jusqu’au moment où Barthélemy l’intéresse directement à la discussion en lui soumettant les divers points de vue sur la raison pour laquelle lui, qui est indemne du péché, doit souffrir.
Barthélemy dit :
« Je soutiens que cela arrive parce que l’homme déteste celui qui est bon. Je parle de l’homme coupable, c’est-à-dire de la majorité. Cette majorité se rend compte que, par comparaison avec celui qui est sans péché, sa culpabilité ressort davantage, avec ses vices, et, par dépit, il se venge en faisant souffrir le bon.
– Pour ma part, je suis sûr que tu souffres du contraste entre ta perfection et notre misère. Même si personne ne te méprisait d’aucune façon, tu souffrirais pareillement, car ta perfection doit éprouver un dégoût douloureux pour les péchés des hommes, intervient Jude.
– Moi, au contraire, je pense que, n’étant pas exempt de l’humanité, tu souffres de l’effort de devoir retenir, par ta partie surnaturelle, les révoltes de ton humanité contre tes ennemis, estime Matthieu.
– Et moi, je vais sûrement me tromper, car je suis un sot, je dis que tu souffres au contraire de voir ton amour repoussé. Tu ne souffres pas de ne pas pouvoir punir comme le côté humain peut le désirer, mais tu souffres de ne pouvoir faire du bien comme tu le voudrais, expose André.
– Moi, enfin, dit Simon le Zélote, je pense que tu souffres, parce que tu dois subir toute douleur pour racheter toute douleur. Il n’y a pas en toi l’une des deux natures qui prédomine, mais toutes deux sont pareillement en toi, unies en un parfait équilibre, pour former la Victime parfaite, tellement surnaturelle qu’elle peut avoir la force d’apaiser l’offense faite à la Divinité, tellement humaine qu’elle peut représenter l’humanité et la ramener à l’état immaculé du premier Adam pour effacer le passé et engendrer une humanité nouvelle, recréer une humanité nouvelle conforme à la pensée de Dieu, c’est-à-dire une humanité où existe réellement l’image de Dieu et sa ressemblance avec lui, ainsi que la destinée de l’homme : la possession, le pouvoir d’aspirer à la possession de Dieu, dans son Royaume. Tu dois souffrir surnaturellement, et tu souffres, de tout ce que tu vois faire et de ce qui t’entoure, pourrais-je dire, dans une perpétuelle offense à Dieu. Tu dois souffrir humainement, et tu souffres, pour arracher la luxure de notre chair empoisonnée par Satan. C’est par la souffrance complète des deux natures parfaites que tu annuleras complètement l’offense faite à Dieu, la faute de l’homme. »
Les autres se taisent. Jésus les interroge :
« Et vous, vous ne dites rien ? Quelle est d’après vous la plus juste définition ? »
Les uns se prononcent pour l’une, les autres pour une autre. Seul Jacques, fils d’Alphée, se tait avec Jean.
« Et vous deux, vous n’en approuvez aucune ? dit Jésus pour piquer leur intérêt.
– Non, nous trouvons en toutes une part de vérité, parfois beaucoup. Mais nous sentons aussi qu’il manque ce qu’il y a de plus vrai.
– Et vous ne savez pas le trouver ?
– Nous l’aurions peut-être trouvé, mais il nous paraît presque blasphémer de le dire, car… Nous sommes de bons Israélites, et nous craignons Dieu, presque au point de ne pouvoir prononcer son nom. Et de penser que, si l’homme du peuple élu, l’homme fils de Dieu ne peut pour ainsi dire prononcer le nom béni et crée des termes de remplacement pour nommer son Dieu, il nous paraît blasphématoire de penser que Satan puisse oser nuire à Dieu. Et pourtant, nous nous rendons compte que la douleur ne cesse d’agir envers toi parce que tu es Dieu et que Satan te hait. Il te hait comme nul autre. Tu trouves la haine, mon Frère, parce que tu es Dieu, explique Jacques.
– Oui, approuve Jean. Tu trouves la haine parce que tu es l’Amour. Ce ne sont pas les pharisiens ou les rabbins qui se dressent pour te faire souffrir, ce n’est pas celui-ci ou celui-là, ni pour telle ou telle raison. C’est la Haine qui pénètre les hommes et les dresse contre toi, blêmes de haine, parce que par ton amour, tu arraches trop de proies à la Haine.
– Il manque encore quelque chose à ces nombreuses définitions. Cherchez la raison la plus vraie. Celle pour laquelle j’existe… » dit Jésus pour les encourager.
Mais personne ne trouve. Ils réfléchissent longuement, puis renoncent :
« Nous ne trouvons pas…
– Elle est si simple… Elle est toujours devant vous. Elle résonne dans les paroles de nos livres, dans les figures de notre histoire… Allons, cherchez ! Dans toutes vos définitions, il y a du vrai, mais il manque la raison première. Cherchez-la, non pas dans le présent, mais dans le passé le plus lointain, au-delà des prophètes, au-delà des patriarches, au-delà de la création de l’Univers… »
Les apôtres réfléchissent… mais en vain. Jésus sourit. Puis il reprend :
« Et pourtant, si vous vous rappeliez mes paroles, vous trouveriez la raison. Mais vous ne pouvez encore tout vous rappeler. Un jour, vous vous souviendrez.