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Et voici une nouvelle matinée, sereine, radieuse même. Les rares nuages qui, la veille, se déplaçaient lentement sur le cobalt du ciel ont disparu. La lourde chaleur si accablante d’hier a cédé la place à une brise légère qui souffle sur les visages. Elle a quelque chose du parfum des fleurs, du foin, de l’air pur. Elle berce doucement les feuilles des oliviers. On dirait qu’elle veut faire admirer la couleur argentée des feuilles lancéolées. Elle répand sur les pas et sur la tête du Christ des petites fleurs candides, odorantes, qui tombent comme un baiser pour le rafraîchir — car chaque calice contient une gouttelette de rosée —, et puis meurent avant de voir l’horreur qui menace. Et les herbes des pentes s’inclinent pour remuer les clochettes, les corolles, les palmettes de milliers de fleurs.
Etoiles au cœur d’or, les grosses marguerites sauvages se dressent sur leurs tiges comme pour baiser la main qui sera transpercée ; de même, les pâquerettes et les camomilles baisent les pieds généreux qui ne s’arrêteront de marcher pour le bien des hommes que lorsqu’ils seront cloués pour un bienfait encore supérieur ; les églantines répandent leur parfum, et l’aubépine, qui n’a plus de fleurs, agite ses feuilles dentelées.
Elle semble dire : “ Non, non ” à ceux qui s’en serviront pour tourmenter le Rédempteur. Et “ non ” disent en écho les roseaux du Cédron. Eux aussi se refusent à frapper, leur volonté de petite plante ne veut pas faire de mal au Seigneur.
Peut-être les pierres sur les pentes se félicitent-elles d’être hors de la ville, sur l’oliveraie pour ne pas risquer de blesser le Martyr. Et ils pleurent aussi, les fins liserons rosés que Jésus aimait tellement, ainsi que les corymbes des acacias blancs comme des grappes de papillons groupés sur une tige. Peut-être pensent-ils : “ Nous ne le verrons plus. ” Les myosotis fins et purs laissent retomber leurs corolles quand ils touchent le vêtement pourpre que Jésus porte de nouveau. Il doit être beau de mourir quand c’est Jésus qui frappe. Toutes les fleurs, même un muguet perdu, tombé là peut-être incidemment et qui s’est épanoui entre les racines saillantes d’un olivier, est heureux d’être aperçu et cueilli par Thomas pour être offert au Seigneur…
Les milliers d’oiseaux dans les branches le saluent avec des chants de joie. Ah ! ils ne le blasphèment pas, ces oiseaux qu’il a toujours aimés ! Même un petit troupeau de brebis semble vouloir le saluer malgré leurs pleurs, privées qu’elles sont de leurs petits vendus pour le sacrifice pascal. C’est une lamentation de mères qui parcourt l’air. Tout en bêlant et en appelant leurs agneaux qui ne reviendront plus, elles se frottent contre Jésus en lui offrant leur doux regard.