendre. Alors qu’ai-je fait ?

– Tu m’as donné tes maisons. Tu vois ? C’était écrit. Ma première habitation, c’était à Sion sur une terre qui t’appartient. La dernière, encore dans l’une d’elles. C’était mon destin d’être ton hôte. Mais de la mort, tu ne pourrais me défendre. Je t’ai demandé au commencement de cette conversation : “ Sais-tu qui je suis ? ” Je te réponds maintenant: “ Je suis le Rédempteur. ” Le Rédempteur doit obligatoirement consommer le sacrifice jusqu’à la dernière immolation. Du reste, sois-en bien sûr : celui qui montera sur la croix et qui sera exposé aux regards et au mépris du monde, ne sera pas un vivant mais un mort. Je suis déjà mort, tué plus cruellement par l’absence d’amour que par la torture qui s’annonce. Et encore une chose, mon ami : demain, à l’aube, je me rendrai à Jérusalem, et tu entendras dire que Sion a acclamé comme un triomphateur son Roi plein de douceur, qui y entrera monté sur un ânon. Que ce triomphe ne fasse pas illusion et ne t’incite pas à juger que la Sagesse qui te parle n’a pas été sage au cours de cette paisible soirée. Plus rapidement que l’astre qui strie le ciel et disparaît à travers des espaces inconnus, la faveur du peuple s’évanouira et, dans cinq soirs, à cette même heure, je commencerai à subir la torture sous un baiser trompeur qui ouvrira les bouches, occupées demain à clamer des hosannas, en un chœur d’atroces blasphèmes et de cris féroces de condamnation.

587.11

Oui, cité de Sion, peuple d’Israël, tu vas enfin avoir ton Agneau pascal ! Tu vas l’avoir dans ce prochain rite. Le voici. C’est la Victime préparée depuis des siècles. L’Amour l’a engendrée, en préparant comme couche nuptiale un sein où il n’y avait pas de tache. Et l’Amour la consume. C’est la Victime consciente. Elle ne ressemble pas à l’agneau ignorant qui, pendant que le boucher affile son couteau pour l’égorger, broute encore l’herbe du pré, ou heurte de son museau rosé le sein maternel. Moi, je suis l’Agneau qui dit en toute conscience adieu à sa vie, à sa Mère, à ses amis, et marche vers le sacrificateur en s’exclamant : “ Me voici ! ” Je suis la Nourriture de l’homme. Satan a fait naître une faim qui n’est jamais rassasiée, qui ne peut se rassasier. Il n’y a qu’un aliment qui puisse apaiser cette faim. Et cet aliment, le voici. Homme, voici ton Pain, voici ton Vin. Consomme ta Pâque, ô humanité ! Franchit ta mer, rouge des flammes sataniques. Teintée de mon sang, tu passeras, famille humaine, préservée du feu infernal. Tu peux passer. Les Cieux, pressés par mon désir, entrouvrent déjà les portes éternelles. Regardez, esprits des morts ! Regardez, hommes vivants ! Regardez, âmes qui prendrez un corps dans le temps futur ! Regardez, anges du Paradis ! Regardez, démons de l’Enfer ! Regarde, ô Père, regarde, ô Paraclet ! La Victime sourit, elle ne pleure plus…

587.12

Tout est dit. Adieu, mon ami. Toi aussi, je ne te verrai plus avant de mourir. Donnons-nous le baiser d’adieu. Et ne doute pas. On viendra te dire : “ C’était un fou ! C’était un démon, un menteur ! Il est mort, alors qu’il prétendait être la Vie. ” Tu leur répondras, à eux, mais aussi à toi-même : “ Il était et il est toujours la Vérité et la Vie. Il est le Vainqueur de la mort. Je le sais. Il ne peut être mort pour toujours. Je l’attends. L’Epoux reviendra avant que ne s’épuise l’huile de la lampe[4] que l’ami tient prête pour illuminer le monde, invité aux noces du Triomphateur. Et la lumière, cette fois, ne pourra jamais plus être éteinte. ” Crois-le fermement, Lazare. Obéis à mon désir. Tu entends ce rossignol chanter après s’être tu à cause de tes sanglots ? Fais comme lui. Qu’après avoir — inévitablement — pleuré sur la Victime, ton âme chante avec assurance l’hymne de ta foi. Sois béni, par le Père, par le Fils, par le Saint-Esprit. »

