547.1
Dans le petit jardin de la maison de Salomon, c’est tout juste si on peut encore parler de lumière. Les arbres, le pourtour des maisons au-delà de la route, et surtout le bout de la route elle-même, là où le petit chemin disparaît dans les bois qui bordent le fleuve, perdent de plus en plus la netteté de leurs contours pour se fondre en une seule ligne d’ombres plus ou moins claires, plus ou moins voilées, dans l’obscurité qui s’épaissit de plus en plus. Il n’y a plus de couleurs, il ne reste que des sons : voix d’enfants dans les maisons, appels des mères, cris des hommes pour faire rentrer les brebis ou l’âne, quelques derniers grincements de poulies sur les puits, bruissement des feuilles dans le vent du soir, bruits secs comme de petites branches qui se heurtent, des broussins répandus dans les bosquets. Dans le ciel, on assiste à la première palpitation des étoiles, encore indécise parce qu’il reste un semblant de lumière et que les premiers rayons phosphorescents de la lune commencent à se répandre dans le firmament.
« Vous terminerez vos discussions demain. Pour l’instant, cela suffit. Il fait nuit. Et que chacun rentre à la maison. Paix à vous. Paix à vous. Oui… Oui… Demain. Hein ? Que dis-tu ? Tu as un scrupule ? La nuit porte conseil, et s’il ne passe pas, viens me voir. Il ne manquerait plus que cela ! Même des scrupules pour le fatiguer davantage ! Et ceux qui ne rêvent que de profit ! Et les belles-mères qui veulent rendre sages les épouses, et les épouses qui veulent rendre les belles-mères moins acariâtres… d’ailleurs, les unes et des autres mériteraient d’avoir la langue coupée. Et à part cela ? Toi ? Que dis-tu ? Oh ! oui, ce pauvre petit ! Jean, conduis-le au Maître. Sa mère est malade et elle l’envoie recommander à Jésus de prier pour elle. Pauvre gamin ! Il est resté en arrière à cause de sa petite taille, et il vient de loin. Comment va-t-il faire pour rentrer chez lui ? Hé ! vous tous ! Au lieu de rester ici pour profiter de la présence de Jésus, ne pourriez-vous pas mettre en pratique ce qu’il vous a dit : de vous secourir mutuellement, les plus forts aidant les plus faibles ? Allons ! Qui accompagne cet enfant chez lui ? Il pourrait — à Dieu ne plaise — trouver sa mère morte… Qu’au moins il la revoie. Vous avez des ânes… Il fait nuit ? Et quoi de plus beau que la nuit ? Moi, j’ai travaillé pendant des lustres à la lueur des étoiles, et je suis sain et robuste. Tu le conduis à la maison ? Dieu te bénisse, Ruben. Voici l’enfant. Le Maître t’a-t-il consolé ? Oui. Alors va et sois heureux. Mais il faudra lui donner à manger. Il n’a peut-être rien mangé depuis ce matin.
– Le Maître lui a donné du lait chaud, du pain et des fruits. Il les a dans sa tunique, dit Jean.
– Alors, pars avec cet homme. Il va te conduire à la maison avec l’âne. »
Finalement, tout le monde est parti, et Pierre peut se reposer avec Jacques, Jude, l’autre Jacques et Thomas, qui l’ont aidé à renvoyer chez eux les plus obstinés.
« Fermons la porte. Pourvu qu’il n’y ait pas quelqu’un qui regrette et revienne sur ses pas, comme ces deux-là. Ouf ! Le lendemain du sabbat est bien fatigant ! » s’exclame encore Pierre en entrant dans la cuisine et en fermant la porte. « Ah ! maintenant, nous allons être tranquilles ! »