On frappe. Le vieillard ouvre. Ce sont les apôtres. Pierre, entré le premier, voit Judas et s’en prend à lui :
« On peut savoir où tu es allé ?
– Ici, tout simplement ici. J’aurais été stupide de courir çà et là après des êtres disparus. Je suis venu ici, où j’étais certain que vous alliez revenir.
– Voilà une belle façon d’agir !
– Le Maître ne m’a fait aucun reproche. D’ailleurs, sache que je n’ai pas perdu mon temps. J’ai évangélisé tous les jours, j’ai même accompli des miracles, et tout cela est bon.
– Et qui t’y avait autorisé ? demande sévèrement Barthélemy.
– Personne. Ni toi, ni personne. Mais il suffit d’être des… de la… Bref : les gens s’étonnent, murmurent et rient de nous, apôtres qui ne faisons rien. Alors moi, qui le sais, j’ai agi pour tous. Et j’ai fait davantage encore. Je suis allé voir Elchias et je lui ai prouvé que l’on n’agit pas mal quand on est saint. Ils étaient nombreux. Je les ai convaincus. Vous verrez qu’ils ne nous dérangeront plus. Et maintenant, je suis content. »
Les apôtres se regardent. Ils observent Jésus. Son visage est impénétrable. Il semble voilé par une grande lassitude physique. Cela seulement se voit.
« Tu pouvais pourtant faire cela avec la permission du Maître, riposte Jacques, fils d’Alphée. Nous n’avons pas cessé de nous faire du souci à cause de toi.
– Très bien ! Maintenant, vous voilà délivrés de toute inquiétude. Lui, il ne m’aurait jamais donné la permission. Il nous… protège trop. C’est au point que les gens murmurent qu’il est jaloux de nous, qu’il craint que nous en fassions plus que lui, et même qu’il nous punit. Les gens ont une langue mordante. La vérité, au contraire, c’est que nous lui sommes plus chers que la pupille de ses yeux. N’est-ce pas, Maître ? Et il craint que nous courions des dangers ou que nous fassions… piètre figure. Et nous aussi, intérieurement, nous pensions être en quelque sorte punis et qu’il était jaloux…
– Mais pas du tout ! Moi, je n’aurais jamais imaginé une chose pareille ! » interrompt Thomas.
Les autres font chorus, sauf Jude qui plante ses yeux francs et très beaux dans les yeux — très beaux aussi, mais fuyants — de Judas :
« D’ailleurs, comment as-tu pu faire des miracles, toi ? Au nom de qui ?
– Comment ? Au nom de qui ? Mais tu ne te rappelles pas que c’est lui qui nous a donné ce pouvoir ? Nous l’a-t-il peut-être enlevé ? Pas que je sache. Et pour cette raison…
– Pour cette raison, moi je ne me permettrais jamais de faire quoi que ce soit sans son consentement et son ordre.
– Eh bien, moi, j’ai voulu le faire. Je craignais de ne plus savoir m’y prendre. Je l’ai fait. Je suis heureux ! »
Et il coupe court en sortant dans le jardin obscur.
Les apôtres se retournent pour regarder. Ils sont abasourdis devant tant d’audace. Mais personne n’a le cœur de dire quelque chose qui puisse affliger davantage leur Maître dont le visage trahit la souffrance.
Ils se débarrassent des sacs, que Jean, André et Thomas portent en haut. Et Barthélemy, en se penchant pour ramasser une branche sèche tombée d’un fagot, murmure à Pierre :
« Dieu veuille que ce ne soit pas le démon qui l’ait aidé ! »
Pierre fait un geste des mains comme pour dire : “ Miséricorde ! ”, mais ne souffle mot. Il va trouver Jésus, lui pose une main sur l’épaule en lui demandant :
« Tu es tellement fatigué ?
– Oui, Simon.