587.13

Combien j’ai souffert ! Pendant toute la nuit du jeudi 1er mars à 23 h jusqu’au vendredi à 5 h du matin du vendredi, j’ai vu Jésus vivre une angoisse à peine moindre que celle de Gethsémani, en particulier quand il parle de sa Mère, du traître, et quand il révèle son horreur de la mort. J’ai obéi au commandement de Jésus d’écrire sur un carnet à part, pour en faire une Passion plus détaillée[5]. Vous avez vu mon visage ce matin… faible image de la souffrance que j’ai endurée… je n’en dis pas davantage, car il y a des pudeurs insurmontables.

587.1

Jesus is at Bethany. It is evening. A peaceful April evening. From the wide windows of the dining room one can see Lazarus’ garden all in bloom, and beyond it, the orchard that looks like a cloud of light petals. The scent of fresh vegetation, the sweet-sour smell of fruit-tree blossoms, of roses and other flowers, carried into the house by the light evening breeze that makes the door curtains flutter and the lights of the central chandelier flicker, mingles with a strong scent of tuberoses, lilies of the valley and jasmines, mixed in a rare essence, left over from the balm with which Mary of Magdala scented her Jesus, Whose hair still looks dark after the unction. Simon, Peter, Matthew and Benjamin are still in the room. The others are absent and have probably gone out on errands.

Jesus has left the table and is looking at a roll of parchment that Lazarus has shown Him. Mary of Magdala is going round the room… she looks like a butterfly attracted by light. She can do nothing but move around her Jesus. Martha is watching the servants who are removing the wonderful precious dishes lying on the table.

Jesus lays the roll on a tall sideboard of polished black wood inlaid with ivory, and says: «Lazarus, come outside. I must speak to you.»

«At once, Lord»,and Lazarus gets up from his chair near the window and follows Jesus into the garden, where the last light of the day is mixing with the first very clear moonlight.

587.2

Jesus walks beyond the garden, where the sepulchre in which Lazarus was buried is and which now displays a large frame of roses, all in bloom, at its empty mouth. Above it, on the slightly inclined rock, is carved: «Lazarus, come out!»

Jesus stops there. The house can no longer be seen, concealed as it is by trees and hedges. There is dead silence and absolute solitude.

«Lazarus, my friend» asks Jesus standing facing his friend and looking at him with a faint smile on his face, which is very thin and paler than usual. «Lazarus, my friend, do you know who I am?»

«You? You are Jesus of Nazareth, my gentle Jesus, my holy Jesus, my powerful Jesus!»

«That with regards to you. But with regards to the world, who am I?»

«You are the Messiah of Israel.»

«And then?»

«You are the Promised One, the Expected One… But why are You asking me that? Do You doubt my faith?»

«No, Lazarus. But I want to confide a truth to you. Nobody, except my Mother and one of my apostles, is aware of it. My Mother, because She knows everything. An apostle, because he participates in this matter. During these three years I told the others, who are with Me, many times. But their love acted as nepenthes and thwarted the truth I had announced. They could not understand… And it is a good thing that they did not understand, otherwise, to prevent a crime, they would have committed another one. A useless one, because what is to happen would take place just the same, notwithstanding any killing. But I want to tell you.»

«Do You doubt that I do not love You as much as they do? Of what crime are You speaking? What crime is to take place? In the name of God, speak!» Lazarus is excited.

«Yes, I will speak. I do not doubt your love. So much so that I entrust and confide My will to you…»

«Oh! my Jesus! Who is about to die does that! I did it when I realised that You were not coming and that I had to die.»

«And I must die.»

«No!» Lazarus utters another deep groan.

«Do not shout. Let no one hear us. I must speak to you alone.

587.3

Lazarus, My friend, do you know what is happening this very moment that you are with Me, in the loyal friendship you granted Me from the first moment, and was never upset for any reason? A man, with other men, is negotiating the price of the Lamb. Do you know the name of that Lamb? Its name is Jesus of Nazareth.»

«No! There are enemies, that is true. But no one can sell You! Who? Who is it?»

