Une grande foule attend le Maître, éparpillée tout en bas des flancs d’un mont presque isolé. Il émerge d’un carrefour de vallées qui l’entourent et d’où ses pentes surgissent, ou plutôt bondissent, escarpées, abruptes, quelquefois vraiment à pic. Pour arriver au sommet, un raidillon taillé dans la roche calcaire érafle à certains endroits les parois en faisant des lacets et se trouve parfois pris entre la rampe de la montagne et un précipice. Ce sentier rocailleux, d’une couleur jaunâtre qui tire sur le rouge, a l’air d’un ruban jeté dans la verdure poussiéreuse de buissons bas et épineux. Je dirais que les feuilles sont elles-mêmes des piquants qui recouvrent les pentes arides et pierreuses, fleurissant çà et là en une fleur vivace rouge-violet semblable à un panache ou à un flocon de soie arraché aux vêtements de quelque malheureux passé par cette ronceraie. Ce revêtement tourmenté fait de pointes épineuses, d’un vert glauque, triste comme s’il était couvert d’une cendre impalpable, se répand par bandes jusqu’au pied de la montagne et sur le plateau entre ce mont et d’autres monts, tant au nord-ouest qu’au sud-est, alternant avec les premiers emplacements où il y a de l’herbe véritable et de véritables arbustes qui ne soient pas torture et inutilité.
Les gens sont cantonnés là, attendant patiemment la venue du Seigneur. Ce doit être le lendemain du discours aux apôtres, car la matinée est fraîche et la rosée n’est pas encore évaporée sur toutes les plantes. C’est surtout le cas à l’ombre, où elle embellit épines et feuilles, et change en gouttes de diamant les étranges fleurs des arbustes épineux. C’est certainement l’heure de beauté de cette triste montagne : aux autres heures, sous le soleil impitoyable ou dans les nuits de lune, elle doit avoir l’aspect horrible d’un lieu d’expiation infernale.
A l’est, on aperçoit une riche et grande ville dans une plaine très fertile. On ne voit pas autre chose de cette côte encore basse où se trouvent les pèlerins, mais au sommet l’œil doit jouir d’une vue incomparable sur les régions voisines. Je crois que l’altitude de la montagne doit permettre à l’horizon de s’étendre jusqu’à la Mer Morte et aux régions à l’est, comme aussi jusqu’aux chaînes de la Samarie et à celles qui cachent Jérusalem, mais je ne suis pas montée au sommet, donc…
Les apôtres circulent dans la foule et essaient de la tenir tranquille, en bon ordre, et de placer les malades aux meilleurs endroits. Ils sont aidés par des disciples, peut-être ceux qui travaillent dans la région et qui avaient conduit près de la frontière de la Judée les pèlerins désireux d’entendre le Maître.