Il sort, et court à travers les chemins. Fatalement, il rencontre à deux reprises Jésus à l’aller et au retour de chez Hérode.
Il abandonne le centre de la ville pour prendre au hasard les ruelles les plus misérables, et va de nouveau finir contre la maison du Cénacle. Elle est entièrement fermée, comme abandonnée. Il s’arrête, la regarde.
« La Mère de Jésus, murmure-t-il, sa Mère !… » Il reste indécis… « Moi aussi, j’ai une mère ! Et j’ai tué le fils d’une mère !… Pourtant… je veux entrer… revoir cette pièce. Là, il n’y a pas de sang… »
Il donne un coup à la porte, un autre… encore un…
La gardienne de la maison vient entrouvrir la porte, ne laissant qu’une simple fente… A la vue de cet homme bouleversé, méconnaissable, elle pousse un cri et essaie de refermer. Mais Judas, d’un coup d’épaule, l’ouvre toute grande et, renversant la femme terrorisée, passe outre.
Il court vers la petite porte qui donne sur le Cénacle, et entre. Un beau soleil passe par les fenêtres. Judas pousse un soupir de soulagement. Ici, tout est calme et silencieux. La vaisselle est encore comme on l’a laissée. On comprend que, pour le moment, personne ne s’en est occupé. On pourrait croire qu’on va passer à table.
Judas, justement, s’approche de la table. Il regarde s’il y a du vin dans les amphores : il y en a. Il boit avidement à l’amphore elle-même qu’il soulève à deux mains. Puis il se laisse tomber assis et appuie sa tête sur ses bras croisés sur la table. Il ne s’aperçoit pas qu’il est assis à la place de Jésus et qu’il a devant lui la coupe qui a servi pour l’Eucharistie. Il s’arrête un moment, jusqu’à ce que s’apaise l’essoufflement causé par sa longue course. Puis il lève la tête, voit la coupe, et reconnaît la place où il s’est assis.
Il se lève comme un possédé. Mais la coupe le fascine. Il reste au fond un peu de vin rouge et le soleil, en frappant le métal (qui paraît être de l’argent) fait briller ce liquide.
« Du sang ! Du sang ! Du sang même ici ! Son sang ! Son sang !…“ Faites ceci en mémoire de moi !… Prenez et buvez. Ceci est mon sang… Le sang de la nouvelle alliance qui sera versé pour vous… ” Ah ! Maudit que je suis ! Pour moi, il ne peut plus être versé pour la rémission de mon péché. Je ne demande pas pardon, parce qu’il ne peut me pardonner. Partons ! Partons ! Il n’y a plus de lieu où le Caïn de Dieu puisse connaître le repos. A mort ! A mort !… »