«One of my apostles. It could but be one of those whom I have disappointed more bitterly and who, tired of waiting, wants to get rid of He Who by now is nothing but a personal danger. In his way of thinking, he feels that he can gain a good reputation again with the great ones of the world. He will instead be despised both by all good people and by all criminals. He has become tired of Me, of awaiting what he has tried to achieve by every means: human grandeur, which he pursued first in the Temple, then he believed he would attain with the King of Israel, and he is now seeking once again in the Temple and by approaching the Romans… He hopes… But Rome, if she knows how to reward her loyal servants,… knows also how to crush informers with contempt. He is tired of Me, of waiting, of the burden of being good. For those who are wicked, to be, to have to feign to be good, is an overwhelming burden. It can be borne for some time… then… it can no longer be endured… and one gets rid of it to become free. Free? That is what the wicked ones think. That is what he thinks. But it is not freedom. To belong to God is freedom. To be against God is to be in prison with fetters and chains, with loads and lashes, as no galley-slave, as no slave working at constructions ever suffered under the whip of the torturer.»

«Who is it? Tell me. Who is it?»

«It is of no use.»

«Yes, it is… Ah!… It can be but he: the man who has always been a stain in Your group, the man who also a short time ago offended my sister. It is Judas of Kerioth!»

«No. It is Satan. God took flesh in Me: Jesus. Satan has taken flesh in him: Judas of Kerioth. One day… a very remote day… here, in this garden of yours, I comforted the tears and I excused a spirit that had fallen very low. I said that possession is the contagion of Satan who inoculates the human being with his juices and perverts its nature. I said that it is the marriage of a spirit with Satan and animality. But possession is still a trifle as compared with incarnation. I shall be possessed by My saints and they will be possessed by Me. But only in Jesus Christ is God as He is in Heaven, because I am the God Who became Flesh. One only is the divine Incarnation. Likewise Satan, Lucifer, will be in one only, as he is in his kingdom, because Satan is incarnate only in the killer of the Son of God. While I am speaking to you here, he is before the Sanhedrin and is negotiating and is pledging himself to have Me killed. But it is not he, it is Satan.

587.4

Listen now, Lazarus, My loyal friend. I am going to ask you for some favours. You have never denied Me anything. Your love has been so great that, without going beyond respect, it has always been active beside Me, with countless aids, with so much prevident assistance and wise advice that I have always accepted, because I could see in your heart a true desire for My welfare.»

«Oh! my Lord! But it was my joy to devote myself to You! What shall I do now, if I do not have to devote myself to my Master and Lord? You have allowed me to do too little, far too little! My debt to You, Who have restored Mary to my love and honour, and me to life, is such that… Oh! why did You call me back from death to make me live this hour? By now I had overcome all the horror of death and all the anguish of the spirit, frightened by Satan with temptation at the moment of presenting itself to the Eternal Judge, and there was darkness!… What is the matter with You, Jesus? Why are You trembling and growing wanner than You are usually? Your face is paler than this white rose which is languishing in the moonlight. Oh! Master! Your blood and life seem to be forsaking You…»

«I, in fact, look like a man who is dying with his veins cut. The whole of Jerusalem, and I mean “all My enemies among the mighty ones in Israel” have laid their greedy mouths on Me and are sucking My life and My blood. They want to silence the Voice that for three years, while loving them, has tortured them;… because every word of Mine, even if it were a word of love, was a shock inviting their souls to wake up, and they did not want to hear their souls, as they had tied them with their treble sensuality. And not only the great ones… But the whole of Jerusalem is about to rage at the Innocent and ask for His death… and with Jerusalem also Judaea… and with Judaea also Perea, Idumaea, the Decapolis, Galilee, Syrophaenicia… the whole of Israel gathered in Zion for the “Passing” of the Christ from life to death…

587.5

Lazarus, since you died and rose again, tell Me: what is dying? What did you feel? What do you remember?»

«Dying?… I do not remember exactly what it was. My bitter suffering was followed by a great languor… I did not seem to suffer any more and I was only very sleepy… Light and noises were becoming dimmer and dimmer and fainter and fainter and more and more remote… My sisters and Maximinus say that I was showing signs of sharp suffering… But I do not remember…»

«Of course. The pity of the Father numbs the intellectual senses of dying people, so that only their flesh suffers, as it is to be purified by the pre-purgatory that is agony. But I… And what do you remember of death?»

