616.1
Les femmes reprennent leurs travaux de préparation des onguents qui, dans la nuit, à la fraîcheur de la cour, se sont solidifiés en une lourde pâte.
Jean et Pierre pensent à ranger le Cénacle mais, s’ils lavent la vaisselle, ils remettent tout dans l’état où c’était à la fin de la Cène.
« C’est Jésus qui l’a dit, rappelle Jean.
– Il avait dit aussi : “ Ne dormez pas ! ” Il avait dit : “ Ne sois pas orgueilleux, Pierre. Ne sais-tu pas que l’heure de l’épreuve va venir ? ” Et… et il a dit : “ Tu me renieras… ” »
Pierre pleure de nouveau en gémissant avec un sombre chagrin :
« Et moi, je l’ai renié !
– Assez, Pierre ! Te voilà revenu. Assez de ce tourment !
– Non, ce ne sera jamais assez, jamais. Même si je devenais vieux comme les premiers patriarches, même si je vivais les sept ou neuf cents années d’Adam et de ses premiers descendants, je ne cesserais jamais d’éprouver ce tourment.
– Tu n’espères pas en sa miséricorde ?
– Si. Si je n’y croyais pas, je serais comme Judas : un désespéré. Mais même si Jésus me pardonne du sein du Père où il est retourné, moi, je ne me pardonne pas. Moi ! Moi ! Moi qui ai dit : “ Je ne le connais pas ” parce qu’à ce moment-là il était dangereux de le connaître, parce que j’ai eu honte d’être son disciple, parce que j’ai eu peur de la torture… Lui allait à la mort, et moi… moi, j’ai pensé à sauver ma vie. Et pour la sauver je l’ai repoussé, comme une femme qui a péché repousse, après l’avoir enfanté, le fruit de son sein, qu’il est dangereux d’avoir près d’elle, avant le retour de son mari ignorant de tout. Je suis pire qu’une femme adultère, pire que… »