C’est encore Jésus et Judas. Après avoir prié dans le lieu le plus voisin du Saint permis aux hommes juifs, ils sortent du Temple.
Judas voudrait rester avec Jésus. Mais ce désir se heurte à l’opposition du Maître.
« Judas, je désire rester seul pendant les heures de la nuit. Pendant la nuit mon esprit tire sa nourriture du Père. Oraison, méditation et solitude me sont plus nécessaires que la nourriture matérielle. Celui qui veut vivre par l’esprit et porter les autres à faire de même, doit faire passer la chair après – je dirais presque : la tuer – pour accorder tous ses soins à sa vie spirituelle. C’est vrai pour tous, Judas. Pour toi aussi, si tu veux vraiment appartenir à Dieu, c’est-à-dire au surnaturel.
– Mais nous sommes encore de la terre, Maître. Comment pourrions-nous délaisser la chair au point de nous occuper uniquement de l’esprit ? Ce que tu dis n’est-il pas en opposition avec le commandement de Dieu : “ Tu ne tueras point ? ” Est-ce que ce commandement n’interdit pas aussi de se tuer ? Si la vie est un don de Dieu, devons-nous l’aimer ou non ?
– A toi, je répondrai comme je ne répondrais pas à une âme simple à qui il suffit d’élever le regard de l’âme ou de l’esprit jusqu’aux sphères du surnaturel, pour la faire s’envoler avec nous vers les domaines de l’esprit. Toi, tu n’es pas un simple. Tu as été formé dans un milieu qui t’a affiné… mais qui t’a aussi souillé par ses subtilités et ses principes. Te rappelles-tu Salomon, Judas ? Il était sage, le plus sage de son temps. Te souviens-tu de ce qu’il a dit[1] après avoir exploré toutes les connaissances de cette époque ? “ Vanité des vanités, tout est vanité. Craindre Dieu et observer ses commandements, c’est là le devoir de tout homme. ” Or je t’assure que, en fait de mets, il faut savoir prendre ce qui nourrit, mais pas le poison. Si nous nous rendons compte qu’un mets nous est nuisible parce qu’il provoque en nous des réactions néfastes – c’est-à-dire s’il est plus fort que nos humeurs naturelles qui pourraient le neutraliser –, il faut renoncer à ce mets, même s’il flatte le goût. Le pain ordinaire et l’eau de source valent mieux que les plats compliqués de la table du roi, relevés par des épices qui troublent et empoisonnent.
– Que dois-je éviter, Maître ?
– Tout ce qui te trouble et dont tu es conscient. Car Dieu, c’est la paix, et si tu veux avancer sur les voies du Seigneur, tu dois désencombrer ton esprit, ton cœur et ta chair de tout ce qui n’est pas paix et amène le trouble. Je sais qu’il est difficile de se réformer soi-même. Mais je suis ici pour t’aider à le réaliser. Je suis ici pour aider l’homme à redevenir enfant de Dieu, à se remodeler comme par une seconde création, en une renaissance de soi-même.