«Nothing, Master. It is a dark space in my spirit. An empty area. There is an interruption in the course of my life and I do not know how to fill it. I remember nothing. If I looked at the bottom of that black hole that kept me for four days, although it were night and I were a shadow in it, if I could not see, I would feel the humid chill rise from its bowels and blow on my face. It is, after all, a sensation. But if I think of those four days, I have nothing. Nothing. That is the word.»

«Of course. Those who come back cannot tell… The mystery is revealed every time to him who goes in. But I, Lazarus, I know what I shall suffer. I know that I shall suffer in full consciousness. There will be no soothing drink or languor to make My agony less dreadful. I shall feel that I am dying. I already feel it… I am already dying, Lazarus.

Like one suffering from an incurable disease, I have continued to die during these thirty-three years. And death has quickened its pace more and more as time brought Me closer to this hour. At first it was only the death of knowing that I was born to be the Redeemer. Later it was the death of him who sees himself opposed, accused, derided, persecuted, hindered… How tiring! Then… the death of having beside Me, closer and closer, till he was grasping Me as a giant octopus grasps a shipwrecked person, him who is My Traitor. How nauseating! And now I am dying in the torture of having to say “goodbye” to My dearest friends and to My Mother…»

587.6

«Oh! Master! You are weeping?! I know that You wept also in front of my sepulchre, because You loved me. But now… You are weeping again. You are frozen. Your hands are already as cold as those of a corpse. You are suffering… You are suffering too much!…»

«I am the Man, Lazarus. I am not only the God. I have the sensitivity and affections of man. And My soul is distressed thinking of My Mother… And yet, I tell you, My torture of enduring to have My Traitor close to Me has become so monstrous, as well as having to bear the satanic hatred of a whole world, and the deafness of those who, if they do not hate, cannot love actively either, because to love actively is to succeed in being what the loved person wants and teaches, whereas here!… Yes, many love Me. But they have remained “what they were”. They did not assume another ego for My sake. Do you know who was able, among My most intimate ones, to change nature in order to become of Christ, as Christ wants? One only: your sister Mary. She started from complete perverted animality to arrive at an angelical spirituality. And she achieved that only through the power of love.»

«You redeemed her.»

«I redeemed them all with my word. But she alone changed completely through active love. But I was saying: and my suffering all these things is so monstrous, that I long for nothing but to see everything accomplished. My strength is failing Me… The cross will not be so heavy as this torture of the spirit and of feelings…»

«The cross?! No! Oh! no! It is too atrocious! It is too disgraceful! No!» Lazarus, who for some time has been holding Jesus’ cold hands in his own, standing in front of his Master, releases them and collapses on the nearby stone seat and he covers his face with his hands weeping desolately.

587.7

Jesus approaches him, lays a hand on the shoulders shaken by sobs, and says: «What? Am I, Who am about to die, to comfort you, who are alive? My friend, I am in need of strength and help. And I am asking them of you. I have but you who can give Me them.

It is better if the others do not know. Because if they knew… Blood would be shed. And I do not want lambs to become wolves, not even for the sake of the Innocent. My Mother… oh! how heart-rending it is to speak of Her!… Mother is already so distressed! She also is dying exhausted… She also has been dying for thirty-three years, and She is now one big sore, like the victim of an atrocious torture. I swear to you that there has been a struggle between My mind and My heart, between love and reason, to decide whether it was just to send Her away, to send Her back to Her house, where She always dreams of the Love that made Her Mother, where She enjoys the savour of Love’s kiss of fire, She starts in the ecstasy of that remembrance, and with the eyes of Her soul She always sees the air breathe gently, stirred by an angelical flash. The news of My Death will reach Galilee almost at the moment in which I will be able to say to Her: “Mother, I am the Conqueror!” But I cannot, no, I cannot do that. Poor Jesus, laden with the sins of the world, needs consolation. And Mother will give Me it. And the even poorer world needs two Victims. Because man sinned with woman; and the Woman must redeem, as the Man redeems. But until the hour is struck, I will smile at My Mother reassuringly…

