Ce séjour à Jérusalem, quelle déception ! Plus il lui faudrait faire des gestes d’éclat, plus il se cache à l’ombre. Je m’étais tellement promis de voir, de combattre…
– Excuse ma question… Mais que voulais-tu voir et qui voulais-tu combattre ? demande Thomas.
– Quoi ? Qui ? Mais voir ses œuvres miraculeuses et pouvoir tenir tête à ceux qui prétendent que c’est un faux prophète ou un possédé. Car c’est bien ce qu’on dit ! Comprends-tu ? On dit que si Béelzéboul ne le soutient pas, il n’est qu’un pauvre homme. Et comme l’humeur capricieuse de Béelzéboul est bien connue, et qu’on sait qu’il se plaît à prendre et à quitter, comme le fait le léopard avec sa proie, et comme les faits justifient cette façon de voir, je m’inquiète de constater qu’il n’agit pas. Quelle piètre figure nous faisons ! Nous sommes les apôtres d’un Maître… qui ne fait qu’enseigner, c’est indéniable, mais rien d’autre. »
Judas s’est arrêté brusquement après le mot “ Maître ” et cela me fait penser qu’il allait dire quelque chose de pire.
Les femmes sont abasourdies et Marie, femme d’Alphée, en tant que parente de Jésus, répond clairement :
« Ce n’est pas de cela que je m’étonne, mais de ce que, lui, il te supporte, mon garçon ! »
Mais André, lui qui est toujours doux, perd patience, rougit de colère – ce en quoi il ressemble pour une fois à son frère – et crie :
« Mais va-t’en ! Et ne fais plus mauvaise figure à cause du Maître ! D’ailleurs, qui t’a appelé ? Nous, il nous a voulus, mais toi, non. Tu as dû insister à plusieurs reprises pour te faire accepter. C’est toi qui t’es imposé. Je ne sais ce qui me retient de tout raconter aux autres…
– Avec vous il est impossible de parler. Ils ont raison, ceux qui vous disent querelleurs et ignorants… »
Thomas plaisante pour détourner la tempête qui approche :
« Eh bien, vraiment, à mon tour je ne comprends pas du tout où tu vois l’erreur chez le Maître. Je n’étais pas au courant de ces humeurs capricieuses du démon. Le pauvre ! Il doit être bizarre. S’il avait eu une intelligence équilibrée, il ne se serait pas révolté contre Dieu. Je vais en prendre bonne note.
– Ne plaisante pas, car moi, je ne plaisante pas. Peux-tu donc soutenir qu’il s’est fait connaître à Jérusalem ? Lazare aussi l’a dit, du reste… »
Thomas éclate de rire, et bruyamment. Riant encore – son rire a déjà désorienté Judas –, il rétorque :
« Ah ! Il n’a rien fait ? Va donc le demander aux lépreux de Siloan et d’Hinnom. Ou plutôt pas à Hinnom, car il n’y a plus de lépreux : ils sont tous guéris. Si tu n’étais pas là — car tu avais hâte de partir chez des… amis et tu n’es donc pas au courant —, cela n’empêche pas que les vallées de Jérusalem et même beaucoup d’autres résonnent des chants de louange de ceux qui ont été guéris. »
Thomas a pris pour finir un ton sérieux.