53.1
Je vois Jésus entrer dans l’enceinte du Temple avec Pierre, André, Jean et Jacques, Philippe et Barthélemy.
Il y a une très grande foule à l’intérieur et à l’extérieur, des pèlerins qui arrivent par bandes de tous les coins de la ville. Du haut de la colline sur laquelle le Temple est construit, on voit les rues de la ville, étroites et sinueuses, qui fourmillent de passants. On dirait qu’un ruban mouvant de mille couleurs s’est déroulé entre le blanc cru des maisons. Oui, la cité a l’aspect d’un jouet bizarre fait de rubans multicolores entre deux alignements de maisons blanches, et tous convergent vers le point où resplendissent les dômes de la Maison du Seigneur.
Mais à l’intérieur, c’est une vraie foire. Plus aucun recueillement dans le lieu saint. On court, on appelle, on achète des agneaux, on crie et on maudit à cause du prix exagéré, on pousse les pauvres bêtes bêlantes dans des parcs – ce sont de rudimentaires enclos délimités par des cordes et des pieux, aux entrées desquelles se tient le marchand ou éventuellement le propriétaire qui attend des acheteurs –. Coups de bâtons, bêlements, jurons, appels, insultes contre les serviteurs peu pressés de rassembler et d’enclore les animaux, ou contre les acheteurs qui lésinent sur le prix ou qui s’éloignent, insultes plus fortes contre les gens prévoyants qui ont amené l’agneau de chez eux.
Autour des comptoirs de change, autre vacarme. Je ne sais si c’est toujours ainsi ou seulement à l’occasion de la Pâque ; on se rend compte que le Temple fonctionnait comme… la Bourse ou le marché noir. La valeur des monnaies n’était pas fixée. Il y avait le cours légal qui était certainement déterminé, mais les changeurs en imposaient un autre, en s’appropriant un pourcentage arbitraire pour le change. Et je vous assure qu’ils s’y entendaient à étrangler les clients !… Plus un client était pauvre, plus il venait de loin, plus on le volait : les vieux plus que les jeunes, ceux qui arrivaient d’au-delà de la Palestine plus que les vieux.
De pauvres petits vieux regardaient et regardaient encore leur pécule mis de côté, avec combien de peine, tout le long de l’année, le sortaient et le rentraient cent fois en tournant autour des changeurs et finissaient enfin par revenir au premier qui se vengeait de leur éloignement temporaire en augmentant l’agio du change… Les grosses pièces quittaient alors avec force soupirs les mains de leur propriétaire pour passer dans les griffes de l’usurier en échange de pièces de monnaie plus légères. Et au moment du choix, nouvelle tragédie de comptes et de soupirs devant les marchands d’agneaux qui refilaient aux petits vieux, à moitié aveugles, les agneaux les plus chétifs.