She trembles… I know. She perceives that the Torture is approaching. I know. And She repels it through natural disgust and holy love, as I repel Death because I am a “living being” who must die. But it would be dreadful if She knew that in five days’ time… She would die before that hour, and I want Her to be alive to get strength from Her lips, as I received life from Her womb. And God wants Her to be on my Calvary to mix the water of Her virginal tears with the wine of My divine Blood and celebrate the first Mass. Do you know what Mass will be? You do not know. You cannot know. It will be my death applied forever to the living or suffering mankind. Do not weep, Lazarus. She is strong. She does not weep. She has wept throughout Her life of a Mother. She no longer weeps now. She has crucified Her smile on Her face… Have you noticed what Her face has become like these last days? She crucified Her smile on Her face to comfort Me. I ask you to imitate my Mother.

587.8

I could no longer keep my secret all to Myself. I looked around seeking a sincere reliable friend. I met your loyal eyes. I said: “I will confide it to Lazarus.” When you had a heavy burden in your heart, I respected your secret and I defended it even against the natural curiosity of hearts. I ask you to have the same respect for mine. Later… after my death, you will make it known. You will mention this conversation. That people may know that Jesus went to His death fully aware of the situation, and to his known tortures He added also this one, that He knew everything, both with regard to people and to his destiny. That it may be known that while He could still have saved Himself, He did not want to, because His infinite love for men desired nothing but to consume the sacrifice for them.»

«Oh! save Yourself, Master! Save Yourself! I can let You escape. This very night. Once You did fly to Egypt! Run away now as well. Come, let us go. Let us take Mary and my sisters with us, and let us go. None of my riches attract me, as You know. You are my wealth and Mary’s and Martha’s. Let us go.»

«Lazarus, I ran away then, because it was not my hour. Now it is the hour. And I am staying.»

«In that case I am coming with You. I will not leave You.»

«No. You will stay here. Since he who is within the distance of a Sabbath walk is allowed to consume the lamb in his house, you will consume your lamb here, as you have always done. But let your sisters come… For My Mother… Oh! what the roses of divine love concealed from You, o Martyr! The abyss! The abyss! And from it are now rising the flames of Hatred and rushing to gnaw at Your heart! The sisters, yes. They are strong and active… and Mother will be agonizing, bent over My dead body. John is not sufficient. John is love. But he is still immature. Oh! He will mature and become a man in the torture of the oncoming days. But the Woman needs women for Her dreadful wounds. Will you let Me have them?»

«I will give You everything, I have always given You everything with joy, and I only regretted that You wanted so little!…»

«As you can see, I have not accepted from anybody else what I consented to have from My friends in Bethany. That is one of the charges made against Me by the unjust man more than once. But here, among you, I found enough to comfort the Man of all His bitterness as a man. At Nazareth it was the God Who found solace near the Unique Delight of God. Here it was the Man. And before going up to My death I thank you, My faithful, loving, kind, thoughtful, reserved, learned, discreet, generous friend. I thank you for everything. And My Father, later, will reward you…»

«I have already had everything through Your love and Mary’s redemption.»

«Oh! no. You are to receive much more. And you will have it.

587.9

Listen. Do not be so dejected. Pay attention to Me that I may tell you what I want to ask you to do. You will remain here waiting…»

«No, not that. Why Mary and Martha, and not I?»

«Because I do not want you to be corrupted as all men will be corrupted. Jesusalem in the next days will be as corrupt as the air around a putrid carrion that has suddenly been burst by the foot of a heedless passer-by. Infected and infecting. Even people who are not so cruel, even My disciples will be driven mad by its miasmata. They will run away. And where will they go in their bewilderment? They will come to Lazarus. How many times, in these three years, have they come looking for bread, a bed, protection, shelter, and for their Master!… They will come back now. Like sheep dispersed by a wolf that has abducted the shepherd, they will rush to a fold. Gather them. Encourage them. Tell them that I forgive them. I entrust you with the task of forgiving them on My behalf. They will not be able to set their minds at rest for running away. Tell them not to fall into a greater sin by despairing of My forgiveness.»

«Will they all run away?»

«All of them except John.»

