512.1
J’ignore où Jésus se trouve, mais c’est certainement dans les montagnes et à un endroit abandonné après avoir été détruit, soit par quelque cataclysme, soit par des opérations de guerre. Je suppose qu’il s’agit plutôt de ces dernières, car les décombres des maisons montrent même des traces de flammes, dans les voûtes protégées de l’eau et encore visibles dans l’entrelacement des ronces, lierres et autres plantes grimpantes ou parasites qui ont poussé un peu partout. Les larges feuilles peluchées d’une plante dont je ne connais pas le nom — mais que j’ai déjà vue en Italie — recouvrent entièrement une ruine qui ressemble à une petite montagne escarpée. Plus loin, un mur resté debout tout seul pour contempler les vestiges de la maison écroulée, est envahi par des câpriers et des pariétaires. Du parapet ajouré de ce qui était une terrasse, pendent les branches d’une clématite qui ondulent au vent comme une chevelure dénouée. Une autre maison dont l’intérieur est écroulé, mais dont les murs extérieurs sont encore debout, ressemble à un énorme vase qui, au lieu de fleurs, contient des arbres qui ont poussé spontanément là où se trouvaient primitivement les pièces. Une autre, restée en partie debout avec des marches , ressemble à un autel préparé pour quelque cérémonie et tout orné de verdure. En haut de cette ruine, un peuplier, grêle et droit comme une lame, paraît demander au ciel la raison d’un tel malheur. Et d’une maison à l’autre, d’un tas de décombres à l’autre, des arbres fruitiers obstinés et dégénérés, devenus sauvages, dominés par le reste de la végétation ou la dominant, nés de fruits tombés, tordus ou droits, rampants, sortis du trou d’un mur, d’un puits asséché, font penser à un bois enchanté. Des oiseaux et des pigeons, sortant des crevasses des ruines, se jettent avidement sur les alentours où autrefois il y avait certainement des champs cultivés et où maintenant se trouve tout un enchevêtrement de vesces dures, desséchées par le soleil, qui ouvrent leurs cosses pour laisser tomber leurs semences de zizanie et d’ivraie qui pousseront au printemps. Les pigeons chassent avec de féroces coups d’aile les oiseaux plus petits qui cherchent quelque grain de mil ou de chanvre sorti de je ne sais quelle semence lointaine, qui au cours des années s’est perpétuée dans les champs incultes par ensemencement spontané. Les oiseaux, spécialement les moineaux bagarreurs, qui se vengent en arrachant les maigres épis d’un mil misérable pour les emporter vers leurs nids, s’envolent péniblement, tout courbés sous le poids et l’embarras de la panicule.