La Méditerranée est une immense étendue d’eaux d’un bleu vert qui se heurtent furieusement sous la forme de grandes vagues, toutes ourlées d’écume. Pas de brume, aujourd’hui. Mais l’eau de mer, pulvérisée par les chocs continuels des vagues entre elles, se transforme en une poussière salée, brûlante, qui pénètre jusque sous les vêtements, rougit les yeux, brûle la gorge et semble se répandre partout comme un voile de poudre saline, aussi bien dans l’air, qu’elle rend opaque comme par l’effet d’une fine brume, que sur les objets qui semblent saupoudrés d’une farine brillante : les fins cristaux de sel. Cela, cependant, là où n’arrivent pas les gifles des vagues ou bien leurs rinçages énergiques qui lavent le pont d’un bord à l’autre, en se précipitant à l’intérieur, en franchissant le bordage, pour ensuite retomber à la mer avec un bruit de cascade par les ouvertures du bordage opposé.
Et le navire s’élève et s’enfonce comme un fétu à la merci de l’océan, c’est un rien en face de l’autre. Il grince et se lamente depuis la sentine jusqu’aux mâts… La mer est réellement maîtresse et le bâtiment n’est pour elle qu’un jouet…
Hormis ceux qui sont aux manœuvres, il n’y a plus personne sur le pont, et plus de marchandises : seulement les chaloupes de sauvetage. Les hommes de l’équipage, avec en tête Nicomède, totalement nus, entraînés par le roulis du navire, courent çà et là aux abris et aux manœuvres, rendues difficiles sur le pont toujours inondé et glissant. Les écoutilles bâchées ne permettent pas de voir ce qui se passe sous le pont. Mais je ne crois pas qu’ils soient tranquilles à l’intérieur !
Je n’arrive pas à comprendre où l’on est, car il n’y a que la mer tout autour et au loin une côte qui paraît très excarpée, avec de vraies montagnes, pas des collines. Je dirais qu’il y a déjà plus d’un jour que l’on navigue, car l’on voit clairement que c’est le matin puisque le soleil, qui apparaît et disparaît sous des nuages très épais, vient encore de l’orient. Je crois que le navire avance bien peu malgré le mouvement qui l’agite, et la mer semble se déchaîner de plus en plus.
Avec un bruit terrible un morceau du mât se brise – je ne connais pas le nom de cette partie de la mâture – et, dans sa chute, entraîné maintenant par une avalanche d’eau qui se précipite sur le pont en même temps qu’un vrai tourbillon de vent, il abat un morceau du bordage.