«Master. You will not ask me to receive Judas? Let me die tortured, but do not ask me that. Several times my hand, anxious as it was to kill the shame of the family, trembled touching my sword. But I never did it, because I am not a violent man. I was only tempted to do it. But I swear to You that if I see Judas again, I will cut his throat, like a scapegoat.»

«You will never see him again. I swear it to you.»

«Will he run away? It does not matter. I said: “If I see him again”. Now I say: “I will get him, even if he were at the world’s end, and I will kill him”.»

«You must not wish that.»

«I will do it.»

«You will not do it, because you will not be able to go where he is.»

«In the bosom of the Sanhedrin? In the Holy of Holies? I will get him even there and I will kill him.»

«He will not be there.»

«At Herod’s? They will kill me, but I will kill him first.»

«He will be with Satan. And you will never be with Satan. Give up that murderous intent at once, otherwise I will leave you.»

«Oh! oh!… But… Yes, for You… Oh! Master! Master! Master!»

«Yes. Your Master… You will receive the disciples, you will comfort them. You will lead them once again towards peace. I am the Peace. And also later… Later you will help them. Bethany will always be Bethany, until Hatred rummages in this home of love, thinking that it will put out its flames, whereas it will spread them throughout the world to set it all ablaze.

587.10

I bless you, Lazarus, for everything you have done and for what you will do…»

«Nothing, nothing. You brought me back from death, and You do not allow me to defend You. So what have I done?»

«You gave Me your houses. See? It was our destiny. The first flat in Zion in a ground belonging to you. And the last one also in one of them. It was My destiny that I should be your Guest. But you could not defend me from death. At the beginning of this conversation I asked you: “Do you know who I am?” Now I reply: “I am the Redeemer.” The Redeemer must consume the sacrifice to the final immolation. In any case, believe Me. He Who will be raised on the cross and will be exposed to the eyes and the mockery of the world will not be alive, but dead. I am already dead, killed before and more by lack of love than by torture. And one more thing, My friend.

Tomorrow at dawn I am going to Jerusalem. And you will hear people say that Zion applauded her meek King as a triumpher, as He entered the town riding a little donkey.

Do not let that triumph deceive you and do not jet it make you think that the Wisdom now speaking to you was not wise this peaceful evening. Popular favour will vanish faster than a star that furrows the sky and disappears into unknown spaces, and in five days’ time, in the evening at this time, My torture will begin with a deceitful kiss that will open the mouths, singing hosannas tomorrow, into a chorus of dreadful curses and cruel condemning voices.

587.11

Yes, at last, o town of Zion, o people of Israel, you will have the Passover Lamb! You will have it in the rite now close at hand. Here it is. It is the Victim that has been prepared for ages. Love procreated it, having prepared an immaculate womb as its nuptial room. And Love consumes it. Here it is. It is the conscious Victim. Not like the lamb that being unaware goes on grazing in the meadow or with its pink snout presses its mother’s round dug, while the butcher is sharpening a knife to slaughter it. But I am the Lamb that consciously says: “Goodbye!” to life, to his Mother, to his friends, and goes to the sacrificer and says: “Here I am!” I am the Food of man. Satan has made men starve and their hunger has never been satisfied. And it cannot be satisfied. One food only can sate it, because it removes their hunger. And here is that food. Here is your bread, man. Here is your wine. Consume your Passover, o Mankind! Cross your sea, reddened by satanic flames. Tinged with My Blood you will cross it, o race of man, preserved from the fire of hell. You can cross it. Heaven, pressed by My desire, is already half-opening the eternal gates. Look, o souls of the dead! Look, of living men! Look, o souls, that will be incorporated in future bodies! Look, o angels of Paradise! Look, o demons of Hell! Look, o Father; look, o Paraclete! The Victim smiles. It no longer weeps…

587.12

Everything has been said. Goodbye, my friend. I shall not see you either, before I die. Let us kiss each other goodbye. And do not be doubtful. People will say to you: “He was a madman! He was a demon! A liar! He died while He was saying that He was the Life.” Reply to them and particularly to yourself: “He was and is the Truth and the Life. He is the Vanquisher of death. I know. And He cannot be the eternal Dead One. I am waiting for Him. And all the oil in the lamp, that his friend is keeping ready to make light for the world, invited to the wedding of the Triumpher, will not be burnt, before He, the Bridegroom, comes back. And this time it will never be possible to put the light out.” Believe that, Lazarus. Obey my wish. Can you hear how this nightingale is singing after being silent because of the outburst of your tears? Do the same. After the inevitable tears shed on the Victim, let your soul sing the unerring song of your faith.

