Jésus arrive sur le seuil de la cuisine. Marie, femme d’Alphée, se tient près du foyer, elle fait la cuisine, en larmes. Dans un coin, Simon et Joseph sont assis avec d’autres hommes, en cercle. Parmi ces derniers se trouve Alphée, fils de Sarah. Ils sont là, muets comme autant de statues. Est-ce là une coutume ? Je ne sais.
« Paix à cette maison et paix à l’âme qui l’a quittée. »
La veuve pousse un cri et, instinctivement, elle repousse Jésus pour s’interposer entre lui et les autres. Simon et Joseph se lèvent, sombres et interdits. Mais Jésus ne montre pas qu’il s’aperçoit de leur attitude hostile. Il s’avance vers les deux hommes (Simon a déjà cinquante ans et peut-être plus, à en juger sur sa mine). Il leur tend les mains, dans un geste d’affectueuse invitation. Les deux hommes sont plus que jamais interdits, mais ils n’osent se comporter comme des malotrus. Alphée, fils de Sarah, tremble et souffre visiblement. Les autres hommes ont une attitude fermée, attendant ce qui va se passer.
« Simon, toi qui es désormais le chef de famille, pourquoi ne m’accueilles-tu pas ? Je viens pleurer avec toi. J’aurais tellement voulu être avec vous, à l’heure de la souffrance ! Ce n’est pas ma faute si j’étais au loin. Tu es juste, Simon, et tu dois le dire. »
L’homme reste sur la réserve.
« Et toi, Joseph, dont le nom m’est si cher, pourquoi n’accueilles-tu pas mon baiser ? Vous ne me permettez pas de pleurer avec vous ? La mort est un lien qui resserre les vraies affections. Or nous nous aimions. Pourquoi maintenant doit-il y avoir désunion ?
– C’est à cause de toi que notre père est mort torturé » répond durement Joseph. Et Simon :
« Tu aurais dû rester. Tu savais qu’il était mourant. Pourquoi n’es-tu pas resté ? Il désirait ta présence…
– Je n’aurais pas pu faire davantage pour lui que ce que j’avais déjà fait. Vous le savez bien… »
Simon, plus juste, reconnaît :
« C’est vrai. Je sais que tu es venu et qu’il t’a chassé. Mais c’était un homme malade et affligé.
– Je le sais et je l’ai dit à ta mère et à tes frères : “ Je n’éprouve aucune rancune, car je comprends son cœur. ” Mais au-dessus de tout, il y a Dieu. Et Dieu voulait cette souffrance pour tous. Pour moi, croyez-le, j’en ai souffert comme si on m’avait arraché un lambeau de chair vivante ; pour votre père, à qui cette peine a fait comprendre une grande vérité qui lui était restée cachée pendant toute sa vie ; pour vous qui, par cette souffrance, avez la possibilité de faire un sacrifice plus salutaire que l’immolation d’un jeune taureau ; enfin pour Jacques et Jude qui sont aujourd’hui des hommes aussi formés que toi, mon Simon, car ils l’ont bien payé par tant de souffrance. Elle les a moulus comme la pierre meulière. Elle les a rendus adultes et ils sont arrivés à l’âge parfait aux yeux de Dieu.
– Quelle vérité a vue notre père ? Une seule : que son sang, à sa dernière heure, lui a été hostile, réplique durement Joseph.
– Non, au-dessus du sang, il y a l’esprit. Il a compris la douleur d’Abraham, ce qui lui a permis d’obtenir l’aide d’Abraham, répond Jésus.
– Si cela pouvait être vrai ! Mais qui nous l’assure ?
– Moi, Simon. Et plus encore la mort de ton père. Ne m’a-t-il pas cherché ? C’est toi qui l’as dit.
– Je l’ai dit. C’est vrai. Il voulait Jésus, et il disait : “ Qu’au moins mon âme ne meure pas. Lui, il peut le faire. Je l’ai repoussé et il ne viendra plus. Ah ! Mourir sans Jésus ! Quelle horreur ! Pourquoi l’ai-je chassé ? ” Oui, il disait cela et il ajoutait : “ Il m’a demandé tant de fois : ‘ Dois-je m’en aller ? ’ et je l’ai renvoyé… Maintenant, il ne vient plus. ” Il désirait ta présence, il la désirait. Ta Mère a envoyé quelqu’un te chercher, mais ils ne t’ont pas trouvé à Capharnaüm et il a beaucoup pleuré. En rassemblant ses dernières forces, il a pris la main de ta Mère et l’a voulue auprès de lui. Il ne parlait que difficilement, mais il disait : “ La Mère, c’est un peu le Fils. Je tiens la main de la Mère pour avoir quelque chose de lui, car j’ai peur de la mort. ” Mon pauvre père ! »