C’est un chemin bien difficile que celui qu’a pris Manahen pour conduire Jésus à l’endroit où on l’attend : un étroit sentier de montagne, hérissé de pierres, qui traverse maquis et forêts. La lumière très claire de la lune à son premier quartier arrive difficilement à percer l’enchevêtrement des branches, et parfois disparaît tout à fait. Manahen y supplée par des torches qu’il a préparées et qu’il porte en bandoulière comme des armes sous son manteau. Lui devant, Jésus derrière, ils avancent sans parler dans le grand silence de la nuit. A deux ou trois reprises, un animal sauvage, en courant à travers les bois, imite un bruit de pas si bien que Manahen s’arrête, aux aguets. Mais à part cela, rien ne vient troubler leur marche déjà si fatigante.
« Voici Goféna, Maître. Nous allons maintenant tourner : je compterai trois cents pas et je serai aux grottes où ils nous attendent depuis le coucher du soleil. Le chemin t’a paru long ? Nous avons pourtant pris des raccourcis qui, je crois, respectent la distance légale. »
Jésus fait un geste comme pour dire :
« On ne pouvait faire autrement. »
Manahen, attentif à compter les pas, se tait. Ils parviennent dans un défilé rocheux et nu, ressemblant à une caverne qui s’élève entre les parois de la montagne qui se touchent presque. On dirait une fracture produite par quelque cataclysme, tant elle est étrange, comme si un énorme coup de couteau dans la masse de la montagne l’avait coupée sur un bon tiers à partir du sommet. Au-dessus, tout en haut, au-delà des parois perpendiculaires, au-delà de l’agitation bruyante des arbres qui ont poussé sur les bords de l’énorme entaille, resplendissent les étoiles, mais la lumière de la lune ne descend pas dans ce gouffre. La lueur fumeuse de la torche réveille des oiseaux de proie, qui crient en agitant leurs ailes au bord de leurs nids, au milieu des crevasses.