Jésus marche devant, seul, en frôlant une haie de cactacées qui, se riant de toutes les autres plantes sans feuilles, brillent au soleil avec leurs grosses palettes épineuses sur lesquelles il reste quelques fruits que le temps a rendus rouge brique ou sur lesquelles déjà rit quelque fleur précoce jaune teintée de cinabre.
Derrière, les apôtres chuchotent entre eux et il me semble qu’ils ne font vraiment pas des compliments au Maître.
A un certain moment, Jésus se retourne brusquement et dit :
« “ Qui observe le vent ne sème pas, qui reste à regarder les nuages ne moissonne pas. ” C’est un vieux proverbe[1]. Mais je m’y tiens. Et vous voyez que là où vous craigniez de mauvais vents et ne vouliez pas rester, j’ai trouvé un terrain et la possibilité de semer. Malgré “ vos ” nuages – soit dit en passant, ce n’est pas bien que vous les fassiez voir là où la Miséricorde veut montrer son soleil –, je suis certain d’avoir déjà moissonné.
– En attendant, personne ne t’a demandé de miracle. C’est une foi bien étrange qu’ils ont en toi !
– Et tu crois, Thomas, que seule la requête d’un miracle prouve qu’il y a foi ? Tu te trompes. C’est tout le contraire. Celui qui veut un miracle pour pouvoir croire témoigne que, sans le miracle – preuve palpable –, il ne croirait pas. Au contraire, celui qui dit : “ Je crois ” sur la simple parole d’autrui manifeste la foi la plus grande.
– De sorte que les samaritains sont meilleurs que nous, alors !
– Je ne dis pas cela. Mais dans leurs conditions d’affaiblissement spirituel, ils se sont montrés beaucoup plus capables d’entendre Dieu que les fidèles de Palestine. Vous le constaterez fréquemment au cours de votre vie et, je vous en prie, souvenez-vous de cet épisode pour savoir vous conduire sans préjugés à l’égard des âmes qui en viendront à croire au Christ.
– Pourtant, pardonne-moi, Jésus, si je te le dis, il me semble qu’avec toute la haine qui te poursuit, il est nuisible pour toi de susciter de nouvelles accusations. Si les membres du Sanhédrin savaient que tu as eu …
– Mais dis-le simplement : “ de l’amour ”, car c’est cela que j’ai eu, Jacques, et que j’ai encore. Et toi, qui es mon cousin, tu peux comprendre que je ne puis ressentir autre chose que de l’amour. Je t’ai montré que je n’éprouve que de l’amour, même pour ceux qui m’étaient hostiles parmi ceux de mon sang et de mon pays. Devrais-je donc ne pas en éprouver pour ceux-ci, qui m’ont respecté sans me connaître ? Les membres du Sanhédrin peuvent bien faire tout le mal qu’ils veulent. Mais ce ne sera pas la perspective de ce mal à venir qui fermera les digues de mon amour omniprésent et agissant partout. Du reste… même si j’agissais autrement… je n’empêcherais pas le Sanhédrin de trouver, par haine, des motifs d’accusation.
– Mais toi, Maître, tu passes beaucoup de temps en pays idolâtre alors qu’on t’attend en tellement d’endroits en Israël. Tu dis que toute heure doit être consacrée au Seigneur. Est-ce que ce ne sont pas là des heures perdues ?
– Une journée employée à rassembler des brebis égarées n’est pas perdue. Elle n’est pas perdue, Philippe. Il est dit : “ Observer la Loi, c’est multiplier les offrandes… mais faire preuve de miséricorde, c’est offrir un sacrifice. ” Il est dit : “ Donne au Très-Haut comme il t’a donné, avec générosité, selon tes moyens. ” C’est ce que je fais, mon ami. Et offrir un sacrifice n’est pas du temps perdu. Je fais miséricorde et je me sers des moyens que j’ai reçus en offrant mon travail à Dieu. Restez donc dans la paix.