May you be blessed by the Father, by the Son, by the Holy Spirit.»

587.13

How much I suffered! The whole night, from 11 o’clock p.m. on Thursday 1st March to 5 o’clock Friday morning. I saw Jesus in a state of anguish only a little inferior to that at Gethsemane, particularly when He speaks of His Mother, of the traitor, and shows His repugnance to death. I obeyed Jesus’ order to write this on a separate notebook to have a more detailed Passion. You saw my face this morning… a weak image of what I suffered… and I am not saying anything else, because there are insurmountable aspects of modesty.


Notes

  1. Satan a pris chair, en d’autres termes il s’est incarné doit se comprendre, ici et en 600.32, non pas dans un sens physiologique (comme dans l’habituelle expression : Dieu le Verbe s’est incarné dans le sein de la Vierge Marie), mais au sens figuré de devenir concret, se personnifier. En ce sens, il n’est pas faux d’affirmer que Dieu s’est incarné en Jésus et que Satan s’est incarné en Judas Iscariote. Effectivement, de même que Jésus déclarera en 600.26 : “ Qui me voit voit le Père ”, Marie dira en 611.13 de Judas : “ J’ai vu le Démon en lui. ” (De la même manière, on pourrait dire, comme Jésus l’affirme en 37.6, qu’un ange “ avait pris chair ” en saint Joseph). Luc 22, 3 et Jn 6, 70 ; 13, 27 soulignent que Judas ne faisait qu’un avec le Démon. De même, l’Œuvre de Maria Valorta le déclare et l’explique en 356.5, 420.6, 503.2, 537.3, 565.11, 589.9, 595.3, 600.32.
  2. J’ai dit, en 84.5.
  3. Je serai possédé par mes saints… car les saints, les justes, note Maria Valorta sur une copie dactylographiée, ont Dieu en eux, puisqu’ils ont la charité héroïque ; en même temps Dieu-Jésus les possède, puisqu’ils sont tout à lui.
  4. avant que ne s’épuise l’huile de la lampe, comme dans la parabole racontée en 206.2/3.
  5. une Passion plus détaillée. Effectivement, de nombreux épisodes de la Passion et de la Glorification ont été écrits deux fois. La première rédaction, plus concise mais à laquelle s’unit parfois un commentaire, est insérée, sans ce commentaire, dans le volume “ Les cahiers de 1944 ”, puisqu’elle date de cette année-là. La seconde rédaction, plus détaillée, fait partie de cette Œuvre-ci, accompagnée de l’éventuel commentaire de la première. Il peut donc arriver, dans l’œuvre de Maria Valorta, que la date d’une version d’un épisode (vision) soit postérieure à celle du commentaire (dictée), comme nous l’avons signalé dans une note en 477.11. Un cas particulier qui concerne une “ vision ” dont seule la seconde partie a été réécrite de manière plus ample, est signalé dans une note en 609.35. En 18.1, une note fait la liste de certaines expressions de Maria Valorta qui se réfèrent à des épisodes déjà écrits, mais placés plus loin : il arrive en effet que l’ordre de la rédaction ne corresponde pas à celui de la narration. Néanmoins, comme de nombreux épisodes de la Passion et de la Glorification ont été écrits deux fois et à un grand intervalle de temps, certaines de ces expressions pourraient faire référence à la première version, c’est-à-dire la plus concise, qui ne fait pas partie de l’Œuvre. Ainsi, nous signalons le passage 107.1 (du 13 février 1945) où l’écrivain reconnaît en Jeanne, femme de Kouza, la femme qui “ remêt la bourse à Longinus sur le Calvaire. ” De toute évidence, Maria Valorta fait référence, non à la vision du 26 mars 1945 qui se trouve dans le volume 10 (608.17), mais à la précédente, qui est rapportée dans le volume des “ Cahiers de 1944 ”. Nous en aurons un autre exemple en 629.1.