Un certain temps[1] passe, environ une demi-heure, peut-être encore moins. Puis Longinus, chargé de présider l’exécution, donne ses ordres.
Mais avant que Jésus ne soit conduit dehors, sur le chemin, pour recevoir la croix et se mettre en marche, Longinus l’a regardé deux ou trois fois avec une curiosité déjà nuancée de compassion. Avec le coup d’œil d’un homme habitué à certaines choses, il s’approche de Jésus avec un soldat et lui offre pour le désaltérer une coupe de vin, je crois, car il coule d’une vraie gourde militaire un liquide d’un blond rosé clair.
« Cela va te faire du bien. Tu dois avoir soif. Dehors, il y a du soleil, et la route est longue. »
Mais Jésus répond :
« Que Dieu te récompense de ta pitié, mais ne te prive pas.
– Mais moi, je suis en bonne santé et fort. …Toi… Je ne me prive pas… D’ailleurs, c’est bien volontiers que je le ferais pour te réconforter… Une gorgée… pour me montrer que tu ne déteste pas les païens. »
Jésus ne refuse plus et boit une gorgée de la boisson. Il a les mains déliées, de même qu’il n’a plus le roseau ni la chlamyde, et il peut le faire tout seul. Ensuite il refuse, bien que la boisson fraîche et bonne aurait pu soulager la fièvre qui déjà se manifeste par les traces rouges qui s’allument sur ses joues pâles et sur ses lèvres sèches et gercées.
« Prends, prends. C’est de l’eau et du miel. Cela réconforte et désaltère… Tu me fais pitié… oui… pitié… Ce n’était pas toi qu’il fallait tuer, parmi les Hébreux… Hélas !… Moi, je ne te hais pas… et je tenterai de ne te faire souffrir que l’inévitable. »
Mais Jésus ne recommence pas à boire… Il a vraiment soif… La soif terrible des fiévreux et de ceux qui ont perdu du sang… Il sait que ce n’est pas une boisson mêlée à un narcotique et il boirait volontiers. Mais il ne veut pas souffrir moins. Grâce à une lumière intérieure, je comprends que ce qui le réconforte, c’est plus la pitié du Romain que l’hydromel.
« Que Dieu te rende en bénédictions ce soulagement » dit-il ensuite.
Et il a encore un sourire… un sourire déchirant de sa bouche enflée, blessée, qu’il remue difficilement ; ce qui le gêne, c’est l’enflure, entre le nez et la pommette droite, de la forte contusion du coup de bâton qu’il a reçu dans la cour intérieure après la flagellation.